13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite31 août 2023
Comment faire germer une coopération et des échanges agricoles équitables et durables entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest ? Deux réseaux d’organisations paysannes en Afrique de l’Ouest ont étudié cette question et proposent des solutions.
Selon les données publiées par le dernier rapport des Nations unies sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde (1), 735 millions de personnes, soit 9,2% de la population mondiale, souffrent de la faim en 2023. L’insécurité alimentaire concerne 29,6% de la population mondiale, soit 2,4 milliards de personnes.
Le rapport note également d’importantes différences régionales, la proportion de la population en état de sous-alimentation est par exemple de 8,5 % en Asie et de 20% en Afrique. Le continent africain reste au centre des préoccupations. Une personne sur cinq n’y mange pas à sa faim et 61 % des habitants y souffrent d’insécurité alimentaire modérée ou sévère, alors que la population de l’ Afrique subsaharienne pourrait tripler entre 2020 et la fin du siècle, passant de 1 à 3 milliards d’habitants.
C’est dans ce contexte préoccupant que deux organisations de producteur.ices ouest-africaines, le Réseau des Organisations paysannes et des producteurs agricoles (ROPPA – Afrique de l’Ouest) et le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR – Sénégal) ont édité, en collaboration avec un collectif d’ONG européennes (Humundi, SOL, CFSI, Oxfam Belgique, SOS Faim Luxembourg) une publication intitulée : Afrique de l’Ouest – Union européenne, faire germer une coopération et des échanges agricoles équitables et durables (2).
Selon les auteurs, à l’heure où l’Europe est confrontée à des crises alimentaires, économiques et climatiques, on tend à oublier que les pratiques économiques et politiques de l’Union européenne sapent la souveraineté alimentaire de ses voisins les plus pauvres. La situation en Afrique de l’Ouest en est un exemple :
« le manque de cohérence dans les relations entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne mettent à mal les acquis et les efforts fournis par l’Afrique de l’Ouest pour favoriser le développement des filières agro-alimentaires durables. »
Sur banc des accusés : les produits européennes subventionnés qui sont exportés à des prix inférieurs à leurs coûts de production et qui empêchent tout développement de filières locales concurrentes.
La publication ne fonctionne cependant pas à sens unique. Ne critiquant pas uniquement l’UE, elle s’inquiète des faiblesses des organisations interétatiques ouest-africaines, particulièrement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). À noter qu’au moment même où nous écrivons ces lignes (fin-août 2023), le coup d’État militaire au Niger entraine des risques d’intervention militaire de la part de certains États de l’Afrique de l’Ouest. Une crise militaire ouest-africaine mettrait particulièrement à mal la cohésion de la CEDEAO. Cette perspective serait déplorable à l’heure ou le ROPPA, le CNCR et ses partenaires ONG en appellent à la nécessité de plus de cohérence à la CEDEAO.
En théorie, la CEDEAO a fait du développement de filières locales une priorité, mais les financements sont insuffisants et systématiquement déforcés, les droits de douanes quasi inexistants. La souveraineté alimentaire était censée être l’objectif principal du Programme régional d’investissements agricoles et de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PRIASAN 2016-2020) de la CEDEAO, mais cette belle ambition a été directement affaiblie par les accords commerciaux avec l’Union européenne.
Etant donné la croissance démographique et les enjeux climatiques, économiques et sécuritaires de l’Afrique de l’Ouest, les auteurs conseillent à l’UE et à la CEDEAO de: « Faire un inventaire transparent de leurs pratiques en cours et des financements disponibles, afin de pouvoir, enfin, réellement co-construire un développement agricole et alimentaire durable et équitable ».
Les États ouest-africains ont également leur part de responsabilité dans l’orientation des relations de leur région avec l’Union européenne, selon les auteurs :
« La libéralisation des échanges entre ces deux blocs est un moyen de satisfaire à bas prix les besoins croissants d’une population en pleine expansion et disposant d’un faible pouvoir d’achat. Ceci est d’ailleurs visible dans leur choix d’adopter une faible taxation sur certains produits de base, comme la poudre de lait avec un tarif extérieur commun (TEC) à 5 % favorisant les importations d’un produit jugé essentiel non seulement pour assurer la sécurité alimentaire de la population mais aussi pour les industries agroalimentaires locales. Un choix qui s’opère pourtant au détriment de leurs filières agricoles locales encore fragiles et qui réclament davantage de soutien de la part des pouvoirs publics. »
Une autre source d’incohérence provient de la conduite aléatoire des Accords de partenariats économiques (APE) avec l’UE, où les Etats ouest-africains n’arrivent pas à s’exprimer d’une seule voix et privilégient leurs intérêts propres :
« Bien que certains perçoivent cet instrument comme une menace, à l’instar du Nigeria et du Sénégal qui disposent par exemple d’une filière laitière en plein essor, d’autres États comme le Ghana et la Côte d’Ivoire ont tout intérêt à obtenir un accès privilégié au marché européen pour leurs filières cacao. »
Pour couronner le tout, l’ultime source d’inquiétude est la constitution la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Trente-quatre pays africains s’y engagent entre eux a supprimer progressivement les barrières douanière sur 90 % des marchandises d’ici 5 à 10 ans. L’accord prévoit la libéralisation du secteur agricole pour favoriser le développement de l’agriculture africaine, intensifier les échanges agricoles intra-africains, faciliter l’accès à un plus grand nombre de produits et améliorer la sécurité alimentaire.
Les auteurs estiment que :
« L’accord mettra en concurrence les produits issus de l’agriculture paysanne et ceux, plus soutenus et compétitifs, issus de l’agro-industrie, entravant ainsi la viabilité et le développement des petites exploitations familiales (…) la clause de la nation la plus favorisée incluse dans certains APE (Côte d’Ivoire et Ghana), obligera les pays ouest-africains signataires à étendre à l’Union européenne les avantages commerciaux octroyés aux autres États africains, impliquant de libéraliser 90 % de leurs importations en provenance de l’UE, très au-delà des 75 % prévus dans leurs APE. Enfin, les entreprises européennes implantées en Afrique pourront profiter des APE intérimaires pour importer en Afrique, toujours sans droit de douane, des intrants en provenance de l’UE. Elles pourront ainsi produire sur le sol africain à moindre coût, puis accéder à l’ensemble du marché africain en profitant du principe des règles d’origine, qui permet aux produits cultivés ou récoltés dans un pays membre de la ZLECAF de s’échanger à un tarif préférentiel. »
Des recommandations sont formulées. Elles exhortent de limiter les effets déstabilisateurs des exportations européennes sur les systèmes alimentaires ouest-africains (I), de garantir la cohérence entre les politiques et pratiques commerciales, agricoles et alimentaires (II), de penser les accords économiques à l’aune de la construction de filières agricoles et alimentaires locales et pérennes en Afrique de l’Ouest (III) et, last but not least, de soutenir explicitement les femmes ouest-africaines, pierres angulaires de la future souveraineté alimentaire sous-régionale (IV):
« Les pays ouest-africains doivent modifier puis appliquer fermement leurs législations foncières et bancaires afin de garantir aux femmes un accès aux organismes de crédits et à l’acquisition foncière aux mêmes conditions que les hommes, avec les mêmes droits et les mêmes prérogatives. Ce changement ne sera possible qu’avec un soutien explicite de l’Union européenne, qui doit être moteur sur le sujet, faciliter des campagnes de changement et promouvoir des formations visant à informer les femmes des évolutions juridiques en cours. Il est par ailleurs clé que l’Union européenne utilise de manière systématique des indicateurs d’égalité femmes-hommes et de données désagrégées dans la totalité des financements agricoles et alimentaires, privés comme publics, qu’elle facilite à destination de la sous-région. »
Dans son introduction, Najirou Sall, président du CNCR et secrétaire général du ROPPA, souhaite que les informations contenues dans cette publication renforcent également les capacités des plateformes nationales des organisations paysannes ouest-africaines membres du ROPPA.
Une étude (3) publiée en mai 2022 par le Journal of the Agricultural and Applied Economics Association (JAAEA), en coordination avec différents centre de recherche européens, a analysé si plusieurs opinions généralement favorables concernant l’efficacité des OP sont exactes. Parmi celles-ci, entre autres, la conviction que les OP facilitent l’accès aux intrants, aux services et aux marchés pour leurs membres. Si cette affirmation ne peut pas être prouvée dans l’absolu pour toutes les OP, l’étude constate que les OP qui fonctionnent bien atteignent ces objectifs. Or, dans la plupart des pays analysés (4) la majorité des producteurs.rices agricoles ne sont pas encore affiliés à une OP.
Le renforcement des OP et leur meilleure dissémination dans les zones agricoles les plus déshéritées parait donc nécessaire et devrait également être l’une des priorités des politiques agricoles en Afrique.