13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite2 septembre 2020
Malgré des conséquences dramatiques de la crise du coronavirus, le mouvement paysan péruvien a enregistré de belles réussites cette année. Mais le rapport de force avec l’agro-industrie péruvienne est loin d’être terminé.
En 2019 déjà, des milliers de paysan.ne.s étaient en grève agraire au Pérou. Les grévistes étaient emmenés par la Convention nationale de l’agriculture péruvienne (CONVEAGRO), un partenaire de SOS Faim. Au terme de leurs mobilisations, ils obtenaient le lancement d’un dialogue multisectoriel avec l’État. En 2020, le gouvernement péruvien a dégagé un fonds pour relancer la production agricole familiale, permettant aux petits producteurs d’accéder à des crédits subsidiés garantis par l’État. Par ailleurs, l’État péruvien s’est également engagé à financer les organisations d’agriculture familiale jusqu’à 35 000 euros par organisation. Mais est-ce suffisant ?
Le Pérou a dépassé le seuil des 600 000 cas de Covid-19 à la fin du mois d’août 2020. Avec plus de 28 000 morts, il est à ce moment-là le troisième pays le plus endeuillé d’Amérique latine derrière le Brésil et le Mexique. La propagation du virus sature le système de santé.
Considéré comme un pays très prometteur sur le plan économique, « il a fallu moins de deux mois de pandémie pour que l’illusion que le pays se développe soit brisée », constate Fernando Eguren, analyste au CEPES (Centre péruvien d’Etudes sociales). « Une partie importante de la nouvelle classe moyenne qui émergeait dans la foulée des profits engendrés par l’industrie extractive doit maintenant dépendre des subventions gouvernementales. » (1)
L’analyste explique que l’agriculture industrielle exportatrice est loin d’avoir perdu la bataille au Pérou : « Dans la compétition pour l’accès aux ressources publiques, qui s’exprime dans l’écriture du budget national, le secteur agricole pèse peu (…) Même lorsque le gouvernement cède à la pression des producteurs agricoles, il finit par servir la grande et moyenne agriculture et seulement de façon marginale l’agriculture familiale. »
Pour appuyer son propos, Fernando Eguren se réfère à un antécédant de 2001, lorsque que fut lancée la Banque agricole AgroBanco : « En juin 2018, 54 % des placements d’AgroBanco se trouvaient dans des grandes et moyennes entreprises, 27,8 % dans des petites entreprises et 18,3 % dans des micro-entreprises d’agriculture familiale. En outre, 40 % des prêts accordés cette année-là sont allés à deux cultures seulement, toutes deux destinées à l’exportation : le raisin (29,5 %) et le café (11,4 %). »
Le Pérou a adopté une stratégie nationale pour l’agriculture familiale 2015-2021 ainsi que la loi 30355 pour la promotion et le développement de l’agriculture familiale. Un Plan national pour l’agriculture familiale 2019-2021 a été adopté en 2019. « Ce qui semblait être un changement de direction dans la politique agraire péruvienne n’a malheureusement pas dépassé le niveau déclaratif, car aucune ressource ne lui a été allouée en dehors de celles déjà budgétées et réparties entre plusieurs ministères. » nuance Fernando Eguren.
« Nous nous demandons donc quelle est la capacité réelle de l’État et, en premier lieu du ministère de l’agriculture, à faire face aux risques d’une menace de réduction de la production alimentaire. Il ne fait guère de doute que l’industrie agro-exportatrice est la mieux préparée pour résister à la crise sanitaire. Elle est entourée d’infrastructures physiques – routes, télécommunications, proximité des ports et des aéroports, énergie, entrepôts, usines de réfrigération et de transformation, canaux et systèmes d’irrigation. Elle a des relations privilégiées avec l’État, avec le monde financier, avec les chaînes de commercialisation des intrants et des produits; elle dispose de ressources humaines hautement qualifiées. Elle dispose d’importants biens d’équipement. Et, surtout, elle a des terres, beaucoup de terres, de bonne qualité et avec un accès permanent à l’eau, beaucoup d’eau. »
L’État péruvien a essentiellement investi au cours des 25 dernières années dans des travaux d’irrigation qui ont profité à l’agro-industrie. « Sans cet argent public, les grandes entreprises d’agro-exportation n’auraient pas autant de terres ni autant d’eau», insiste Fernando Eguren. « Ces entreprises sont exemptées du paiement de 50% de l’impôt sur le revenu. Comme les ressources publiques ne sont pas illimitées, ce que l’État concède à cette agro-industrie d’exportation, il cesse de l’investir dans l’agriculture qui produit des aliments pour le pays (…). Les entreprises sont en concurrence avec l’agriculture familiale pour les ressources publiques. Les exportations concurrencent la production destinée au marché intérieur. Ce ne sont pas deux agricultures parallèles : elles sont interconnectées et l’une est au-dessus de l’autre. »
En 2012, une cinquantaine de grandes entreprises agroalimentaires exportatrices possédaient ensemble plus de 250 000 hectares de terres agricoles. « Combien de ces hectares seraient nécessaires pour réduire le risque de crise alimentaire» s’interroge Fernando Eguren ? « Le ministère de l’agriculture devrait réaliser les études concernant la superficie nécessaire, mais aussi sur les cultures les plus importantes pour le panier alimentaire. Il est possible de créer davantage d’emplois. Cela ne signifierait pas une perte économique pour les agro-industries car les aliments produits seraient vendus au prix du marché. L’État pourrait fournir des incitations. Par exemple, les agro-industries qui accepteraient volontairement l’initiative continueraient à payer la moitié de l’impôt sur le revenu, tandis que celles qui ne l’accepteraient pas volontairement paieraient comme toutes les autres entreprises du pays. La proposition n’a pas seulement une base économique et sociale. Elle a une base juridique permettant à l’État de contraindre les entreprises agroalimentaires exportatrices à s’engager à produire des denrées alimentaires pour le pays (…) Le Comité des droits économiques, sociaux et culturel des Nations unies stipule que les États ont l’obligation fondamentale de prendre des mesures appropriées pour atténuer et soulager la faim, y compris en cas de catastrophe (…)».
Une nouvelle étude (2), commanditée par SOS Faim et CONVEAGRO, consacrée aux négociations commerciales entre le Pérou et l’Union européenne, indique que le Pérou est surtout vulnérable aux exportations agricoles en provenance de la Nouvelle-Zélande, du Brésil et de l’Argentine, mais aussi de l’UE. L’étude recommande d’augmenter les droits de douane (actuellement parmi les plus bas du monde) pour les produits agricoles. Le Pérou manque d’une stratégie globale de défense de la production nationale, avec des règles sur l’étiquetage d’origine des produits afin que les consommateurs sachent s’ils consomment un produit importé.
Des mesures doivent être mises en œuvre afin de protéger les pays des importations de pommes de terre transformées, de le lait en poudre et le fromage. Parmi les faits marquants, on observe que depuis 2010, les importations de pomme de terre transformée au Pérou proviennent majoritairement de l’Union européenne et surtout de Pays-Bas.
Les exportations vers l’UE génèrent des avantages commerciaux pour trois produits importants de l’agriculture familiale péruvienne : le maïs doux, les bananes et le quinoa.
Depuis 2015, les volumes d’exportation du café péruvien sont importants, mais à des prix moyens bas. Les revenus des producteurs familiaux exportant du café ont baissé.
Selon cette étude, en plus d’une valorisation de ces produits sur le marché intérieur et d’une bonne stratégie orientée vers ce marché, une stratégie devrait également être élaborée pour diversifier les exportations des produits de l’agriculture familiale péruvienne vers l’UE. Cela implique de mieux certifier les productions biologiques et agroécologiques de l’agriculture familiale péruvienne.
Rédaction : Pierre Coopman
Cet article est réalisé par :
(1) Seguridad alimentaria, pandemia y agroindustria exportadora, Fernando Eguren, CEPES 12 mayo, 2020 : https://cepes.org.pe/2020/05/12/seguridad-alimentaria-pandemia-y-agroindustria-exportadora/
(2) El Tratado de Libre Comercio Perú – Unión Europea y su impacto socio económico en la agricultura familiar — Informe Final Consultor: Eduardo Zegarra M. (GRADE). Asistente: Claudia Torres (GRADE).