Agir avec nous

image
Nos articles > Bolivie : résister aux fossoyeurs de l’environnement

7 mars 2024

Bolivie : résister aux fossoyeurs de l’environnement

icone

En Bolivie, fin 2023, des incendies ravageaient près de 3 millions d’hectares de forêts et de pâturages. La pratique ancestrale du brûlis a, sous les effets cumulés de vents violents et de la sécheresse, contribué à la propagation de ceux-ci. Environ 2 012 252 hectares ont été consumés. La forêt amazonienne qui couvre 40% du territoire du pays qui compte 12 millions d’habitants est en train de disparaître.

Selon le rapport du Global Forest Watch (1), la Bolivie se classe en 3e position en matière de déforestation. Entre 2021 et 2022, le taux de perte a augmenté de 32%. L’extraction minière (l’or alluvial dans le département de Béni), l’exploration de gaz (dans plusieurs zones des départements du Beni et de Pando) et les monocultures (soja, coca) aux effets dévastateurs pour l’environnement participent au grignotage géant de ce poumon vert, une des zones les plus riches de la planète en matière de biodiversité.

Pour remettre en question ces pratiques, peu de voix s’élèvent. L’une des raisons est que le modèle économique du pays dépend de la destruction du patrimoine et des ressources naturels non-renouvelables. Et les puissants secteurs de l’agro-industrie et de l’exploitation minière sont protégés par des normes, des lois, des décrets qui leur permettent de saccager le territoire en toute impunité mettant en péril la subsistance de certains habitants en zone rurale, la santé des populations et l’environnement.

Mais si peu de voix s’élèvent, il existe néanmoins, un endroit où un terreau favorable à la préservation de l’environnement se cultive…

UNE initiative locale EXEMPLAIRE

Dans la municipalité de Palos Blancos dans le département de La Paz, les producteurs cultivent selon les méthodes de l’agroécologie. Leurs productions sont certifiées pour leur haute qualité et sont soumises à des contrôles fréquents. Il est donc essentiel pour eux de préserver une terre et des apports en eau de bonne qualité. Il faut aussi de miser sur l’autosuffisance. On compte 48 coopératives productives dans les municipalités de Palos Blancos et d’Alto Beni. Or, la contamination des eaux par le mercure et d’autres substances rejetés par les sites d’exploitation miniers qui gagnent du terrain jusque dans les zones protégées risquerait de porter préjudice à la qualité des produits (cacao, manioc, agrumes, bananes) cultivés biologiquement et donc, à la viabilité du secteur. Le problème s’est accentué à la suite de la modification du plan d’occupation des sols dans le sud-est du département afin d’étendre la frontière agricole.

Consciente de ces dangers, la municipalité de Palos Blancos a décidé de se doter d’un bouclier législatif. Et ce qui se déroule là-bas pourrait bien faire tache d’huile bénéfique dans les départements environnants. C’est en tous cas le souhait du conseil municipal. Celui-ci a voté, en mars 2021, une loi déclarant que « La municipalité agro-écologique, productive et libre de toute contamination minière dans le cadre de la sécurité alimentaire ». Le souhait du président du conseil municipal, Rubèn Chambi, est que cette loi obtienne un statut de loi départementale via l’Assemblée législative, de manière à l’élargir à Alto Beni.

NON à l’exploitation minière

La position clairement affichée de la municipalité de Palos Blancos est unique.

Le responsable de l’environnement au sein du gouvernement municipal de Palos Blancos, Ulices Arinez, souligne que 95% de la population soutient le projet de loi envoyé à l’assemblée départementale. (2)

Pour faire face aux pressions, nombreuses, émanant tant des producteurs de monocultures (soja, coca, maïs) de l’agro-industrie que des instances nationales et des entreprises minières, il faut une conviction à toutes épreuves et une rare vision à long terme. La sensibilisation aux enjeux de la dégradation de l’environnement est peu présente au sein de la population bolivienne. L’exemple de Palos Blancos pourrait donc montrer la voie à d’autres municipalités se sentant jusque-là peu concernées.

À qui profite l’écocide ?

Au sein même de la constitution politique de la Bolivie, on trouve d’une part une reconnaissance de l’activité minière, encouragée par une fiscalité avantageuse ou par des subventions et d’autre part, des références au bien-être, à l’alimentation saine, au respect de la Terre nourricière, de nos voisins et des générations futures. Pas simple donc de mener des politiques volontaristes allant dans le sens d’une limitation stricte des pratiques engendrant les dégâts tout en encourageant des pratiques industrielles et agricoles néfastes pour l’environnement mais très lucratives, ses profits «ruisselant» dans les poches de nombreux « acteurs » indirects.

Si du côté des monocultures, le soja – très rentable et bénéficiant d’incitants économiques et d’une exonération fiscale – est l’un des grands responsables de la déforestation, le développement du secteur des biocarburants ne fait qu’accentuer celle-ci.

Mais le pillage des terres ne date pas d’hier. Il sévit depuis la création du pays. Les grands propriétaires, les oligarques se sont toujours octroyé de vastes territoires. Lors de la dictature de Banzer (de 71 à 78) et jusqu’en 1982, les ploutocrates agro-industriels ont pris le pouvoir soutenus par les militaires et se sont partagés les terres dans les zones protégées, les forêts et les jungles. Une usine de cocaïne a même été implantée dans le parc national de Huanchaca. Cette même pratique de déprédation s’est poursuivie après la fin de la dictature au nom du développement et du progrès. En leur nom, des politiques publiques écocides ont été menées. Elles servent les intérêts des ploutocrates agro-industriels, éleveurs de bétail, producteurs de soja, propriétaires terriens, mineurs, cultivateurs de coca.

En Bolivie, il est par ailleurs moins coûteux d’acheter des terres forestières et de les convertir en terres agricoles que d’investir dans les terres agricoles existantes pour améliorer leur productivité et leur longévité. En outre, il est peu coûteux de déboiser. L’Etat subventionne largement le carburant. Le déboisement peut doubler ou tripler la valeur des terres. Dans le même temps, le pays est confronté à une crise de la dette extérieure. Celle-ci s’élève à 13 408 milliards de dollars en 2023.

autre fléau : les LOIS incendiaires

Il existe plus de dix lois et décrets encourageant les incendies « maîtrisés ». Sept de ces règlements ont été approuvés sous le gouvernement d’Evo Morales (2006-2019). Cela dans le but d’étendre la frontière agricole, en particulier dans l’est du pays. L’Office des forêts et des terres octroie des permis de défrichement et de brûlis. D’autres décrets visant la production de soja pour produire du biodiesel violent les lois de la Terre nourricière, le protocole de Carthagène (3) et d’autres normes. La loi 740 neutralise le contrôle de l’Etat. Une sorte d’impunité légalisée règne dans le pays. « Des lois, des règlements et des normes nationales, départementales et municipales violent donc l’existence de forêts, de rivières, de sols et d’air sains déplorent les associations de biologistes de La Paz et de Cochabamba qui demandent leur abrogation. » (4)

Parmi les principaux responsables de cette crise climatique et environnementale, on trouve d’une part « des autorités nationales et infranationales, fonctionnaires subalternes qui perçoivent des pots de vin dans la bureaucratie quotidienne, les cadres moyens qui profitent des permis et des autorisations et les hauts fonctionnaires qui signent des décrets obscurs et des lois environnementales régressives ». Le deuxième groupe est constitué des alliés politiques du gouvernement national. Il est composé d’organisations paysannes, interculturelles et indigènes de grands agriculteurs. Ils sont à l’origine de ces lois dites incendiaires. Les représentants de l’agro-industrie ont légalisé des millions d’hectares en leur faveur et ont attribué, en échange, des terres publiques aux paysans proches du gouvernement et aux agriculteurs interculturels.

Le défrichage se pratique pour la monoculture du soja, pour l’exportation, la production de biocarburant, du maïs OGM, de la viande pour le marché chinois ou pour le blanchiment de l’argent de la drogue, pour gagner sa vie en louant des terres…   Les nombreuses terres improductives car surexploitées amènent à défricher de nouvelles terres. L’importance de la conservation de la forêt tropicale échappe à la plupart des Boliviens qu’ils fassent partie de Mouvements sociaux, de partis politiques, de cercles d’intellectuels progressistes, d’organisations indigènes, d’institutions universitaires. (5)

Le 25 octobre 2023, des groupes de jeunes urbains, conscients de la situation ont manifesté sous le slogan « Ni coca, ni soja, on ne touche pas à la forêt ». (6)

 « Il est difficile de trouver un secteur social qui ne soutienne pas l’élimination progressive des forêts tropicales », déplore Hugo Mansilla, philosophe et politologue (7). Cela prouve combien Palos Blancos fait figure de pionnier et de semeur d’espoir.

Rédaction : Laurence Delperdange

Réalisé pour :

Défis Sud

(1) www.globalforestwatch.org

(2) https://anabolivia.org/palos-blancos-municipio-libre-de-mineria-frena-avance-aurifero-con-una-ley-y-su-agroecologia/

(3) Le protocole de Carthagène a été adopté en 1983 par les nations caribéennes pour la protection de l’environnement. https://treaties.un.org

(4) https://www.brujuladigital.net/opinion/los-cupables-de-la-crisis-climatica-y-ambiental

(5) https://www.lostiempos.com/actualidad/pais/20231119/mas-10-leyes-fomentan-incendios-pais-activistas-exigen-abrogarlas

(6) https://brujuladigital.net/politica/opinion-ni-coca-ni-soya-el-bosque-no-se-toca-hcf-mansilla-

(7) La Nación evanescente en Bolivia. Une confrontacion entre globalizacion et identidades colectivas/Pamela Alcocer Padilla, Franco Gamboa Rocabado et Hugo Celso Felipe Mansi.

en savoir plus : humundi & fincafe

221123PAP386 - : Bolivie : résister aux fossoyeurs de l'environnement
icone

A Palos Blancos et Caranavi, dans le nord du département de la Paz, Humundi mène un programme avec l’organisation bolivienne FINCAFE. Le programme est centré sur la mise en place de systèmes agroforestiers où le café est cultivé en cohabitation avec des arbres compagnons. Il a été prouvé qu’il s’agit de la meilleure alternative pour la durabilité à long terme du système de production.

Fin 2023, 175 producteurs et productrices ont été accompagnés, avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes.

Les principaux objectifs sont le maintien et l’enrichissement de la fertilité des sols, la diversification de la production (agriculture, fruits et sylviculture) et l’augmentation des rendements de café et de cacao, les principaux produits de la zone.

Palos Blancos est une municipalité où l’on cultive principalement du cacao et accessoirement du café et des bananes. FINCAFE a commencé en 2022 son travail d’assistance technique avec 5 communautés : Likimuni, Puerto Carmen, San Luis, Agua Dulce et 14 de Noviembre. Cette dernière – précisément à cause du problème des incendies – a malheureusement dû donner la priorité aux activités d’urgence et a abandonné le projet.

Les actions appuyées par Humundi à Palos Blancos incluent également le renforcement d’un espace de concertation public-privé autour de l’agroécologie (comité municipal de production écologique), et un plaidoyer local pour des engagements publics en faveur de l’agroécologie.

Il existe une très bonne collaboration avec les autorités municipales autour du renforcement de ce programme : une convention lie FINCAFE a la municipalité de Palos Blancos, par laquelle la municipalité s’engage à cofinancer et faciliter la mise en place du programme, contribuer à la mise en place d’un système participatif de garantie (SPG) local pour Palos Blancos, ainsi que d’autres actions de renforcement des organisations, et de sensibilisation à la population locale.