Ce sont des récits de vie, ceux de paysannes du sud-est du Pérou, dans les vastes régions de haute altitude, entre les villes de Cuzco et de Puno. Ces femmes péruviennes s’accrochent à leurs traditions ancestrales et luttent quotidiennement pour travailler la terre, malgré la menace que représente le changement climatique.

La narration du film est équilibrée, la photographie et le travail sonore sont soignés. « Que se passera-t-il si nous arrêtons de cultiver du maïs, cesserons-nous d’exister ? » demande l’une des femmes en quechua, la langue maternelle de la majorité des paysans du Pérou.

Dans la cosmovision andine, les femmes et la terre sont fortement liées. Elles sont toutes deux capables de donner la vie. Mais la vie est menacée par la dégradation de l’environnement. À Lucre, au sud de Cuzco, Eliana Garcia explique que sa région est connue pour la culture traditionnelle du maïs. Elle pratique encore cette culture à la manière de ses grands-parents :

« À l’époque de ma grand-mère, il y avait des crapauds. C’est un régulateur de l’agriculture, les crapauds contrôlent. Mais maintenant ils ont disparu, c’est presque un luxe de voir un crapaud par ici. C’est pour cela qu’il y plus d’infestations, plus de bêtes qui attaquent. Et si l’on va continuer à traiter cela avec des produits chimiques, cela rendra la terre stérile… Mais le connaisseur de la terre, le peuple paysan, reconnait la qualité de la terre quand il en prend possession. Cela se sent. Si l’odeur ressemble au humus, alors elle a des nutriments, elle porte la vie. Mais si tu prends une terre qui est fumigée année après année, elle n’a plus cette odeur ».

Le documentaire nous sensibilise aux réalités de l’urgence climatique. Justa Quispe, une paysanne des haut plateaux péruviens, explique :

« Le calendrier agricole a changé, il ne pleut pas quand il devrait ou il pleut subitement. Les animaux souffrent du manque d’eau. Ma maman m’a dit que le temps de la faim reviendrait. Quand elle était petite, il s’est passé la même chose. Le changement climatique nous préoccupe. Le fourrage n’a pas beaucoup poussé. Le quinoa serait plus grand. Il y a des gelées, peu de pluie. La pomme de terre a gelé »

Découvrir le Pérou de l’intérieur

Le documentaire Semeuses de Vie est une perle du cinéma documentaire sud-américain. Le film avait été remarqué à la Berlinale (festival du film de Berlin) en 2019, il a ensuite été primé dans des dizaines de festivals en Europe et en Amérique. Les réalisateurs péruviens Alvaro et Diego Sarmiento portent un regard précis sur la vie des paysannes du Pérou.

Diego Sarmiento explique :

« Nous avons voulu rappeler que la célèbre gastronomie péruvienne vient du travail de ces femmes. Reliées par la sororité, elles endossent le rôle de protectrices de la terre contre l’industrialisation de l’agriculture, l’utilisation de pesticides chimiques et les semences génétiquement modifiées… Nous voulons également mettre en valeur la culture indigène du Pérou car elle est l’un des fondements de notre identité. Ce n’est pas seulement la nourriture, le Pérou c’est beaucoup plus. Nos médias prêtent peu d’attention à la vie de nos campagnes. Tout est trop centralisé à Lima, la capitale côtière, sur l’océan Pacifique. Il faut aussi montrer comment les gens vivent à l’intérieur du pays. »

Profondément attaché à la transmission de l’héritage culturel associé aux rituels ancestraux, le film parle de respect de la terre, de préservation de la qualité, de la diversité des semences, de conservation en lieu sûr, de système d’échange vertueux. Pour illustrer les vertus du don et de l’échange le film nous emmène voir une fête traditionnelle à Raqchi, un site inca situé à une altitude de 3 500 mètres. Il s’y déroule une cérémonie de troc des semences

Eliana Garcia rappelle qu’« échanger tes variétés avec les autres, c’est mieux. C’est plus riche pour ta culture et elle se développe mieux. Elle résiste mieux. Tu auras une plus grande production. » À travers l’action de femmes péruviennes comme Eliana Garcia, ce film rend hommage à des valeurs universelles.

Du Pérou à Svaldbard, vers l’avenir de la vie

Par leur travail, les cinéastes Alvaro et Diego Sarmiento suscitent des questions sur l’avenir de l’humanité et le rôle des peuples en tant que garants de l’environnement et de la vie.

Le moment le plus intense du film, nous le vivons lorsque les réalisateurs accompagnent un petit groupe de paysannes péruviennes qui ont eu l’autorisation de de se rendre dans Réserve mondiale de semences du Svalbard, dans l’océan Arctique :

« On a pensé qu’il vaudrait mieux séparer les semences pour qu’elles ne disparaissent pas. Nous avons appris qu’au Pôle Nord il existe un lieu que l’on appelle l’Arche de Noé (…) Nous étions contentes parce que nos graines ne vont pas disparaître. Mais nous étions aussi inquiètes, c’était comme quitter un être cher ».

Vous pourrez découvrir ce magnifique documentaire dans le cadre de la 14ème édition de notre Festival Alimenterre. 

Rédaction : Pierre Coopman

Le Festival Alimenterre : des films, des débats et des rencontres pour cultiver et habiter la terre autrement !

Depuis 14 ans, le Festival Alimenterre est un espace incontournable d’information et d’échanges sur les enjeux fondamentaux de l’alimentation et de l’agriculture dans le monde. À travers des cinés-débats, des rencontres, des animations et des moments festifs, le festival alerte le public sur les désordres agroalimentaires et nous fait découvrir les alternatives et les pistes d’actions pour accélérer la transition agroécologique.

Cette année, le Festival Alimenterre revient du 13 au 17 septembre à Bruxelles et en Wallonie : Namur, Liège, Verviers, Ottignies, Mons et Charleroi. Au programme : une sélection de 8 films documentaires, des courts-métrages, une programmation spéciale science-fiction, des ateliers et des concerts ! Face à l’urgence environnementale et sociale d’aujourd’hui, il est temps de créer du lien, du collectif et d’AGIR !

Toutes les infos sur : www.festivalalimenterre.be