13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite29 juin 2020
Le 30 juin 1960, il y a cette année 60 ans, l’indépendance du Congo était proclamée. « Les dirigeants qui se sont succédé à la tête du Congo ont exploité les ressources naturelles du pays au détriment de l’agriculture durable », explique Baudouin Michel, enseignant à la faculté d’agronomie de Gembloux (Belgique) et à l’ERAIFT, l’Ecole Régionale Postuniversitaire d’Aménagement et de Gestion intégrés des Forêts et Territoires tropicaux, basée à Kinshasa. Baudouin Michel est également caféiculteur au Kivu. Il vit la majeure partie du temps en RDC.
Avant l’indépendance l’agriculture congolaise a subi l’économie léopoldienne précoloniale, suivie par la période coloniale. Pouvez-vous retracer les caractéristiques principales de ces deux périodes ?
Baudouin Michel : Le système précolonial (1885 – 1908) fonctionnait selon la logique de l’économie de rente avec des zones d’exclusivité, l’absence de concurrence, une imposition des termes de l’échange, des rapports de prix entre les producteurs et les acheteurs exportateurs fixés de manière monopolistique avec des marges énormes sur le caoutchouc et sur l’ensemble des denrées. Les hommes au service de Leopold II emprisonnaient et allaient même jusqu’à exécuter les commerçants arabes qui tentaient de les concurrencer.
Il faut attendre la fin de la période coloniale (1908 – 1960) avant de voir apparaitre un plan sectoriel robuste. Le Plan de développement socio-économique du Congo belge 1949 – 1959 comprenait des instructions détaillées, avec des indicateurs ciblés, de bonnes analyses du rapport coût/efficacité, mais avec un problème flagrant à la lecture des indicateurs d’objectifs : ceux-ci étaient constitués de deux colonnes, une pour la minorité blanche et une autre pour la majorité congolaise. L’apartheid état complet. La fonction publique comprenait trop peu d’effectifs, elle était coercitive et n’avait pas pour vocation de rendre service à la population congolaise. Aujourd’hui encore, aux racines du mal, ce problème est toujours présent : les Congolais n’ont jamais pu recourir à une fonction publique forte.
Le Congo était le deuxième producteur d’huile de palme au monde. Le pays se classait également dans le peloton de tête de la production d’hévéa et de café. L’agriculture vivrière n’était pas une priorité mais fonctionnait grâce à une main-d’œuvre bien encadrée. L’Institut national pour l’Etude agronomique du Congo belge de Yangambi était la plus grande station de recherche et d’agriculture tropicale du monde. Cependant, le système était ségrégationniste et ne mérite pas d’être regretté.
Les premières années après l’indépendance sont marquées par les rébellions. Comment le pays pouvait-il dès lors développer son agriculture sur de bonnes bases ?
BM : En effet, lors de la guerre civile congolaise (1960 -1965), aussi appelée la « Crise congolaise », consistant en plusieurs crises gouvernementales et guerres civiles, les rébellions étaient actives sur plus de la moitié du territoire et dans une grande partie des zones de production des cultures de rente. Les dessertes agricoles n’étaient plus entretenues. En climat tropical, avec les pluies, si vous ratez une saison d’entretien, c’est difficile à rattraper… La prise du pouvoir de Mobutu en novembre 1965 et l’arrêt des sécessions et autres rébellions ont favorisé une relance des investissements agricoles, très importants jusque 1973, avec une période de croissance très forte de l’économie impulsée notamment par l’agriculture.
Cette embellie fut de courte durée. Le pays change de nom en 1971, devient le Zaïre, une nouvelle constitution est adoptée en 1974, qui implique la zaïrianisation forcée, la centralisation et la concentration croissante du pouvoir. Comment analysez-vous cette période du point de vue agricole ?
BM : Réalisée en novembre 1973, la « zaïrianisation » entraîne la nationalisation des grandes plantations, ce qui aurait pu sembler rationnel dans le contexte, sauf qu’elle nationalisait aussi tous les petits planteurs qui constituaient le poumon agricole du pays. L’agriculture de rente s’est effondrée à la suite de cette erreur et ne s’en est jamais relevée, même s’il y a eu quelques relances des plantations de café, grâce à la demande mondiale. L’écrasante majorité de plantations de cultures pérennes étaient abandonnées à la fin des années 80 (palmiers, hévéa, café, cacao, quinquina, thé).
Entretemps, les cultures vivrières ont continué à augmenter au rythme de la croissance démographique, mais par augmentation des surfaces plutôt qu’une augmentation de la productivité. L’agriculture est restée itinérante, elle défriche, coupe de la forêt, au lieu de miser sur une augmentation de la productivité induite par la recherche et de meilleures pratiques agricoles.
Le régime du Zaïre de Mobutu consacrait 1% du budget national à l’agriculture. Il n’a jamais donné des moyens pour mettre en œuvre un plan de relance. 1% du budget pour un plan qui concerne 90% de la population qui vit de l’agriculture, ce n’est pas une relance. Le pays misait sur ses rentes minière, pétrolière, forestière, foncière, alors que l’agriculture exige de créer de la valeur ajoutée, de travailler plusieurs mois ou années avant d’avoir une production. La majeure partie du budget de l’Etat de Mobutu venait en réalité de la Gécamines (Société générale des carrières et des mines).
Laurent-Désiré Kabila a renversé Mobutu en 1997, au terme de ce qu’on appellera la Première Guerre du Congo (1996-1997). Un an après, le président Kabila était déjà confronté à la Deuxième Guerre du Congo (1998-2003). Qu’a-t-il pu faire ?
BM : Laurent-Désiré Kabila a eu très peu de temps. Il a pris Kinshasa en mai 97 et en août 1998 il repartait en guerre. Je pense qu’il avait une vision plus équitable que son prédécesseur du développement de l’agriculture familiale. Mais en période de guerre ce sont à nouveau les règles précoloniales qui s’appliquent. Ainsi, jusqu’en 2003, le chef de guerre Jean-Pierre Bemba, fondateur du Mouvement de Libération du Congo, qui contrôlait une grande partie de la province d’Equateur, a importé du sel de Namibie via Douala au Cameroun et Bangui en République Centrafricaine… Il a forcé les paysans à échanger ce sel contre du café qu’il exportait selon des termes d’échange léonins qu’il imposait. Les commerçants indo-pakistanais qui essayaient de le concurrencer dans sa zone étaient mis en prison.
Joseph Kabila, fils du président Laurent-Désiré Kabila, a succédé à celui-ci après son assassinat en janvier 2001… Le pays étant encore en guerre à cette période, combien de temps faudra-il pour aboutir à des réformes agricoles ?
BM : Un ami congolais m’a dit un jour, en forme de boutade, que « l’absence de politique agricole en RDC est la politique agricole de la RDC »… En 2011, le président Joseph Kabila a promulgué la « Loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture », appelée « Loi agricole », mais sans véritable volonté politique au sommet. Malgré une décentralisation sur papier, le déficit en ressources humaines est resté énorme dans plusieurs provinces du pays. La décentralisation demande de redistribuer les moyens financiers et l’application de contre-pouvoirs face aux abus d’autorité et de corruption. Dans certaines provinces plus riches, la décentralisation fonctionne. Mais trop de régions sont encore délaissées, aux mains de petits potentats, sans syndicats et sans contre-pouvoir face aux décisions arbitraires.
En 2012 j’ai eu l’occasion d’assister à un séminaire qui réunissait les grands bailleurs de fonds et les ministres de l’Aménagement du Territoire, du Plan, de l’Agriculture, des Affaires foncières, des Mines et du Pétrole. Le ministre des Mines et des Hydrocarbures de l’époque y a tenu un discours extrêmement clair. Il a dit à ses collègues : « Vous avez maintenant un cadastre foncier, un code agricole, un code forestier, et un code minier… Je vous avertis, chers collègues, que tous les cadastres sont asservis aux priorités du cadastre minier. Si demain on trouve de l’or ou du diamant en dessous de ce grand hôtel nous l’abattrons pour en faire une mine. »
La RDC a connu de nombreux projets de développement agricole. Comment les analysez-vous ?
BM : Il y a eu beaucoup de bonne volonté de promotion de l’agriculture familiale de la part des bailleurs, qui s’est traduit par une série de projets, comme ceux en agroforesterie sur les plateaux Batéké, financés par l’Union européenne. L’agriculture y est durable et des ménages paysans y gagnent 500 dollars par mois, ce qui est énorme en RDC.
Il existe beaucoup d’expériences positives en RDC, dans les filières cacao du Kivu, dans le secteur coopératif en province d’Equateur, mais sans volonté politique au sommet de l’Etat qui permettrait de maximiser l’impact de toutes ces expériences réussies. Au Katanga, par exemple, de nouvelles semences de maïs ont été produites par des petits agriculteurs, mais au lieu de les acheter, le gouvernement a préféré importer des semences de Zambie. L’explication probable est la propension à importer des acteurs économiques et politiques, malheureusement souvent liée à l’obtention de rétrocommissions sur les importations (utilisation du mécanisme de prix de transfert à l’importation qui systématiquement surfacture les importations et sous facture les exportations). Ce type de mécanisme pervers pour l’économie congolaise n’est évidemment pas possible si les fournisseurs de semences sont des petits paysans congolais. Autre exemple : un programme remarquable concernant le cacao dans le Kivu, qui encadrait 30 000 producteurs avec une vision équitable de la filière, s’est heurté aux exportations frauduleuses vers l’Ouganda, ce qui a complètement déséquilibré les comptes de la filière en RDC.
Au lieu de renforcer l’impact et la viabilité des projets, le précédent régime s’est engouffré dans la logique des parcs agroindustriels, soutenus, malheureusement, par la Banque mondiale. On a assisté au « mauvais remake » de l’éléphant blanc que la Belgique avait financé dans les années 70 à Kaniama-Kasese. C’était le « modèle » de parc agro-industriel, à la frontière du Kasaï et du Katanga, avec des milliers d’hectares de maïs et de soja, des moissonneuses batteuses, des avions épandeurs. C’était un des scandales de la coopération, la caricature parfaite de la production agro industrielle sans paysannat, avec des ouvriers et des importations de matériels agricoles manifestement inadaptés et clairement surfacturés au profit de fournisseurs belges qui sont toujours des acteurs économiques en place à Kinshasa. Il n’y a jamais eu de sanctions concernant cet éléphant blanc financé par la Belgique, ni en RDC, ni en Belgique.
Le domaine de Bukunga-Lonzo, près de Kinshasa, à la frontière du Bandundu, a suivi la même logique, et pire encore, sur des sols fortement dégradés alors qu’il existe des solutions en agroforesterie qui permettent d’augmenter les rendements de ces sols sableux et de faire vivre quelques milliers de familles sur le domaine. Comme il fallait s’y attendre, ce parc a périclité. Bukanga Lonzo est à l’arrêt alors qu’il était possible d’y investir dans des projets agro-forestiers durables. Le précédent régime avait l’idée de promouvoir 20 parcs agro-industriels avec l’appui de bailleurs de fonds. Heureusement, tout s’est arrêté, tous ont fini par comprendre que ce n’est pas ce qu’il faut faire.
On peut également mentionner le cas de l’entreprise Plantations et huileries du Congo, devenue une filiale de la canadienne Feronia en septembre 2009. Pour éviter qu’un projet comme Feronia ne soit sujet à des dérives, il faut un Etat fort, mais juste et régulateur. Je crois beaucoup dans un redémarrage de l’agriculture avec des projets d’agriculture contractuelle. Mais cela nécessite des services publics, une administration efficace. Il y a de belles expériences coopératives de café arabica et de cacao dans le Kivu. Mais le problème sécuritaire n’est pas réglé. Les différences entre les taxes en vigueur au Congo et celles des pays voisins sont trop grandes et incitent à la fraude. On en revient invariablement au problème d’absence de politiques agricoles qui garantiraient l’avenir de tous les bons projets.
Quelle est l’étendue réelle des pouvoirs du président Félix Tshisekedi depuis sa prise de fonction en 2019 ? En juin dernier, son conseil de ministres a validé un Plan national de relance agricole (PNRA), chiffré à 4,4 milliards de dollars pour une durée de trois ans. Le ministère de l’agriculture veut promouvoir les cultures vivrières dans tout le pays, notamment, de cultures du maïs, de riz, du manioc et de haricot. Peut-on enfin espérer une vraie politique agricole pour la RDC ?
BM : Le Président Félix Tshisekedi déclare vouloir promouvoir l’agriculture paysanne et même vouloir augmenter le budget agricole de l’Etat jusqu’à 10%. La mise en place de cette vision serait une véritable rupture par rapport au passé. Mais dans les faits, l’économie du Congo reste pour l’instant dominée par des oligopoles et des monopoles qui renchérissent les transactions sur l’ensemble de la chaine de valeur. Les paysans en payent le prix. C’est très rare qu’on monte au-dessus de 20% de la valeur ajoutée d’une filière en faveur des producteurs au Congo. Alors qu’en Côte d’Ivoire, on est à 55%, au Vietnam à 85%…
Le gouvernement actuel de la RDC est un gouvernement de cohabitation, dans lequel des décideurs politiques du passé récent sont toujours présents. Le Président Félix Tshisekedi souhaite avancer et veut arriver aux 10% de la Déclaration de Maputo, petit à petit, en augmentant de quelques % chaque année. La situation reste très inégale en fonction des régions. Aujourd’hui, à l’exception de la province du Kongo-Central, toutes les régions sont en situation d’insécurité alimentaire. Il y a encore du travail pour les prochaines années du mandat
Propos recueillis par Pierre Coopman
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