13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite9 avril 2021
Le 21 février 2021, les défenseurs des agricultures familiales ont appris avec une grande tristesse le décès du leadeur paysan camerounais Bernard Njonga. Fondateur du SAILD, du journal La Voix du Paysan, de l’ACDIC et du parti politique le CRAC (Croire au Cameroun), Bernard Njonga avait été membre de SOS Faim-Belgique jusqu’en 2008 et avait présidé notre organisation à la fin des années 90.
Mais pour SOS Faim, Bernard Njonga avait surtout été le fer de lance de la campagne intitulée « Mon poulet, ma poule » qui avait abouti à la signature d’un arrêté du gouvernement camerounais interdisant l’importation de poulet congelé au Cameroun.
Afin de lui rendre hommage, nous sommes retournés dans nos archives pour y dénicher une interview de Bernard publiée dans notre revue Défis Sud en juillet 2005. Bernard était de passage à Bruxelles pour y rencontrer des dirigeants européens. La campagne contre les exportations massives de poulets congelés battait son plein. Le titre de l’article reflétait l’humour de Bernard : « Gare aux poulets ! »
En 2003, deux organisations camerounaises dirigées par Bernard Njonga, le SAILD (Service d’appui aux initiatives locales de développement) et l’Association citoyenne de Défense des Intérêts collectifs (ACDIC), interpellaient SOS Faim à propos du phénomène de l’exportation des poulets congelés. De 1994 à 2003, les importations de poulets congelés au Cameroun avaient explosé de 60 tonnes à 22.150 tonnes par an.
Le phénomène montrait de manière claire ce que provoque la dérégulation des marchés des produits agricoles à la suite d’années de libéralisation du commerce international. SOS Faim prit alors part avec Bernard Njonga à une campagne de sensibilisation et de pression en Europe, parallèlement à celle du Cameroun. La campagne exigeait l’arrêt des importations de poulets congelés au Cameroun et réclamait plus de soutien au développement de la filière avicole locale.
« Nous avons gagné une bataille mais pas la guerre ». Dès l’entame de l’interview dans Défis Sud en juillet 2005, Bernard Njonga saisissait pleinement la dimension de son combat. En agronome averti, il savait que les victoires obtenues lors de la campagne poulets congelés étaient une goutte d’eau dans un océan à vaincre. Immédiatement, il exprimait sa préoccupation pour l’avenir des filières :
« Nous souhaitons qu’on sauvegarde les métiers de la filière agricole. Surtout les petits métiers. Parce que dans cette filière, il y a ceux qui produisent les aliments, il y a les petits éleveurs, ceux qui transportent le produit de ce petit élevage vers les centres urbains, ceux qui commercialisent le poulet, ceux qui plument le poulet sur les marchés, et parallèlement, dans les villages, les artisans qui fabriquent les paniers qui servent au transport des poulets (…) Si on n’arrive pas à ce stade de sauvegarde des métiers, il n’est pas exclu que demain les consommateurs se tournent vers nous pour nous demander ce qu’ils auront à manger ! Nous ne sommes pas à l’abri de ce genre de plainte. »
Il y aurait d’autres combats à mener, le tribun en avait conscience :
« Pourquoi voudriez-vous qu’on produise du poulet localement et qu’on le consomme avec des produits importés ? Dans ce cas, on n’améliorerait rien au niveau de notre souveraineté alimentaire. Le maïs, le riz, l’oignon et la tomate sont importants en termes d’emplois pour la population. Ce sont des cultures qui sont maitrisées par les petits producteurs. Et si ces cultures sont attaquées comme l’a été le poulet, je trouve qu’il est normal de faire quelque chose. »
Une campagne réussie crée des perdants. En 2005, au Cameroun, des importateurs avaient subi des redressements fiscaux. Bernard Njonga savait cependant qu’au final il faudrait rassembler tout le monde autour de la cause de l’ACDIC :
« Nous encourageons les anciens importateurs de poulet à se reconvertir en producteurs. Car si les importateurs investissent dans la filière, ils comprendront que c’est absurde d’importer. Mais le risque peut aussi venir des consommateurs. Car les habitudes de consommation sont versatiles (…) C’est pour cela que nous avons inscrit la campagne dans la durée, sur une période de dix ans. A force de répéter une action l’on peut gagner la bataille. »
Et puis comme tous les hommes qui se sont fixé un but précis, il y avait cette part d’ambition qui ne s’embarrasse pas de limites, cette façon de « voir grand » qui alimente l’énergie nécessaire au combat. Lorsque nous lui demandions si son projet d’exporter du poulet camerounais en Europe était bien réaliste, il répondait :
« J’ai eu la chance de visiter une ferme intégrée dans le massif central. J’ai vu plus de 22 500 poulets entassés. C’est invivable. Quand je vois la manière dont on produit au Cameroun, je me dis que vous êtes prêts à confondre notre poulet avec votre poulet bio, si on le faisait venir en Europe, je suis sérieux. »
Bernard Njonga était un pragmatique, il aimait conclure ainsi :
« Par nature, je suis plus penché vers l’action que vers la philosophie (…) Et je crois fondamentalement qu’il est aujourd’hui impossible pour les Africains de se développer en vase clos. »
Site consacré à Bernard Njonga : http://www.saild.org/deces-de-bernard-njonga/
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