Agir avec nous

image
Nos articles > De la Révolution verte à la révolte des paysans indiens

28 mai 2025

De la Révolution verte à la révolte des paysans indiens

icone

250 millions de producteurs indiens en grève. Les autoroutes de New Delhi bloquées par des centaines de milliers d’entre eux. Depuis 2020, les paysans indiens multiplient les coups de force contre le gouvernement de Narendra Modi. La raison de ce soulèvement historique ? Les tentatives de dérégulation du commerce agricole.

En Inde, le secteur agricole représente 15% du PIB et deux tiers de la population dépend de l’agriculture pour vivre. L’Inde est l’un des principaux producteurs mondiaux de riz, de coton, de thé et de canne à sucre. Pourtant, c’est en Inde qu’on trouve le plus de paysans sous-alimentés et la plupart des producteurs vivent dans l’extrême pauvreté. Pourquoi ?

Néocolonialisme et révolution verte : la corde au cou des paysans Indiens

Les années 1950 marquent le début de la « Révolution verte » en Occident : l’agriculture s’industrialise à grande vitesse grâce à toutes sortes d’innovations technologiques en matière de pesticides, de mécanisation et de manipulations génétiques. Très vite, l’Occident s’emploie à diffuser ces technologies vers le reste du monde. Car au siècle dernier, les théoriciens de la modernisation étaient unanimes : pour sortir de la pauvreté, les pays « en développement » doivent accueillir à bras ouverts la diffusion des savoirs, des institutions et de la
technologie. Mais ce dogme occulte les causes profondes des inégalités dans le développement : l’exploitation néocoloniale, la domination des multinationales et l’injustice du commerce international.

En Inde, la « Révolution verte » s’engage donc dans les années 1960. Les nouvelles technologies renforcent les grandes exploitations, mais elles marginalisent progressivement les petits producteurs. Dans les années 2000, des firmes comme Monsanto commencent également à vendre des semences génétiquement modifiées aux producteurs de coton pour lutter contre les insectes. Mais très vite les insectes développent des résistances, qui contraignent les agriculteurs à pulvériser toujours plus de pesticides. Un cercle vicieux de dépendance prend alors forme : les rendements déclinent et les agriculteurs s’endettent auprès des firmes de l’agrochimie. D’autant qu’un autre spectre plane désormais : le réchauffement climatique, qui affecte fortement les petites exploitations indiennes. Depuis les années 1990, on dénombre ainsi plus de 400.000 suicides chez les agriculteurs indiens et en janvier 2012, le ministère de l’agriculture établit officiellement le lien entre ces suicides et la baisse des rendements agricoles.

La dérégulation du commerce agricole met le feu aux poudres

Trois leaders du Sanyukt Kisan Morcha, le Front uni des agriculteurs.

L’Histoire n’a donc pas été tendre avec les paysans indiens. Poussés à bout, le point de rupture était proche. Or, en septembre 2020, le gouvernement indien profite de la crise du COVID-19 pour faire passer précipitamment trois textes de loi en « omettant » les procédures habituelles prévues dans la constitution. L’objectif : déréguler le commerce agricole en permettant aux producteurs de vendre directement aux entreprises privées, ce qui signifie la disparition des prix minimum jusque-là garantis aux producteurs. Beaucoup de journalistes dénoncent alors l’accointance du Premier ministre Narendra Modi avec les grands groupes industriels qui bénéficient de ces lois.

L’explosion de colère est immédiate : toute la profession agricole se soulève à travers le pays et près de 300.000 paysans marchent vers la capitale sous l’égide du Sanyukt Kisan Morcha, le Front uni des agriculteurs. Pendant 5 mois, ils bloquent les principales autoroutes de la capitale. De nombreux affrontements avec la police s’ensuivent et provoquent jusqu’à 700 morts. Mais la ténacité des producteurs paie : en novembre 2021, le gouvernement revient sur sa réforme et abroge les trois lois contestées.

En 2024, la lutte redémarre


L’histoire ne s’arrête cependant pas là. En 2024, la colère monte à nouveau contre le gouvernement qui n’a pas tenu sa promesse d’étendre le système des prix garantis à l’ensemble des cultures. Les syndicats agricoles formulent également deux autres revendications : l’allègement des dettes qui pèsent sur les producteurs et la mise en place d’une pension à partir de 60 ans. Mais ces demandes sont rejetées et le rapport de force reprend. Des milliers d’agriculteurs marchent à nouveau vers la capitale et, en dépit d’une forte répression policière et militaire, les manifestants continuent leur combat encore aujourd’hui.


L’exceptionnelle ténacité dont font preuve les producteurs indiens depuis 5 ans a de quoi impressionner. En Inde, la colère est proportionnelle à l’injustice subie. Mais elle démontre aussi toute la puissance du monde paysan lorsqu’il parvient à s’unir pour faire face au rouleau-compresseur des politiques néolibérales.

Rédaction : Manon Armenio & Nicolas Barla

Supporterres n°32