13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite13 octobre 2018
Cultiver une terre dont on peut être expulsé. Une réalité pour de nombreux petits producteurs africains. Détenteurs d’un simple droit d’usage, leurs terres sont menacées. Leurs revenus et leur sécurité alimentaire également. Pour les protéger, le titre foncier est souvent invoqué. Mais ce titre peut exclure autant qu’il protège. Retour sur un instrument controversé.
Avant la colonisation, l’attribution des terres reposait sur la coutume dont les garants étaient les chefs coutumiers. Le droit d’occuper la terre était reconnu de manière informelle par la communauté. Cela équivalait en quelque sorte à un « cadastre social ».
Les colonisateurs ont tenté de modifier ce système, de le formaliser. Ils ont introduit la notion de propriété privée et de titre foncier. Ce système, basé sur l’écrit, a été maintenu après les indépendances et coexiste aujourd’hui avec la coutume. Deux mondes qui souvent s’ignorent. Car les populations rurales se soucient peu, sauf lorsque leurs terres sont menacées, de disposer d’un titre. De la même façon, l’État ne reconnaît généralement pas la coutume.
C’est notamment le cas au Sénégal. Dans ce pays, les terres sans titres (95 % du territoire) sont reprises dans le « Domaine national ». Un domaine qui n’appartient normalement ni à l’État, ni aux usagers, mais à la Nation.
La grande majorité des agriculteurs cultivent une terre dont ils s’estiment propriétaires, mais ne disposent pas d’un droit de propriété. Seul un droit d’usage leur est reconnu. Une situation ambiguë surtout lorsque l’État conserve le droit d’incorporer ces terres dans son domaine privé pour raison d’utilité publique. Une notion qu’il interprète parfois extensivement.
Si le titre foncier renvoie à une vision exclusive de la propriété, la coutume, quant à elle, ne prévoit pas de séparation nette entre propriétaires et exploitants. La terre appartient à une multitude d’acteurs (clan, famille). La responsabilité est collective et la notion de partage, omniprésente.
Les droits sur la terre se superposent et se répartissent entre usagers (éleveurs, agriculteurs, etc.). L’accès aux ressources rares peut également être partagé. La coutume s’adapte aux besoins. Elle est évolutive. Mais elle a aussi ses limites. Des inégalités subsistent, à l’égard des femmes et des migrants notamment. Elle ne protège pas non plus contre l’accaparement.
En théorie, le titre protège, diminue les conflits et favorise, en facilitant l’obtention de crédits, l’investissement. Son efficacité nécessite cependant un environnement politique favorable. Sans administration foncière accessible et fiable, ce système exclut les petits producteurs et facilite l’accaparement des terres. Sa capacité à favoriser l’investissement est également controversée. Les banques, même en présence d’un titre, sont réticentes à l’égard des petits producteurs.
Avec le titre foncier, le risque est également grand de voir les petits producteurs vendre leurs terres. Un profit immédiat qui les expose sur le long terme à une situation plus précaire.
Une réflexion doit être menée afin d’aboutir à un système accessible, peu coûteux et respectueux du cumul des droits sur la terre. Il devra être associé à une réelle volonté politique de soutenir l’agriculture familiale. À ce titre, pour Ibrahima Ka, juriste et chercheur au sein de l’Institut IPAR au Sénégal, le système burkinabè constitue une alternative qui mérite d’être approfondie.
Le Burkina Faso reconnaît la propriété coutumière. Plutôt que de privilégier le titre foncier, le Burkina travaille sur un système de droits de jouissance sous forme de certificats. Ces droits peuvent être cédés. Le système est peu coûteux, décentralisé et soutient les exploitations familiales. Pour Ibrahima Ka, ce régime moins « mercantile » constitue une piste intéressante. Il devra cependant être amélioré, car sur le terrain des discriminations notamment à l’égard des femmes subsistent. Le système se heurte également à des difficultés de mise en oeuvre auprès de certaines communes, faute de moyens.
Jessica Vanrenterghem, volontaire
Cet article est tiré du Supporterres n°5 de septembre 2018 « Sans terre, pas de paysans ! » Pour en savoir plus l’accès et l’accaparement de terres, consultez le numéro complet.