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18 décembre 2025

Accord UE-Mercosur : la Commission tente un passage en force malgré l’opposition agricole

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Malgré la colère qui ne faiblit pas, la Commission européenne s’entête et planifie une validation de son accord avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) ce vendredi 19 décembre en Conseil de l’UE. La présidente Ursula von der Leyen prévoit déjà d’être au Brésil le lendemain lors du sommet Mercosur pour la signature de l’accord. Un tour de force antidémocratique finement calculé que la Commission prépare depuis plus d’un quart de siècle, mais le tour n’est pas encore joué…

Mercosur, encore et toujours. La Commission ambitionne de conclure cette semaine un accord entre l’UE et les pays du Mercosur. Un sujet que nous avons traité chez Humundi (1), mais nous arrivons aujourd’hui à une étape cruciale : la validation du texte par les États membres au Conseil de l’UE prévue ce vendredi 19 décembre.

Face à la réticence de longue date d’une coalition plus ou moins lâche de pays – la France avec l’Autriche, la Belgique (la Wallonie plus précisément), l’Irlande et la Pologne –, la Commission a cherché par tous les moyens à contourner la fameuse minorité de blocage que la France promettait de créer face au mécontentement des agriculteur·ice·s. Pour rappel, pour espérer une validation au Conseil de l’UE, la Commission doit compter sur une majorité qualifiée – 15 États membres représentant 65% de la population de l’UE –, ce qui lui permettrait d’évincer les revendications d’une minorité de contestataires. Pourtant, rien n’exclut qu’une minorité de blocage bloque la validation ce vendredi au Conseil.

« Si c’était voté, ça ouvrirait des portes à des productions importantes venant d’Amérique du Sud, sur des filières sensibles comme le bœuf ou le sucre » — Anne-Catherine Dalcq, ministre wallonne de l’Agriculture, 16 décembre 2025.

Pour éviter tout camouflet, la Commission a pondu à la va-vite des mesures de sauvegarde agricole. L’objectif ? Protéger les filières agricoles les plus sensibles aux importations des pays du Mercosur (bœuf, sucre, riz, poulet, etc.). Comprenez : si la Commission prétendait que l’accord n’allait pas avoir de conséquences sur le monde agricole, elle avoue à demi-mot ici que des perturbations pourraient avoir lieu sur la filière bovine. Elle l’a d’ailleurs clairement avoué durant la session de la commission du commerce international au Parlement européen le 3 novembre de cette année.

Mais voilà, nouveau caillou dans la botte de la Commission : ces mesures de sauvegarde se révèlent nettement insuffisantes pour apaiser le monde agricole.(2) Théoriquement, si des importations portent atteinte aux prix des denrées agricoles sur le marché commun, les États membres ont la possibilité d’interpeller la Commission qui pourra alors, le cas échéant, initier des investigations pour étudier ces impacts et envisager des mesures. Le problème c’est que les seuils de déclenchement de telles mesures sont trop élevés, ce qui normaliserait des variations de prix non négligeables (on parle de variations de prix supérieures à 10% du prix du marché pour que la Commission s’enquiert du problème). La société civile déplore aussi un processus chronophage et peu réactif proposé de la Commission. (3)

Le mardi 16 décembre, le Parlement a donc voté une série d’amendements afin de renforcer les clauses de sauvegarde et les rendre plus étanches aux perturbations prévues en cas de signature de l’accord. Si pour la Commission cela sonne comme une première victoire, pour les organisations agricoles et environnementales, c’est un premier pas pour réduire les répercussions de l’accord – tout en mettant en lumière qu’il y en aura malgré toutes les promesses de la Commission.

Autre subterfuge de la Commission : les mesures miroirs et le contrôle aux frontières de l’UE. Cela fait partie d’une autre demande des organisations de la société civile : obtenir des mesures miroirs pour toutes les importations agricoles de l’UE. Le principe : que les normes européennes en matière de pesticides, de bien-être animal ou de normes sanitaires soient appliquées pour tous les produits agricoles importés, quel que soit leur origine. Un plaidoyer que nous portons avec une coalition large d’acteurs belges et européens.(4)

La Commission promet en dernière minute d’accéder à une partie de nos demandes en annonçant la création d’un groupe de travail (task force) pour chapeauter les produits provenant de pays ayant des standards non-conformes à ceux de l’UE. L’exécutif propose en outre d’augmenter de 50 % les contrôles sanitaires effectués auprès des producteurs des pays tiers et promet d’accroître de 33 % les audits des opérations d’inspection aux frontières nationales dans les États membres de l’UE. (5)

Une aubaine quand on sait qu’une enquête très récente a démontré le commerce illégal de produits vétérinaires dans différents États du Brésil (6) ou encore le rappel d’un lot de bœuf brésilien présentant des traces d’hormones interdites dans l’UE. (7) Les deux évènements seraient-ils pour autant liés ? Pas du tout selon le commissaire de la direction-générale Santé, Olivér Várhelyi. L’exécutif souhaite seulement « faire appliquer les normes sanitaires et phytosanitaires en vigueur ». (8)

Pourtant, même si elle essaie de sauver les apparences, les mouvements de la Commission dévoilent des tentatives assez claires de passer en force, promettant aux États membres d’accéder à leur demande et d’apaiser leurs craintes, et ce, afin de s’éviter l’avanie d’un vote négatif en Conseil de l’UE. Après d’incessants atermoiements, la France, contrariée par ce planning au forceps, demande depuis plusieurs jours maintenant un report de planning. (9) L’instabilité de l’exécutif en France face à la colère agricole et l’épizootie de dermatose nodulaire contagieuse met la Commission dans une mauvaise posture et renforce le déficit démocratique dont la présidente von der Leyen s’est fait une spécialité.

En dernier recours, le Parlement devra donner son aval dès le début 2026 au cas où un accord est signé le 20 décembre. Pour les organisations de la société civile, c’est ici que se joue désormais le combat. Le 17 et le 18 décembre, deux mobilisations des organisations agricoles en Belgique étaient là pour rappeler que le monde agricole n’a pas décidé de faire preuve d’abattement face aux tentatives de la Commission…


(1) Pierre Coopman, « Union Européenne – Mercosur : Des deals juteux, des bœufs douteux », Humundi, 3 septembre 2025 ; « Mercosur : à la poursuite d’une vieille chimère, mais rien n’est encore joué… », Humundi, 6 décembre 2024.
(2) « Nouvelles clauses bilatérales de sauvegarde sur l’accord de libre-échange UE-Mercosur : une proposition technique inefficace face à l’impact structurel et localisé du traité », European Coordination Via Campesina (ECVC), 27 octobre 2025.
(3) Baldon Avocats, « Analysis of the bilateral safeguard mechanism in the EU-Mercosur Partnership Agreement », Climate Action Network (CAN) Europe, 2025.
(4) Amaury Ghijselings, Jonas Jaccard, Éloïse Tuerlinckx. « Double standard dans nos assiettes. Réguler les marchés agricoles via les mesures miroirs : quels impacts pour les filières belges et celles du Sud global ? », CNCD-11.11.11, Entraide et Fraternité, Humundi, 2025.
(5) Chris Horseman, « EU to ramp up agri-food import audits as Mercosur deal looms », Borderlex, 9 décembre 2025.
(6) Adam Wood, « Brazil bombshell: illegal antibiotic trade exposed », Irish Farmer Journal, 19 novembre 2025.
(7) Anna O’Donoghue, « Farm organisations outraged by Brazilian beef hormone recall », Irish Farmers Journal, 2 décembre 2025.
(8) Chris Horseman, « EU to ramp up agri-food import audits as Mercosur deal looms », Borderlex, 9 décembre 2025.
(9) Camille Gijs, Giorgio Leali, Hans von der Burchard, « France seeks to delay crunch vote on EU’s Mercosur mega deal », Politico, 11 décembre 2025.