29 septembre 2025
Changement climatique : comment agir concrètement en soutenant l’agriculture durable
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27 octobre 2025
Lors de l’atelier sur la lutte contre la désertification coorganisé par le réseau Minka International et Humundi à Bruxelles le 25 septembre 2025, les acteurs de la coopération au développement présents ont travaillé sur le plaidoyer qu’ils défendront à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) prévue en 2026 en Mongolie.
La très vieille chanson de Patrick Capdevielle à laquelle fait référence le titre de cet article était trop désabusée. Aujourd’hui, la lutte contre la désertification a besoin de vie, d’innovations et de transmissions agroécologiques.
Plus de 70 % des terres arides mondiales se dégradent, entraînant insécurité alimentaire, pauvreté et conflits, tandis que la perte de biodiversité et les migrations forcées s’accélèrent. Prévenir et inverser la désertification n’est plus une option : c’est une condition de stabilité sociale et écologique. La CNULCD veut réduire drastiquement la dégradation des terres d’ici 2030, via l’agroécologie, la restauration des sols, la gestion durable de l’eau, la résilience des communautés rurales. Pour appuyer le passage à l’action, la CNULCD soutient la dynamique Désertif’actions initiée par le CARI (une association française de solidarité internationale membre du réseau MINKA). Cette dynamique porte la voix et les revendications des organisations de la société civile. Aux côtés d’initiatives déroulées dans près de 25 pays, l’atelier de Bruxelles s’inscrivait ainsi dans une séquence stratégique : valoriser les initiatives du Nord en appui aux transitions agroécologiques dans le Sud global, et identifier les conditions concrètes de leur réussite.
Un représentant du gouvernement belge a participé à l’atelier de Bruxelles. Corentin Genin, point focal belge auprès de la CNULCD, a rappelé la ligne de conduite portée par le ministère des Affaires étrangères au sein des trois Conventions de Rio – désertification, climat et biodiversité – pour y faire reconnaître les pratiques agroécologiques et agroforestières comme leviers de durabilité.
La Convention de l’ONU sur la diversité biologique reconnaît les apports de l’agroécologie à gestion durable des zones agricoles. Le défi est de renforcer les synergies avec les Conventions climat et désertification. La Convention climat est encore trop centrée sur les mécanismes de marché. Concernant la Convention désertification, la Belgique plaide pour inscrire l’agroécologie et l’agroforesterie dans les décisions relatives au foncier, à la sécheresse et à la gouvernance des terres. Ce positionnement traduit une vision cohérente : l’agroécologie n’est pas une niche, mais une pratique vivante du développement durable, reliant des objectifs en matière de sécurité alimentaire, de climat et de lutte contre la dégradation des terres.
Patrick Worms, conseiller scientifique au Centre for International Forestry Research and World Agroforestry (CIFOR-ICRAF), a proposé un cadrage conceptuel clair : la sécheresse, dans ses dimensions météorologique, hydrologique et agricole, n’est pas un simple déficit de pluie mais le produit de dynamiques naturelles et humaines. La désertification n’est pas une fatalité : c’est une perte durable de productivité qui peut être freinée par une gestion écologique des écosystèmes.
Patrick Worms insiste sur la dimension humaine et systémique : c’est la gouvernance des ressources, la participation des communautés et l’articulation entre savoirs locaux et politiques publiques qui déterminent la résilience des territoires. L’expérience du Sahel, où les cycles de sécheresse alternent avec des phases de reverdissement, rappelle que la variabilité climatique ne condamne pas les terres : elle exige d’apprendre, de mesurer, d’adapter.
Certaines expériences de régénération naturelle (au Niger, au Zimbabwe) montrent que les sols vivants se reconstruisent par des pratiques fondées sur la nature, peu coûteuses et socialement inclusives. Mais encore faut-il rendre ces modèles attractifs pour la jeunesse rurale, souvent découragée par la faible rentabilité immédiate. Patrick Worms cite une évaluation menée en 2020 (1) sur la Grande muraille verte pour le Sahara et le Sahel qui encourage le soutien aux jeunes innovateurs locaux et finance des expérimentations en territoire sec.
Les participant·e·s à l’atelier ont identifié une série de freins à la mise en œuvre et à l’essaimage des pratiques agroécologiques dans les pays partenaires de la coopération, tout en repérant les leviers techniques et organisationnels pour y remédier.
Premier constat : la répétition de modèles d’intervention déconnectés des contextes culturels compromet l’appropriation. Mieux vaut tester, adapter et former, plutôt que diffuser sans ancrage social. Le second frein majeur réside dans le manque de dispositifs d’évaluation qualitative : les indicateurs chiffrés – hectares reverdis ou arbres plantés – occultent les transformations sociales, pourtant essentielles pour mesurer la durabilité.
D’autres obstacles tiennent aux barrières linguistiques et cognitives : un langage technocratique éloigne les bénéficiaires. Les participant.e.s à l’atelier ont plaidé pour des outils de vulgarisation adaptés : radios communautaires, théâtre-forum, foires paysannes, traduction systématique des supports en langues locales, etc.
Sur le plan économique, la pénibilité du travail et la faible rentabilité immédiate des pratiques durables restent des freins, notamment pour les femmes. Les solutions avancées incluent les financements souples et adaptés, la mécanisation légère, les brigades communautaires et l’appui à l’entrepreneuriat vert pour les jeunes. Enfin, la sécurisation foncière apparaît comme la condition sine qua non d’un investissement durable : sans accès à la terre, les paysans n’ont aucune raison de planter un arbre ou d’entretenir un ouvrage de conservation des eaux et sols.
Les participant·e·s à l’atelier ont mis en lumière des incohérences structurelles : les subventions nuisibles à l’environnement, toujours massives dans les portefeuilles agricoles et énergétiques, sapent les efforts de restauration. Les bailleurs devraient plutôt concevoir des financements pluriannuels couvrant plusieurs cycles agricoles et articuler l’aide publique au développement avec les mécanismes climatiques internationaux.
Le manque de coordination entre partenaires, la faible mutualisation des indicateurs et la temporalité courte des projets freinent la transition. À l’inverse, les leviers identifiés reposent sur trois dynamiques :
Les échanges ont aussi souligné la nécessité d’un changement de paradigme dans la communication : ne plus parler seulement de « lutte contre la désertification », mais de construction de territoires vivants, capables de produire, d’innover et de transmettre.
En conclusion, les organisations réunies à Bruxelles ont formulé des messages de plaidoyer à destination des gouvernements, bailleurs et Organisations non gouvernementales (ONG) :
Au-delà de ces recommandations, aucune politique internationale ne peut être crédible sans ancrage local. Les communautés rurales, les femmes et les jeunes doivent être considéré·e·s non comme des bénéficiaires, mais comme des co-architectes de la résilience. À l’heure où la désertification menace les équilibres planétaires, la diplomatie du vivant ne se négocie pas dans les couloirs, mais se construit sur les sols, avec celles et ceux qui les font vivre.
Pour aller plus loin sur l’atelier de Bruxelles, consulter la page publications du site de Minka, le rapport complet sera disponible prochainement.
(1) https://www.cifor-icraf.org/k4ggwa/