13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite17 juin 2022
Au cours des deux dernières décennies, le Pérou a connu un véritable boom gastronomique. De grands chefs péruviens étoilés, comme Gastón Acurio ou encore Pía León, ont hissé leur pays aux plus hauts rangs de la gastronomie mondiale. Si les restaurants étoilés ne sont pas accessibles à la majorité de la population péruvienne, selon le Consortium Agroécologie Péruvien (CAP), “l’essor gastronomique péruvien a immédiatement intégré les plus vulnérables en mettant en valeur l’agriculture familiale et son rôle crucial dans la sécurité alimentaire nationale”. La pauvreté et l’insécurité alimentaire restent cependant un problème alarmant au Pérou. Sont en cause, entre autres, les récentes crises mondiales, les changements climatiques et les politiques gouvernementales qui poursuivent les incitations à l’exportation au détriment des petites exploitations familiales qui possèdent pourtant un fort potentiel de développement économique.
C’est notamment la création du festival Mistura à l’initiative de Gastòn Acurio, Conveagro (un regroupement d’organisations impliquées dans le secteur agricole) et l’Apega (Asociacion Peruana de Gastronomia) en 2008 qui a permis de revaloriser l’agriculture paysanne en mettant en lumière le lien étroit qui existe entre paysans, pêcheurs et cuisiniers. Cet évènement incontournable rassemble des milliers de Péruviens et touristes curieux du monde entier venus goûter à la cuisine péruvienne, caractérisée par une biodiversité alimentaire exceptionnelle. L’objectif de ce festival : sensibiliser les autorités et l’opinion publique à la nécessité de renforcer économiquement le secteur paysan.
Cet engouement pour le raffinement culinaire péruvien a permis à 70 000 restaurants de voir le jour, employant plus de 300 000 personnes. Le secteur culinaire et gastronomique et toutes ses implications – notamment le commerce, l’industrie ou encore le transport – profitent actuellement à 5 millions de Péruvien·ne·s. Suivant cet élan, la cuisine de rue a également été mise en valeur et a permis d’inclure entre autres les pommes de terre indigènes au menu des familles côtières et urbaines, ainsi que les céréales andines.
Suite à cette revalorisation du secteur paysan et face au manque de soutien de l’État, on assiste ces dernières années dans les régions andines les plus touchées par la pauvreté à la formation de groupes d’agriculteurs qui cherchent à mettre en place des marchés stables et rentables. Partageant le buen vivir comme valeur commune qui rassemble la protection de l’environnement, la solidarité, ou encore le bien manger, ces agriculteurs se basent sur des modèles durables et des circuits courts. On constate une multiplication de ces modèles depuis les années 2000, notamment dans la région de Cusco. Dans ce département, le nombre de producteurs certifiés biologiques est passé de 3 200 en 2006 à plus de 11 200 en 2016. Cela concerne principalement la production de café ou de cacao bio majoritairement destinés à l’exportation.
Dans la Vallée sacrée des Incas, la production de maïs, de quinoa, de kiwicha et de kañiwa profite également aux marchés régionaux et nationaux. La consommation intérieure de produits bio aurait ainsi augmenté de 70 % entre 2005 et 2015.
Malgré tout, le pays reste en proie à une pauvreté et une insécurité alimentaire alarmante. La pauvreté touche un Péruvien sur quatre et, selon la FAO, 15 millions de personnes sont en état d’insécurité alimentaire, soit près de la moitié de la population péruvienne. La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont engendré une crise monétaire mondiale qui a généré une forte inflation des prix alimentaires au Pérou. L’utilisation d’engrais de synthèse bien plus coûteux que leurs alternatives organiques joue également un rôle dans
cette inflation. CAP et d’autres organisations de la société civile tirent la sonnette d’alarme : depuis 2021, l’accès à une nourriture saine et nutritive s’est grandement détérioré. On estime qu’une nourriture saine coûte désormais cinq fois plus cher qu’une nourriture malsaine issue de l’agro-industrie. Cela se traduit par une augmentation du surpoids et de l’obésité dans les zones urbaines. La population andine et rurale reste quant à elle touchée par des cas d’anémie grave : en 2020, elle touchait 40 % des enfants de moins de trois ans et 20,9 % des femmes en âge de procréer (15 à 49 ans).
Au vu de la volonté des paysans de produire mieux et des consommateurs de manger mieux, c’est maintenant au gouvernement péruvien de prendre des mesures fortes pour augmenter le budget public accordé à la petite agriculture et pour adopter des politiques de développement davantage axées sur l’accès à l’alimentation de la population.
Rédigé par Amélie Halleux, Volontaire pour le Supporterres « Manger, c’est supporter ! ».