16 avril 2025
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Lire la suite1 avril 2020
SOS Faim s’intéresse aux pratiques de production des grands brasseurs occidentaux en Afrique subsaharienne. Face au modèle proposé par ces brasseurs, nous nous interrogeons : plutôt que d’importer la matière première d’Europe pour produire la bière en Afrique, ne serait-il pas plus avantageux pour les pays subsahariens de développer leurs filières locales d’approvisionnement ? Cela ne permettrait-il pas à de nombreux agriculteurs africains de mieux subvenir à leurs besoins ? En s’approvisionnant localement, les brasseries ne risquent-elles pas d’accaparer une part des ressources nécessaires à la sécurité alimentaire?
Ces deux plus gros acteurs actuels sur le marché brassicole mondial sont largement présents en Afrique. Le livre d’Olivier Van Beemen, « Heineken en Afrique », dénonce les liens d’Heineken avec les régimes autoritaires ou le recours aux services de prostituées afin de promouvoir la marque. AB Inbev est pointé du doigt pour ses pratiques d’évasion fiscale. Mais concernant l’impact de ces méga brasseries sur l’agriculture et l’environnement, on ne sait pas grand-chose. Il est pourtant légitime de s’interroger sur les pratiques de ces groupes brassicoles, sachant qu’AB Inbev, avec 56 milliards de ventes en 2017, est le 3ème plus grand groupe de produits de grande consommation au monde, devant Coca-Cola.
L’Afrique semble aujourd’hui être le nouveau terrain de jeu des méga brasseurs occidentaux. En 2018, la Deutsche Bank estimait que la production africaine de bière représentait 7,4% de la production mondiale. Les projections de croissance pour ce marché prédisent un taux de progression de 8% par an et « le continent pourrait représenter 40% de la production mondiale d’ici 2025 ».[1]
Aujourd’hui, le marché africain est partagé entre quatre groupes brassicoles : le groupe hollandais Heineken, le groupe français Castel, le groupe britannique Diageo et le groupe belgo-brésilien AB Inbev. La production de ces groupes se concentre principalement dans quatre pays : l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Ethiopie et l’Angola. Ensemble, ces quatre groupes contrôlent près de 95% du marché d’Afrique Sub-saharienne.
En Ethiopie, ce poteau indique que de la bière de fabrication locale est vendue dans le village
Bien que la consommation et la production de bière s’accroissent en Afrique subsaharienne, on y trouve très peu de malteries industrielles pouvant approvisionner les brasseries occidentales en orge malté. Les pays n’ont pas encore la capacité d’assurer un approvisionnement suffisant et constant de malteries industrielles. La production de bières des grands brasseurs occidentaux en Afrique subsaharienne se fait quasi exclusivement à base d’orge malté importé depuis l’Europe. L’Afrique subsaharienne constitue ainsi un marché de première importance pour les exportateurs de malt européens, notamment pour la Belgique et la France. La Belgique est le premier exportateur mondial de malt et son port d’Anvers est l’un des plus grands centres d’exportation de malt. Pour la Belgique, le marché subsaharien représentait 35% de ses exportations de malt en 2018, soit plus d’un tiers.
Certaines exceptions à ce modèle de production dominant en Afrique subsaharienne existent néanmoins. Le Nigéria par exemple, a décidé de bannir les importations de céréales, dont l’orge et le malte d’orge, depuis les années 80. Cette décision a entrainé le développement de nouvelles pratiques brassicoles : « en effet, depuis cette époque les brasseries Guiness (dans le pays) se passent de l’orge malté. La Stout Foreign Extra produite par Guiness au Nigeria est fabriquée à partir de sorgho ou de maïs produits localement »[2].
En Ouganda, SAB Miller fut la première brasserie à développer une bière à base de sorgho. Grâce à une politique tarifaire favorable de la part du gouvernement, la marque était moins taxée et donc vendue 30% moins chère que d’autres marques produites à base de malt importé. « La Eagle » représente actuellement plus de la moitié du marché national. […] Si l’orge peut être remplacé par le manioc et le sorgho, le coût de production des bières issues de ces deux productions reste plus élevé. Cette donnée limite les investissements des brasseurs dans la fabrication de bière de sorgho et de manioc, dans un contexte où le prix reste le déterminant principal pour la majorité des consommateurs » [3].
Aujourd’hui, on constate que certains brasseurs, dont AB Inbev, expriment au travers de leur politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE) une volonté timide de développer la production de bière à base de céréales locales, notamment du sorgho ou du manioc. Le groupe AB Inbev, qui nous intéresse particulièrement, ayant son siège social en Belgique, a par exemple adopté une politique RSE qui ambitionne de soutenir la réalisation des objectifs de développement durables adoptés à l’ONU. Sa stratégie se décline au travers de cinq axes : la « smart agriculture », la gestion des ressources en eau, la production circulaire d’emballage, l’action climat et le « smart drinking.
Son volet « smart agriculture » prévoit que « d’ici 2025, 100% de [ses] agriculteurs soient qualifiés, connectés et financièrement autonomes »[4]. Le groupe brassicole, pour atteindre son objectif, affirme soutenir « les moyens de subsistance des communautés agricoles du monde entier, en travaillant avec plus de 35 000 agriculteurs directs dans treize pays et sur cinq continents pour cultiver des ingrédients naturels – dont l’orge, le maïs, le riz, le houblon, le sorgho et le manioc – qui nous permettent de brasser les meilleures bières »[5]. Cette initiative basée sur le développement des chaînes de valeurs et de la technologie prévoit entre autres de « renforcer le rôle de conseiller de l’entreprise, qui se base sur une approche technologique », « favoriser les progrès dans la sélection et la gestion des cultures, à travers l’amélioration de la résistance des variétés aux changements climatiques et à l’agriculture de précision » et « favoriser la transparence sur la chaîne de valeur, en particulier à travers l’utilisation des technologies de l’information ». [6]
Ne serait-il pas plus avantageux pour le développement des économies d’Afrique subsaharienne de développer des filières d’approvisionnement locales des malteries et brasseries occidentales, plutôt qu’importer la matière première d’Europe ? Cela ne permettrait-il pas à de nombreux agriculteurs africains de mieux subvenir à leurs besoins ? Mais en cherchant à développer des chaînes d’approvisionnement locales, les brasseries ne risquent-elles pas d’accaparer une part des ressources nécessaires à la production alimentaire de ces pays dont la sécurité alimentaire de la population n’est pas encore assurée ?
SOS Faim remet en cause le modèle de développement de filières d’approvisionnement locales promu par AB Inbev en Afrique subsaharienne. Ce modèle s’appuie sur le renforcement de capacités des agriculteurs via leur intégration au sein de la chaîne de valeur et l’utilisation de la technologie afin d’assurer un approvisionnement suffisant pour les malteries et les brasseurs. Cette approche risquerait de renforcer le développement d’une production agro-industrielle intensive et non durable à destination des brasseries et de créer de la dépendance de la part de producteurs envers les brasseries et malteries.
Dès lors, une des solutions ne serait-elle pas de développer, en Afrique subsaharienne, des malteries de plus petite taille, en relation directe avec les producteurs locaux et capables de produire à partir de céréales locales ? Ce modèle permettrait d’impliquer les agriculteurs familiaux locaux dans la filière brassicole africaine, tout en développant une chaine de production plus juste, durable et respectueuse de l’environnement. Bien sûr le développement de malteries de plus petite taille aurait un impact sur le coût de production de la bière. Or, les grands groupes brassicoles sont-ils prêts à diminuer leurs marges au bénéfice du développement des économies locales et de leur responsabilité sociale et environnementale ?
Rédaction : Eloïse De Keyser
[1] « Présence des grands brasseurs européens en Afrique subsaharienne : quelles implications pour les agricultures locales ? », Steven Lefaou, Février 2020.
[2] Steven Lefaou, op.cit.
[3] «Steven Lefaou, op.cit.
[4] https://www.ab-inbev.com/sustainability/2025-sustainability-goals/smart-agriculture.html
[5] ab-inbev.com, op.cit.
[6] ab-inbev.com, op.cit.