Agir avec nous

image
Nos articles > Biodiversité : mettre sous cloche 30% de la planète ne suffit pas

9 février 2023

Biodiversité : mettre sous cloche 30% de la planète ne suffit pas

icone

Entretien avec Salima Kempenaer, négociatrice à la COP de Montréal :

La 15e conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique s’est tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022, sous présidence chinoise. Un accord a été trouvé. Salima Kempenaer était négociatrice dans la délégation belge. Interview :

Salima Kempenaer, qui est également la vice-présidente de SOS Faim, travaille au Service public fédéral santé et environnement dans le département biodiversité et gouvernance. Elle est attachée en relations internationales et a participé avec la délégation belge à Montréal aux négociations qui ont eu lieu dans le cadre de la Convention sur la biodiversité, une des trois conventions de Rio de 1992 (changement climatique, lutte contre la désertification et diversité biologique).

La délégation belge était composée d’experts du Fédéral mais aussi des Régions. En tant que déléguée belge à Montréal, Salima Kempenaer était désignée pilote du sujet «mobilisation des ressources» qui négocie l’organisation des moyens financiers et les capacités humaines nécessaires afin de permettre la mise en œuvre des accords :

On négocie au nom de l’Union européenne, précise Salima Kempenaer. Le travail consiste à analyser les documents, à définir un positionnement belge sur ces documents, qui sera d’abord défendu au sein de l’UE. En conséquence, à Montréal, on négocie à 27. L’Union y parle d’une seule voix. La position européenne est défendue par un.e porte-parole qui est accepté.e par les 27. Mais évidemment, un des principaux points de controverses est le financement.

On a vu et entendu des campagnes en faveur de la préservation de la biodiversité de 30% de la planète. Est-ce suffisant ?

Clairement non. Si l’on avait obtenu que 30%, nous aurions été face à un échec à Montréal. Il s’agit d’une protection de 30% des surfaces de la planète, tant aux niveaux terrestres qu’aquatiques, qui ont le statut d’aires protégées. Mais mettre sous cloche 30% de la planète ne suffit pas à préserver la biodiversité. Il faut en plus s’assurer que les 70 autres % soient également gérés durablement en y incluant une agriculture durable, à taille humaine. C’est nécessaire pour protéger les écosystèmes sur lesquels reposent nos sociétés. A Montréal, en plus de ces 30%, nous avons également obtenu, d’ici 2030 : la restauration de 30% des espaces dégradés, la diminution de moitié du gaspillage alimentaire, la réduction de moitié des risques liés aux pesticides et l’élimination des subsides nocifs à la biodiversité. D’ici 2030, cela ne nous laisse que 7 ans, c’est évidemment très ambitieux, d’autant plus que le point sur les subsides nocifs à la biodiversité comprend les énergies fossiles.

Sommes-nous en marche vers une vraie transition, notamment des systèmes agricoles, qui permettra de respecter la biodiversité ?

L’accord est politique, il représente la première étape, tout l’enjeu se situera dans sa mise en pratique. C’est toujours là que le bât blesse. Mais il aurait été dramatique de ne pas avoir un accord ambitieux. Sans cela, on se serait encore plus certainement engagé dans une direction dramatique pour l’humanité. L’accord obtenu donne la légitimité d’exiger des actions concrètes sur le terrain.

Qu’est-ce qui pourrait empêcher une concrétisation l’accord ?

Avec la guerre en Ukraine, il est évident que la conjoncture n’est pas bonne. Il est toutefois remarquable que nous ayons pu fixer une série d’objectifs et de cibles ambitieuses dans une telle conjoncture. Nous nous sommes mis d’accord sur des montants de financement et sur la création d’un nouveau Fonds. D’ici à 2025 on va devoir débloquer 20 milliards de dollars par an. Et d’ici à 2030, il faudra atteindre les 30 milliards annuels pour aider les pays en développement à mettre en œuvre les objectifs fixés. Mais, dans le contexte actuel, l’agenda des décideurs est plus accaparé par des questions de défense que par des questions de protection de la nature.

Le défi concernant la biodiversité est de faire comprendre que ses enjeux sont tout aussi importants que ceux qui concernant le climat. Il faut bien voir que tout une série d’acteurs du système capitaliste ont très bien compris l’intérêt de plaider pour une lutte contre le réchauffement climatique, puisque les industries et les multinationales pourront bénéficier d’une transition énergétique. Cette perspective n’est pas aussi évidente lorsqu’il s’agit de biodiversité. Une philosophie de sobriété et de décroissance est beaucoup plus incontournable pour arrêter l’érosion de la biodiversité et restaurer les écosystèmes.

Est-ce que les coûts élevés que représentent les pertes de biodiversité réussissent à convaincre les institutions privées et publiques de changer de cap ?

A Montréal, nous avons obtenu une plus grande attention de certains représentants du secteur privé qui ont identifié la biodiversité comme un risque majeur. Pour la deuxième fois consécutive, le Forum économique mondial a tiré la sonnette d’alarme concernant la biodiversité. Il existe des initiatives pionnières : Finance for Nature et Business and Biodiversity, par exemple, des groupements d’entreprises volontaires qui mènent des plaidoyers positifs en faveur de la protection de la biodiversité. Quelques publications du monde de la finance et des banques analysent les risques de perte de biodiversité pour les investissements. Mais ces initiatives restent marginales, parce qu’il est beaucoup plus complexe de réorienter des investissements en faveur de la biodiversité que de se contenter de financer un parc d’éoliennes.

Outre l’Union européenne, quels ont été les implications des USA, de la Russie et de la Chine à Montréal ?

Les USA n’ont pas ratifié la Convention. La règlementation de l’accès aux ressources génétiques et du partage des avantages qui découlent de leur utilisation (objectif 3 de la convention, plus tard traduit en un protocole) est une raison de leur non ratification. Par contre, les USA ont longtemps été le premier donateur du Fonds pour l’environnement mondial. Ils sont passés seconds derrière l’Allemagne. Les USA étaient présents à Montréal, mais n’ont pas le statut de partie. C’est plutôt frustrant pour leurs délégués qui ne peuvent pas s’exprimer officiellement. Ils doivent utiliser des voies indirectes afin d’influencer les discussions.

La Russie a le statut de partie et son délégué a participé aux négociations. La Chine préside la convention et garde un statut de pays en en voie de développement (PVD). Les délégués des USA, quoique très discrets,  plaident pour un changement de ce statut concernant la Chine, puissance économique émergente plutôt que « sous développée ». Les USA considèrent que la Chine reçoit trop de financements en comparaison de pays plus vulnérables, ce qui constitue un frein à la mobilisation des ressources. La liste des « pays en voie de développement » n’a en réalité pas été modifiée depuis trente ans.

Mais dans le cadre des négociations à Montréal, on ne peut pas dire que les conflits géopolitiques aient plombé l’atmosphère. Nous sommes plutôt en présence d’une communauté d’experts très conscientisée par les pertes de biodiversité… Evidemment, les représentants des Affaires étrangères sont là avec leurs points de vue très aiguisés, mais une grande partie de la communauté des négociateurs est constituée de personnes globalement convaincues qu’il faut arriver à un accord ambitieux. Les séances plénières sont beaucoup plus politiquement chargées, avec le discours de la Russie, le discours de réponse de l’UE, mais quand il est question de négocier les contenus, ces aspects-là n’ont plus trop d’importance, se perçoivent beaucoup moins. Les pays en développement, légitimement, demandent des moyens à la hauteur de l’ambition. Et, évidemment il y a des positionnements idéologiques qui s’expriment mais qui ne sont pas aussi clivants lorsqu’on se retrouve entre experts.

Le concept de solution basée sur nature est promu comme une solution fondamentale par les pays développés. N’est-il pas perçu comme un colonialisme vert par les pays en développement ?

Les négociateurs de l’UE qui défendent ces concepts sont des experts universitaires, pas des lobbyistes qui ont un agenda caché de colonialisme vert. Maintenant, quelles que soient les solutions, si elles sont laissées uniquement aux mains d’intérêts privés qui n’ont pas à cœur la mission de protection de la biodiversité, bien sûr que cela deviendra potentiellement du greenwashing.

Il est exact que l’UE a souvent tendance à avancer des solutions qui collent à l ‘agenda de politiques publiques déjà fixé voire déjà mis en œuvre en Europe. On sait par exemple que l’économie circulaire est un concept poussé dans l’Union qui n’est pas forcément perçu comme prioritaire dans d’autres parties du monde. Vouloir les inscrire dans les accords peut être perçu par certains comme une vision européo-centrée. Le Brésil, en contrepartie, voulait absolument que l’on intègre la « biobased economy », une conception qui implique par exemple la production d’éthanol à partir de canne à sucre, plus généralement l’exploitation de biomasse avec un risque de destruction de la forêt et d’autres écosystèmes. Une conception dangereuse pour la biodiversité sans garde-fou.

D’autres conceptions, comme les solutions basées sur la nature, les paiements pour des services écosystémiques pourraient devenir contre-productives si elles sont laissées uniquement aux mains d’intérêts mercantiles. Mais je ne suis pas de celles qui considèrent que le ver est dans le fruit. Le risque majeur finalement résiderait dans le fait d’écarter les populations locales de toute solution pensée en faveur de la biodiversité. Nos objectifs doivent être atteints en incluant les activités agricoles familiales et bien entendu agroécologiques.

 Propos recueillis par Pierre Coopman

Réalisé par :

Défis Sud