13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite20 décembre 2021
Le lendemain de notre arrivée, nous empruntons l’une des grandes routes du pays, direction plein Nord, jusqu’à Podor, à la frontière mauritanienne. Au bord du fleuve Sénégal, l’air est pourtant chaud, très chaud et, non loin du Tropique du Cancer, le soleil frappe. Ici, la sécheresse guette souvent depuis 2002 et « les pluies sont de plus en plus irrégulières, parfois il y en a trop, parfois pas assez et, parfois même, elles viennent hors saison », nous explique Abdoulaye Racine Anne, président de l’UJAK(1), le partenaire que nous venons rencontrer.
Et pour lui, l’agriculture conventionnelle, majoritaire dans la région et le pays, n’arrange rien.
« Avec les engrais chimiques, les rendements ne font que diminuer. »
Abdoulaye Racine Anne
Sans compter qu’ils coûtent cher. Abdoulaye constate aussi une salinisation croissante des sols, ce qui ne facilite pas les cultures. Il a donc fallu réagir et l’UJAK s’est alors engagée dans l’accompagnement à la transition agroécologique et notamment, l’utilisation d’engrais à base de fumure organique.
La technique existait avant la mise en place de l’agriculture irriguée, il fallait simplement la remettre au goût du jour. Et la faire connaître aussi. Hamidou Ann, exploitant d’une ferme-pilote de 5 hectares à Kodith qu’il nous fait visiter fièrement, nous raconte : « Avant, je pensais qu’il fallait seulement mettre tout le fumier dans le champ, c’est tout. Mais avec les formations, j’ai appris à utiliser le fumier, à fabriquer le compost et utiliser les biopesticides. » Et ça, c’est bon pour le sol.
Il n’en reste pas moins que, pour lui, se lancer dans des pratiques agroécologiques n’est pas sans impact financier. Bien qu’il y gagne en ayant divisé quasiment par deux ses dépenses en engrais chimiques, il doit acquérir un moyen de transporter la fumure organique sur son champ. Comme son cheval est maintenant trop vieux, il paye 5 000 à 6 000 FCFA pour chaque transport. C’est pourquoi il doit encore utiliser un peu de chimie sur certaines parties de la parcelle. Il s’agit bien d’une « transition », un processus qui met du temps. Mais Hamidou est déterminé à passer toutes ses parcelles en bio.
Et puis la commercialisation reste encore un enjeu.
« Il faut avoir un prix rémunérateur pour le paysan »
Abdoulaye Racine Anne.
La demande est importante : « Les acheteurs viennent dans ma parcelle et choisissent d’abord ce qui est bio. Tant que ce qui est bio n’est pas terminé, ils ne vont pas aller dans une autre parcelle ou chez quelqu’un d’autre car je suis le seul qui cultive la banane bio » nous raconte Hamidou. Mais le prix est le même que pour le conventionnel alors que les coûts sont plus élevés. « Le produit est meilleur : il est plus sain et il se conserve plus longuement » plaide-t-il encore.
Ce qui l’a poussé à s’engager alors ? Sa santé et celle de sa famille. Il nous raconte qu’il a vu quelqu’un s’évanouir après avoir inhalé un produit chimique. Depuis ce jour-là, il s’est dit qu’il n’utiliserait plus jamais ce type de produit. Et depuis qu’il a lancé ses pratiques agroécologiques, il a aussi constaté que les maladies de pieds ont vraiment disparu.
« Avant d’avoir de la richesse, il faut d’abord être en bonne santé. »
Hamidou Ann
Même motivation pour Ousmane Abdoul Sall. Enseignant dans un collège, il est revenu dans son village de Pétel Dieguess pour se lancer en tant qu’agropasteur et permettre à sa famille de manger des produits sains. Il produit du gombo, des citrons, des mangues, de l’oseille et bien d’autres choses. Sans aucun produit chimique. Pour lui, « vivre au naturel, consommer naturel, pour conserver ma santé », c’est son objectif et celui qu’il veut partager en tant qu’exploitation-pilote, auprès de tous ceux qui sont intéressés. Le jour où nous visitons sa ferme, tout le village est présent pour la visite et participer à nos discussions.
Son problème à lui, c’est l’accès à l’eau. Pas de sources naturelles aux alentours mais un château d’eau, alors il s’approvisionne au robinet. Et ça coûte cher : « une fois, j’ai payé 28 500 FCFA » nous raconte-t-il. Il y a pourtant un ancien forage à côté, qui pourrait fonctionner avec une pompe solaire. Mais en attendant, il doit payer la facture et il espère pouvoir équilibrer ses comptes avec la vente d’oseille et de gombo. Il y croit beaucoup : « J’ai l’ambition de demander l’autorisation du chef de village pour avoir plus de parcelles. Je sais que notre sol est adapté pour cultiver de l’oignon et que le soleil est bon pour le maraîchage, surtout les pommes de terre et les arachides. » Aussi pour créer un jardin villageois de 5 hectares, qui bénéficierait à tous.
Comme Hamidou, Ousmane est très fier d’avoir été choisi comme exploitation-pilote. Profondément convaincus de l’utilité, de l’efficacité et de la nécessité de l’agroécologie, ils veulent partager le savoir qu’ils ont acquis et faire prospérer, dans les villages alentours, la région et pourquoi pas tout le pays, les pratiques alternatives.
(1) UJAK : Union des jeunes agriculteurs du Koyli Wirnde