13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite9 mai 2022
Pour mettre en œuvre sa politique de coopération au développement, l’État belge utilise différents canaux. Une partie de l’Aide publique belge au développement (APD) est octroyée aux ONG, une autre à Enabel, l’agence de développement qui met en place les programmes de coopération bilatéraux du gouvernement. Dans un contexte de privatisation de l’APD et d’émergence de banques publiques d’investissement, le gouvernement belge fait aussi appel à la Société belge d’investissement pour les pays en développement (BIO).
Créée en 2001, BIO est devenu en 2013 l’acteur de référence de la Coopération belge pour le financement du secteur privé local. BIO investit dans différents secteurs avec comme objectif « de favoriser la mise en place d’un secteur privé fort dans les pays en développement et émergents, pour leur permettre d’accéder à une croissance et un développement durable, dans le cadre de la réalisation des Objectifs de développement durable » (ODD).
Partout, le secteur privé occupe une place de plus en plus importante dans la coopération au développement et la Belgique n’échappe pas à la règle[1]. Les moyens alloués à la coopération au développement diminuent, mais les défis tels que le réchauffement climatique, la migration ou les ODD nécessitent des investissements toujours plus importants. Les gouvernements considèrent aujourd’hui que la participation du secteur privé est indispensable au regard de ses moyens financiers considérables et d’une efficacité supposée supérieure.
C’est dans ce contexte que l’appui au secteur privé est devenu « un axe central dans les stratégies de coopération au développement belge, y compris dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ». En 2019, l’État belge a ainsi injecté 65 millions d’euros dans le capital de BIO. Ces financements publics sont complétés par des crédits que BIO peut contracter sur les marchés internationaux grâce à une garantie royale de l’État belge. Mais ce qui fait la majeure partie des capacités d’investissement de BIO, c’est le rendement sur ces investissements, car pour BIO, développement et profit peuvent faire bon ménage.
Malgré les objectifs de développement affichés par BIO, les ONG s’interrogent sur la pertinence et l’impact de ses investissements.
Plusieurs investissements de BIO ont alarmé la société civile. Mise en péril des communautés locales, de leurs droits fondamentaux, accès à la terre ou aux ressources naturelles sont notamment pointés du doigt. En 2012, une première étude sur BIO avait été réalisée par les ONG belges et avait abouti à un travail de plaidoyer afin de réorienter ses investissements. L’étude avait notamment mis en lumière des placements dans des paradis fiscaux, des salles de sport ou dans des… casinos, très éloignés donc des objectifs de la coopération au développement ![2] Ce travail de la société civile avait abouti à une réforme de BIO en 2016.
Au tournant des années 2020, les ONG belges ont voulu évaluer les impacts de cette réforme. Dans quelle mesure les recommandations exprimées par la société civile ont-elles été prises en compte ?
Les ONG ont fait appel à un consortium de chercheurs universitaires indépendants afin d’analyser le fonctionnement de BIO et l’impact de ses investissements sur les objectifs fixés par la Belgique[3]. Bien que l’étude se soit concentrée sur BIO, elle questionne aussi plus largement le « financement du développement et de l’utilisation de l’APD pour promouvoir la consolidation et l’expansion du secteur privé dans le Sud. »
L’étude reconnait plusieurs améliorations aux cours de ces dernières années : (1) le renforcement de la politique environnementale et sociale ; (2) l’augmentation des ressources humaines allouées aux aspects non financiers ; (3) le développement d’une stratégie agricole ; (4) la part croissante du portefeuille consacrée aux énergies renouvelables et à la lutte contre le réchauffement climatique.
D’après les chercheurs, les problèmes constatés sont liés à des facteurs, tels que :
« Le nombre élevé de pays dans lesquels BIO investit [52], le montant total des investissements de son portefeuille et le montant des investissements qu’elle vise à réaliser chaque année, la centralisation de la plupart des tâches en Belgique et le manque de spécialisation dans des secteurs clés [agriculture et climat notamment]. »
Parmi les dysfonctionnements majeurs identifiés, retenons (1) la tendance de BIO à externaliser les évaluations des engagements sociaux et environnementaux de ses clients ; (2) le manque d’additionalité, à savoir de la plus-value financière et de durabilité qu’amène un investissement réalisé par BIO ; (3) l’absence de coopération entre BIO et d’autres acteurs de la coopération au développement belge ; (4) une approche sélective des ODD plutôt qu’une approche holistique ; (5) une approche genre qui reste limitée ainsi qu’une compréhension étroite des droits de l’homme, se limitant aux violations visibles (physiques et/ou environnementales) et ne tenant pas compte de la pluralité des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et du droit à l’autodétermination.
Un autre dysfonctionnement qui interpelle particulièrement les ONG est la nécessité pour BIO d’obtenir un rendement annuel de 5,5 % sur ses investissements. Cette obligation pousse BIO à investir non plus directement dans les entreprises, mais via des fonds (Private Equity Funds) qui permettent un rendement annuel de 10 à 12 %. Ces bénéfices servent alors à augmenter le capital total de BIO et sont aussi réutilisés pour financer de nouveaux projets dans d’autres pays du Sud. Ils ne sont donc pas réinvestis sur place, mais servent à rémunérer l’État belge et à atteindre ses objectifs en matière de coopération au développement. Ainsi, en 2021, BIO a été en mesure d’engager 155 millions d’euros, et ce, malgré la contraction de l’économie due à la pandémie.
Chez SOS Faim, en tant qu’organisation soutenant le développement de systèmes alimentaires durables, les investissements de BIO dans l’agriculture nous intéressent particulièrement. L’agroalimentaire est un domaine présenté comme prioritaire dans la stratégie de BIO. Les investissements réalisés dans ce secteur se concentrent sur l’agro-industrie, mais aussi, plus récemment, sur des entreprises actives tout au long des chaines de production agroalimentaires. Pour BIO, les critères principaux de ses investissements sont les potentiels en matière de création de revenus, d’emplois et de croissance économique.
L’étude conclut que la sécurité alimentaire est principalement prise en compte en termes quantitatifs (disponibilité). Cette approche de la sécurité alimentaire accorde peu d’attention aux aspects nutritionnels, à l’accessibilité réelle des aliments nutritifs ou encore au droit à l’alimentation. Elle ne tient pas compte du lien indissoluble entre les systèmes alimentaires, le changement climatique et la diversité biologique. Cela a comme conséquence de justifier les investissements de BIO dans des productions agricoles à grandes échelles de type plantation ou monoculture. Or, ce type d’investissement est souvent associé à des conflits fonciers, d’accès à l’eau, de maintien de la biodiversité et d’aggravation des changements climatiques. Le cas de Feronia PHC en République démocratique du Congo est à ce titre emblématique et a été maintes fois documenté[4].
Un exemple moins connu est celui de l’entreprise Dornord Shim (DSA) en Mongolie. Sur 30 000 hectares, cette entreprise investit dans la production monoculturale de blé et d’huile de colza. L’objectif était de réaménager 30 000 ha de terres agricoles dites « abandonnées » et de vendre son blé aux moulins locaux. En parallèle, DSA produit de l’huile de colza pour l’export, ce qui génère une source de revenus en devises fortes. En 2016, BIO a accordé un prêt d’un million d’euros et DSA a également reçu des fonds de la Mongolia International Capital Corporation (MICC). Parmi les clients de la société figurent certaines des plus grandes entreprises de Mongolie, ainsi que diverses entreprises et institutions étrangères et multinationales.
Les sources publiques disponibles soulèvent quelques inquiétudes à propos de DSA : a) la privatisation de 30 000 ha de terres, de la fertilité du sol et de l’eau, pour rémunérer en partie le capital financier international ; b) le soutien à la monoculture mécanisée, grande consommatrice de pétrole et à forte intensité de capital ; c) la rhétorique des terres agricoles « abandonnées », ce qui fait fi des usages locaux de la terre (croyances, élevage..) ; d) l’absence de tout autre investissement agricole de BIO dans les petites exploitations de la même région/pays ; e) l’absence de toute réflexion sur l’incidence du projet sur le système alimentaire local existant, au-delà du fait qu’il augmentera la production agricole.
Il apparait donc que les investissements de BIO ne tiennent pas suffisamment compte des déséquilibres de pouvoir et de la répartition inégale de la valeur. L’accent mis sur la productivité, l’exportation et la compétitivité au sein des chaînes alimentaires peut être contraire à l’objectif de réduction de la pauvreté. Pour permettre des investissements plus cohérents dans le domaine de l’agriculture, BIO devrait notamment renforcer la connaissance de son équipe concernant les systèmes alimentaires et les risques liées aux exploitations à grandes échelle, exclure les investissements les plus risqués (plantation, OGM), adopter une définition plus complète de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et un engagement clair en faveur du droit à l’alimentation. De manière plus générale, BIO devrait engager un dialogue structurel avec les autres acteurs de la coopération au développement si elle souhaite s’améliorer et aligner ses investissements sur les orientations de la Direction générale du développement (DGD) et de la ministre Kitir en faveur de l’agroécologie.
Réalisé par :
[1] http://www.inter-reseaux.org/IMG/pdf/ir-issala-sos_note_secteur_prive_fr.pdf
[2] https://issuu.com/www11be/docs/20120621_biodossier_eng/7
[3] https://medialibrary.uantwerpen.be/files/8518/cae7e1cb-d7cc-4126-bfc9-89923537de97.pdf
[4] https://grain.org/fr/article/6603-un-nouveau-rapport-illustre-l-echec-monumental-du-financement-par-les-banques-de-developpement-europeennes-d-une-plantation-de-l-ere-coloniale