27 mai 2025
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Alors que l’ordre géopolitique est sens dessus dessous depuis l’élection du président Donald Trump, l’état des institutions multilatérales mises sur pied sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale interroge. Le président Trump les voue aux gémonies et aimerait bâtir une nouvelle mondialisation, basée avant tout sur les intérêts étasuniens, quitte à saborder les principes du commerce international qui ont régi le monde depuis 80 ans.
Quelle est l’institution adéquate pour réguler les échanges en matière agricole ? Alors que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été taillée pour servir les intérêts des pays les plus riches de l’époque (États-Unis, Union européenne) et asseoir leur puissance, les mouvements décoloniaux des pays en développement* entendent bien renverser la vapeur et faire valoir leurs intérêts dans l’arène des relations internationales.
Pour défendre les intérêts des agriculteur·ice·s de petite surface des pays du Sud global, Humundi est membre de Our World is not for Sale (OWINFS), un réseau d’organisations de la société civile qui milite pour des règles du commerce international justes et démocratiques. Son combat historique contre l’OMC depuis 1998 en fait un réseau de référence pour la lutte contre la mondialisation néolibérale et l’accaparement du monde par les multinationales.
La participation aux journées de réflexion stratégique de OWINFS, qui ont eu lieu à la fin du mois d’avril, ont donné lieu à de nombreux échanges sur le multilatéralisme, les stratégies à adopter face aux offensives du président Trump, mais aussi sur les alliances à nouer afin de défendre les intérêts des pays en développement*.
Humundi partage quelques réflexions propres au réseau OWINFS suite à ces journées.
Ce n’est pas nouveau : en matière agricole, l’OMC ne brille pas par son efficacité. Hormis quelques avancées notoires, comme la clause de Bali sur les stocks publics adoptée en 20131, les négociations stagnent depuis plus de 20 ans. D’un côté les pays développés* refusent de réduire les subventions publiques qui causent un dumping massif de produits agricoles vers les pays en développement*. De l’autre, ces mêmes pays bloquent toute demande de la part des pays en développement pour rééquilibrer les échanges agricoles, notamment dans le cadre du cycle de Doha, jamais officiellement clos depuis l’ouverture des négociations en 2001.
En résumé : pile les pays en développement* perdent, face les pays développés* gagnent !
Quelle pertinence y a-t-il donc de continuer à plaider dans un espace où aucune avancée n’a été observée en plus de deux décennies ? Même si l’OMC est sclérosée, il s’agit du seul espace multilatéral fondé sur des règles (rules-based system) qui assure une protection minimale aux pays en développement*. Ce sont d’ailleurs ces derniers et plus particulièrement les pays africains qui pâtissent le plus du dysfonctionnement de l’institution de par leur pouvoir économique et politique plus limité face au trio États-Unis-Chine-Union européenne (UE)2. De plus, l’Accord sur l’agriculture de l’OMC structure toujours les échanges internationaux en matière agricole. Si le combat pour des systèmes alimentaires plus justes ne doit pas s’arrêter là, il est indispensable de maitriser les tenants et les aboutissants d’un tel accord.
Cependant, l’OMC ce n’est pas l’alpha et l’oméga du commerce international. De nombreuses organisations européennes ou des syndicats agricoles ont cessé de suivre ces négociations, parce que le centre de gravité des négociations se situe désormais ailleurs, du côté des échanges bilatéraux. Ces derniers permettent de contourner le blocage du processus multilatéral, mais créent une situation largement déséquilibrée entre les parties prenantes, car ici pas de coalition de pays pour peser dans les négociations comme à l’OMC : le rapport de force est largement en défaveur du Sud global !
La dichotomie Nord/pays développés* contre Sud/pays en développement* a longtemps structuré les positions à l’OMC. Elle apparaît désormais anachronique.
Les pays développés* constituent une opposition historique aux desiderata des pays en développement* sur la question agricole, mais ils se sont fait damer le pion par les gros pays agro-exportateurs (Brésil, Argentine, etc.) qui sont aujourd’hui les fers de lance de la dérégulation agricole pour assurer des marchés à leur exploitations. Exit donc les demandes de protection des marchés, de mesure de sauvegarde ou de stocks publics chères aux pays en développement*. Dans la perspective des agro-exportateurs, la sécurité alimentaire passe par la libéralisation.
Par ailleurs, même si parmi les pays en développement* certains se proclament les défenseurs de la sécurité alimentaire, il faut se garder de toute conclusion prématurée. Si l’Inde et la Chine défendent la sécurité alimentaire à l’OMC via notamment la question des stocks publics, c’est aussi parce qu’elle leur permet d’assurer le déploiement d’un agenda politique propre, sans risquer des sanctions devant les tribunaux d’arbitrage de l’OMC. Les deux pays ayant largement dépassé le milliard d’habitant·e·s et ayant des montants de financement public considérables, ils sont parmi les seuls pays tirant profit de l’absence de limitation financière dans le cadre des programmes de stocks publics, offerte par la clause de Bali en 2013 (soit les achats à prix administrés, considérés comme ayant des effets de distorsion des échanges, limités à 10% du volume de production pour des produits spécifiques). Ces financements ont d’ailleurs certainement participé à l’augmentation de la production de riz indienne, à l’heure actuelle deuxième producteur et premier exportateur mondial, alimentant la controverse sur l’utilisation de ces subsides afin de soutenir l’activité exportatrice du pays et ainsi nuire à la sécurité alimentaire dans d’autres pays, victimes du dumping indien. Dans tous les cas, si cela en fait bien des alliés de circonstances sur la question des stocks publics, de là à considérer qu’il s’agit d’un intérêt authentique pour mettre un terme à l’insécurité alimentaire au niveau mondial, il y a loin.
De plus, la prolifération des régimes autoritaires ou dictatoriaux, aussi bien au Nord qu’au Sud, amène à se questionner : est-il souhaitable de considérer des régimes qui musèlent la presse et les organisations de la société civile, qui harcèlent les minorités religieuses ou culturelles ou qui piétinent les droits humains comme des alliés sous prétexte qu’ils défendent un agenda en matière agricole qui, sur certains aspects, est favorable aux demandes du réseau ?
Enfin, le cas de la Chine est à maints égards problématique : toujours considéré à l’heure actuelle comme un pays en développement* (PED), elle bénéficie de certaines flexibilités offertes à cette catégorie de pays tout en étant la deuxième puissance économique mondiale, aujourd’hui seule capable de rivaliser avec l’aigle américain. La Chine dessert la cause des PED* et de nombreux pays souhaiteraient l’exclure de la catégorie.
En définitive, le Sud recouvre donc à l’heure actuelle une palette de pays avec des réalités trop diverses pour les embrasser d’une seule étreinte. Il est essentiel de se questionner sur les intentions sous-jacentes à chaque pays.
Mais ce qui a fait surtout jaser durant ces journées stratégiques, c’est bien évidemment la question des tarifs douaniers que le président Trump a tenté d’imposer à la quasi-totalité des pays partenaires des États-Unis.
Les choix du président des États-Unis relèvent d’une continuité dans le rapport que le pays entretient à l’égard du reste du monde : maintenir un rapport de domination, assurer l’impérialisme étasunien quel qu’en soit le prix et tailler les relations internationales à son image. La montée en puissance de la Chine sur l’échiquier mondial pousse les États-Unis à radicaliser leur approche afin d’inverser le basculement du centre de gravité de la mondialisation néolibérale. En outre, pour contrer le retournement de l’OMC contre ses intérêts propres, les États-Unis ont bloqué l’Organe de règlement des différends dès 2019 et en 2025 mettent un terme – temporairement ou pas – à leur cotisation à l’organisation. De quoi court-circuiter le multilatéralisme et en profiter pour s’arroger une fois de plus la part du lion.
Ces tarifs douaniers étasuniens sont donc sous-tendus par une approche coercitive cherchant à extorquer toujours plus de concessions à ses pays partenaires. Ils vont ainsi à l’encontre de tous les principes du multilatéralisme et sont à cet égard illégaux vis-à-vis des règles de l’OMC. Le résultat est un isolement majeur des pays, contraint de négocier individuellement avec les États-Unis, seul maître du jeu. Un des risques majeurs pressenties par de nombreux analystes est que les pays aux revenus les plus faibles portent un poids relativement plus important dans cette bataille3, mais aussi que les concessions obtenues par les États-Unis par un pays s’appliquent ou s’imposent aux accords avec les autres pays partenaires, selon le principe de non-discrimination (à l’OMC, la clause de la nation la plus favorisée impose de réserver le même traitement en matière de tarifs douaniers à l’ensemble de ses pays partenaires). Le président Trump claironne d’ores et déjà plus de 100 traités bilatéraux conclus ou en cours de négociation et se garde bien de dévoiler les concessions obtenues par tel ou tel pays de sorte à maintenir une position de supériorité.
L’isolement des pays du Sud global nécessite donc de réinvestir le multilatéralisme. Alors, certes, l’OMC est criblée de défauts, mais en l’état et à court terme elle représente la seule institution multilatérale qui permet aux pays en développement* d’être représentés en bloc, de bénéficier du même traitement que l’ensemble des États membres, d’espérer peser dans les négociations et de barrer la voie à la manœuvre du président Trump de remplacer le rules-based system par un power-based system4.
Une des difficultés consiste donc à défendre une autre vision du protectionnisme agricole sans tomber dans le protectionnisme raté de Trump, ni pour autant se jeter éperdument dans les bras libre-échangistes de l’Union européenne. Cette dernière utilise d’ailleurs depuis plusieurs mois la politique de Trump comme un faire-valoir pour renforcer la nécessité des traités de libre-échange qui sont dans ses placards depuis 25 ans…
Il semble également nécessaire de renforcer les alliances entre le niveau international et le local/régional en mettant l’expertise des relations commerciales internationales d’OWINFS au service du combat contre les accords bilatéraux (UE-Mercosur, Accord de partenariat transpacifique, etc.), d’aller au-delà des alliances habituelles, en renforçant les liens avec les organisations agricoles notamment, pour lutter contre le nouvel ordre mondial réactionnaire qui a pour objectif de démanteler l’ordre bâti sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale.
Il nous faut défendre un protectionnisme sincère, basé sur le respect des droits humains plutôt que sur les intérêts des entreprises nationales. Un protectionnisme qui ne soit pas empreint de nationalisme qui accélère l’extrême-droitisation de nos sociétés et qui, en des temps de dérèglements climatiques croissants, va mettre de plus en plus de populations en situation d’insécurité alimentaire.
Un article de Jonas Jaccard
*Nous reprenons les termes « pays en développement » parce que cette catégorie est
officiellement utilisée dans le jargon de l’OMC. Cependant, nous gardons une approche critique vis-à-vis
de termes qui se fondent sur des idéologies développementalistes. Nous conserverons donc
une astérisque à chaque utilisation de ces termes dans cette publication.