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14 mai 2023

1983-2023 : gloires et limites de la microfinance

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Marc scaled 1 - : 1983-2023 : gloires et limites de la microfinance
Illustration : Juan Mendez.

La microfinance à destination des populations défavorisées a quarante ans. La microfinance d’aujourd’hui ressemble-t-elle encore à celle des années quatre-vingt  ? SOS Faim a été l’une des ONG pionnières de la microfinance en Belgique. Actuellement, environ 20% des partenaires de SOS Faim sont des institutions financières rurales.

Après plusieurs années d’expérimentations, c’est en 1983 que la banque Grameen est créée au Bangladesh par le professeur Yunus. Son principe ? Financer avec des microcrédits des activités génératrices de revenus menées par des femmes via la mise en place de groupes de caution solidaire. C’est « l’invention » de la microfinance dans les pays en voie de développement. Depuis lors, le mouvement s’est amplifié et la microfinance a été reconnue au niveau international. Le professeur Yunus a reçu le prix Nobel de la paix en 2006.

Années 80 : les ONG à l’initiative

Financer des activités économiques autrement que par des donations, telle était l’idée de base : on recherchait une cohérence en termes d’outil. Les premières initiatives ont clairement été prises par des Organisations non gouvernementales (ONG), dans un contexte marqué par la « révolution conservatrice » incarnée par Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. C’était le temps de la mise en place de programmes d’ajustement structurel imposés à de nombreux pays en développement par le Fonds monétaire international. La doctrine de l’époque prônait moins d’Etat et plus de place au secteur privé.  Bien que ses promoteurs ne l’auraient sans doute jamais admis à l’époque, on réalise aujourd’hui, avec le recul de quatre décennies, que les débuts de la microfinance n’étaient pas forcément en flagrante contradiction avec la doctrine néo-libérale du moment.

Années 90 : l’essor

Porté par les ONG au départ, le secteur attire, après quelques années de gestation, de nouveaux types d’acteurs, notamment les banques locales et internationales. Des investisseurs éthiques apparaissent également, comme la coopérative ALTERFIN créée en Belgique par des banques éthiques et des ONG.

Des standards de type financier sont établis pour permettre de comparer l’efficience, l’efficacité et la durabilité des institutions de microfinance.

Pour cette décennie, on parle volontiers d’industrialisation et de commercialisation de la microfinance. La notion de concurrence apparaît et on observe les premières fusions et acquisitions. Le secteur se concentre peu à peu et il faut noter que cette tendance persiste encore actuellement. En 2021, selon le baromètre de la finance inclusive, les 100 plus importantes institutions financières offrant des services de microfinance représentaient  70% des crédits en cours.

Dans les années 90, la microfinance est vraiment présentée comme l’une des principales solutions pour sortir des centaines de millions de personnes de leur situation de pauvreté. Et ce malgré le débat naissant sur les taux d’intérêts élevés observés pour les microcrédits. Ces taux élevés sont justifiés par les uns en raison de la multiplication des opérations avec de très faibles montants et des risques élevés encourus par les institutions, mais remis en question par les autres en observant un certain nombre d’excès et de dérapages, à la suite de la recherche de profits conséquents.

Années 2000 : le doute

Les premières crises systémiques apparaissent et touchent des pays comme la Bolivie, le Nicaragua, le Maroc. Incapables de rembourser et englués dans des cycles de multiples endettements, des paysans se suicident en Inde. Les services financiers proposés répondent-ils vraiment aux besoins ?

L’exposition de la microfinance après l’année internationale de 2005 et l’attribution du prix Nobel au professeur Yunus en 2006 génèrent inévitablement leur lot d’analyses critiques : le lien entre la microfinance et la réduction de la pauvreté est remis en question à la lumière notamment des coûts très élevés des crédits octroyés.

Les effets de la microfinance sont relativisés. Elle est alors présentée comme un outil parmi d’autres qui ne peut fonctionner que s’il existe un environnement et des politiques publiques favorables : un soutien aux secteurs financés (en particulier l’agriculture), l’existence d’infrastructures de communication performantes, un contrôle des marchés et une supervision protégeant davantage les clients.

A l’aube des années 2000, et en parallèle, des praticiens de la microfinance développent son deuxième pilier : le volet social avec le développement d’outils de mesure de la performance sociale des institutions financières. Il s’agit à la fois d’une volonté de répondre aux critiques exprimées, mais aussi d’améliorer substantiellement le fonctionnement des organisations.

La performance sociale est définie par le groupe consultatif d’assistance aux pauvres (CGAP –Banque mondiale) comme la traduction effective dans la pratique des objectifs sociaux d’une institution. Un passage du discours aux actes en somme. Le lien entre les piliers financier et social est censé permettre de concilier la durabilité financière et l’objectif social d’amélioration de la vie des populations desservies.

En d’autres termes, il s’agit d’un cercle vertueux : une performance sociale de qualité va améliorer la santé financière de l’organisation, les clients sont satisfaits et donc fidélisés. Les crédits adaptés à la demande sont mieux remboursés. Le portefeuille de crédits est de meilleure qualité et donc, les coûts des institutions financières sont mieux contrôlés.

Si elle intéresse donc clairement les acteurs de terrain, la notion de performance sociale va également rapidement concerner les bailleurs de fonds et les investisseurs. Une performance sociale de qualité permet en effet d’orienter et de justifier leurs choix.

2010 : les années vertes 

La microfinance verte se développe dans les années 2010, parallèlement avec la mise en question de l’impact de la microfinance, mais sans qu’il soit possible de faire un lien entre les deux. Cela cadre également avec une concurrence accrue entre institutions financières.

Ces financements verts peuvent prendre 4 voies différentes :

  • Le développement de produits verts comme le soutien à l’agroforesterie, à l’agriculture biologique, au traitement et au recyclage de déchets, aux énergies vertes ;
  • La réduction de l’empreinte écologique de l’institution financière ;
  • La limitation de l’impact des activités des clients (par exemple, via l’interdiction du financement de la fabrication de charbon de bois) ;
  • La sensibilisation des clients aux questions environnementales.

Ces différentes approches se sont assez largement développées dans les institutions financières. On estime qu’au moins 50% d’entre elles sont concernées. Cependant, les volumes de crédits octroyés restent relativement limités (de l’ordre de 10 % du portefeuille).

Cette démarche de finance verte est une combinaison de pragmatisme et d’éthique.

Il s’agit d’une approche pragmatique pour répondre à la fois à une pression des bailleurs et des investisseurs, mais également pour offrir de nouveaux produits compétitifs dans un marché de plus en plus concurrentiel.

La démarche éthique permet aux organisations de concrétiser leur responsabilité sociale et de respecter la cohérence avec leur mission.

Les évolutions des dernières années :

A partir de 2015, trois questions prédominent : la finance à impact et/ou inclusive, les objectifs de développement durable et la digitalisation.

  • L’impact et l’inclusion

On assiste à un glissement sémantique progressif de la microfinance vers la finance à impact et/ou finance inclusive.

Le terme finance à impact permet en effet de répondre aux critiques en mettant l’accent sur les résultats. Pour le ministère français de l’économie, la finance à impact désigne « tout investissement qui recherche explicitement et simultanément rentabilité économique et création d’un impact social et environnemental positif et mesurable ».

Des secteurs comme les énergies renouvelables, l’agriculture durable, la solidarité intergénérationnelle font partie de la finance à impact et la recherche de l’impact social et environnemental implique une obligation de résultats.

Pour l’ONG luxembourgeoise spécialisée ADA, « la finance est inclusive à partir du moment où elle permet à une population donnée, que ça soit une famille, un jeune entrepreneur, une entreprise de plus grande taille, d’accéder à un ensemble de services et de produits, parfois personnalisés, qui répondent à un besoin spécifique. »

Ces produits ou services peuvent être de type financier, comme l’accès à un crédit spécifique, à un système de paiement dématérialisé, la souscription à une assurance ou encore à un système de gestion des transactions. Mais ils peuvent également être de type non financier : participation à une formation, disposer d’une aide juridique ou comptable, accompagnement à la création d’entreprise.

  • Les objectifs de développement durable (ODD)

Parallèlement à ce glissement sémantique, un lien explicite est établi depuis quelques années avec les ODD validés en 2015.  Huit ODD sont clairement mis en relation avec la finance inclusive :

  1.  Eliminer la pauvreté;
  2. Eliminer la faim –assurer la sécurité alimentaire;
  3. Bonne santé et bien-être;
  4. Egalité des sexes;
  5. Promotion de la croissance économique et de l’emploi;
  6. Promotion de l’industrialisation, de l’innovation et des infrastructures;
  7. Réduction des inégalités;
  8. Renforcement des moyens de mise en œuvre, notamment par la mobilisation de l’épargne.
  • La digitalisation

Celle-ci présente un certain nombre d’avantages. Elle permet de toucher plus facilement des zones reculées. L’accès au financement se démocratise et les services sont à la fois sécurisés et rapides. Les coûts opérationnels sont réduits, notamment en réalisant des économies sur les infrastructures physiques (agences). Une opération mobile coûterait jusqu’à 30 fois moins cher qu’une opération en agence rurale décentralisée.

La banque mobile est donc en croissance : selon le baromètre 2019 de la microfinance, elle est pratiquée par environ 40% des institutions de microfinance et, par exemple, en Afrique subsaharienne, 35% de la population y a accès. L’une des contraintes reste la collaboration avec des opérateurs de téléphonie mobile, en particulier pour ce qui concerne la gestion des données.

Un état des lieux de la finance à impact

Les chiffres sont tirés du baromètre de la finance à impact produit par Convergences en septembre 2022 et de la base de données ATLAS (www.atlasdata.org).

Le secteur a connu une croissance soutenue pendant l’année 2021, favorisée par le début de la sortie de la crise de la covid. L’augmentation s’est en effet élevée à 11,2% par rapport à 2020. Il n’en demeure pas moins que plus de 2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à un service financier.

Selon les chiffres de ce baromètre, le portefeuille de prêts s’élevait à 187,3 milliards de dollars (ou 176,7 milliards d’euros) pour 156 millions de clients avec 59% de femmes. Il faut bien préciser que ces chiffres ne sont pas exhaustifs et reposent sur une démarche volontaire des institutions de microfinance qui déposent leurs chiffres dans la base de données ATLAS.

Le berceau historique (Asie) reste dominant puisqu‘il représente 72,5% des clients et 49,8% des crédits. L’Amérique latine suit avec 17% des clients et 38,8% des crédits. Enfin, l’Afrique subsaharienne est à la traîne avec 6,5% des clients et 5,1% des crédits.

Et SOS Faim dans tout cela ?

SOS Faim a été un des pionniers européens à se lancer dans la microfinance en Amérique du Sud et en Afrique, en s’engageant dans de premiers appuis à partir du milieu des années 1980. La motivation initiale était de rechercher des moyens innovants pour faciliter des activités rentables économiquement. Cette approche a valu à l’époque à SOS Faim une réputation non-fondée d’organisation non gouvernementale libérale.

Les premiers appuis ont concerné autant le milieu urbain que le milieu rural. En Amérique du Sud, plusieurs partenariats ont été mis en place avec des institutions financières travaillant dans les bidonvilles, en Bolivie, en Equateur ou encore au Pérou. Ce fut également le cas au Burkina Faso, dans la périphérie de Ouagadougou. A l’époque, SOS Faim a également mis en place un fonds de garantie en faveur des organisations paysannes sénégalaises. Ces premières opérations ont reçu un soutien important de l’Union européenne.

A partir des années 1995/1996, SOS Faim a pris un virage nettement rural et agricole pour l’ensemble de ses appuis, donc également dans le domaine de la microfinance.

En cohérence avec les valeurs de l‘organisation, les collaborations avec les instituions coopératives et mutuellistes d’épargne et de crédit ont été privilégiées, partout où c’était possible. Le caractère démocratique des coopératives, la plus grande appropriation par les membres et l’écoute par rapport aux besoins ont notamment été mis en avant.

Actuellement, environ 20% des partenaires de SOS Faim sont des institutions financières rurales.

Le financement agricole et ses enjeux

L’agriculture reste en grande partie le parent pauvre de la finance inclusive. Les contraintes sont en effet importantes, en particulier en termes de coûts. D’une part, les frais de fonctionnement sont élevés en raison de déplacements plus longs dans les zones rurales. Par conséquent, il faut plus de personnel pour le même nombre d’opérations de crédit.

Un autre facteur de coût concerne les risques liés à l’agriculture. Les aléas climatiques et sanitaires sont très présents et exacerbés par les phénomènes dus au changement climatique.

Les risques économiques sont également très présents et peuvent affecter substantiellement la rentabilité des activités. Les marchés souvent instables et non régulés posent souvent problème.

Par conséquent, selon une étude réalisée il y a quelques années par le CTA (Centre technique de coopération agricole et rurale), la demande de financement des exploitations agricoles familiales serait satisfaite seulement à hauteur de 25% et il manquerait plus de 122 milliards d’euros, surtout pour les chaînes de valeurs dites instables. Il est plus facile de financer du café ou du cacao garanti par des contrats d’achat à l’exportation que des filières locales comme le mil ou le sorgho en Afrique subsaharienne ou la pomme de terre en Amérique du Sud.

Dès lors, la question du modèle agricole encouragé par l’accès au financement se pose concrètement. Les circuits courts pour des cultures vivrières locales sont rarement priorisés par les institutions financières, au détriment de cultures de rente et d’exportation. En outre, dans un certain nombre de pays ou régions et ce à la demande des producteurs eux-mêmes, les politiques publiques existantes favorisent encore l’accès à des engrais et pesticides de synthèse ou des semences sélectionnées.

Voilà très probablement le principal défi pour les années à venir de la finance inclusive dans le domaine agricole : soutenir la transition agroécologique et des systèmes alimentaires durables, en passant à l’échelle et en tenant compte des trois piliers nécessaires, économique, social et environnemental. Qui trouvera la clé ?

Un article de Marc Mees

Marc Mees a été le responsable service appui partenaires de SOS Faim de 1988 2013 et de la gestion des connaissances de 2013 à 2023.

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