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4 avril 2019

Défis sénégalait

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Le mode de production laitier européen pousse à la surproduction. Les prix sont bas et ne couvrent pas les coûts de production des producteurs. Précarisés, ils cherchent à augmenter leur volume pour faire des économies d’échelle et rentrer dans leurs frais. Malgré ces efforts, les prix sont mis sous pression par les acteurs les plus puissants de la filière: les laiteries et grands groupes industriels. Ne nous trompons pas, les éleveurs européens ne sont pas les seuls à souffrir de cette situation. En Afrique de l’Ouest, les surplus européens sont écoulés sous forme de poudre vendue à bas prix. Les éleveurs locaux peinent à rivaliser avec les importations européennes.  

Le lait, le beurre et l’argent du beurre pour les industriels

2009 : des milliers de litres de lait sont épandus dans des champs à Ciney, des tracteurs paralysent Bruxelles et des agriculteurs crient leur colère à une Europe qui les oublie…

La crise du lait éclate alors que les producteurs vendent leur lait à 0,24 euros le litre pour un coût de production de 0,45 euros le litre. Quatre ans plus tard, l’Union européenne porte le coup de grâce à la filière et annonce la suppression des quotas de production en Europe. Cette décision entraine, comme on pouvait s’y attendre, une surproduction. Qui dit surproduction, dit augmentation de l’offre et donc diminution de 10% du prix du lait. 14% des producteurs de lait sont contraints de cesser leur activité.

La suppression des quotas renforce l’emprise des grands groupes industriels laitiers.

Les répercussions de cette décision de l’Europe des 28 dépassent les frontières du continent et se font ressentir bien au-delà.

Le business laitier étant désormais entre les mains des grands groupes agroalimentaires, ceux-ci font preuve d’innovation pour accroître davantage la rentabilité du secteur. Au cours de cette dernière décennie, mondialisation oblige, les Asiatiques se sont pris de passion pour le joyau de la cuisine française : le beurre. Cette demande croissante explique, en partie, pourquoi le prix du beurre a quadruplé ces dernières années. Voyant dans cette situation un business juteux, les industriels européens ont extrait la matière grasse laitière présente dans le lait de vache afin de la vendre sous forme de beurre sur le marché asiatique.

Par ailleurs, l’envolée des prix de la matière grasse laitière contraste avec la baisse des prix des matières grasses d’origine végétale telle que l’huile de palme qui est moins chère que son équivalent d’origine animale. En substituant la graisse laitière par de la graisse végétale les industriels européens engrangent un double profit : ils vendent le beurre à prix fort et reconditionnent le lait écrémé en un lait en poudre réengraissé prêt à être écoulé sur le marché.

Le réengraissage : entre déforestation et exploitation

Si le réengraissage s’avère très profitable à l’agro-industrie laitière, il n’est cependant pas sans impact sur l’environnement. En effet, la production d’huile de palme contribue à la déforestation massive de certaines régions tropicales d’Asie du Sud-Est. En vingt ans, 8,7 millions d’hectares de forêt ont été rasés afin de faire place nette aux cultures de palmier à huile en Indonésie et en Malaisie, menaçant l’habitat d’espèces en voie d’extinction telles que l’orang-outan.

Outre son coût environnemental, cette pratique suscite des questions sur le plan nutritionnel. En effet, bien que les huiles végétales soient largement consommées, elles n’offrent pas les mêmes qualités nutritionnelles que la matière grasse laitière. L’huile de palme est composée à 50% d’acides gras saturés pouvant entrainer des problèmes cardio-vasculaires.

Plus encore, les conditions de travail de cette culture sont aussi fortement décriées. En 2016, Amnesty International publiait un rapport cinglant sur les impacts de la culture de l’huile de palme en Asie du Sud-Est : rémunérations en-dessous du salaire minimum, main-d’œuvre infantile, utilisation de produits chimiques dangereux pour la santé des travailleurs sont autant de problèmes liés à la filière.

 

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L’Afrique de l’Ouest, un marché en essor

Fort de ce nouveau produit, les groupes agroindustriels ont trouvé le marché idéal pour écouler leur production : l’Afrique de l’Ouest. En effet, le faible coût de production du lait en poudre réengraissé offre aux agro-industries laitières la possibilité de vendre leur produit à un prix avec lequel les producteurs ouest-africains ne peuvent rivaliser. En effet, ce faux-lait s’écoule sur le marché africain à un prix jusqu’à 30% moins cher.

Le groupe danois Arla a su tirer profit de cette situation en signant un accord avec Attieh, groupe au Sénégal qui lui permet de commercialiser la poudre réengraissée sous le label « Dano Quotidien ».

Le cas d’Arla est loin d’être isolé, d’autres grands groupes tels que Milcobel (Belgique), Glanbia (Irlande) et Nestlé (Suisse) ont pris d’assaut le marché laitier africain. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2017, l’Europe exportait 308 000 tonnes de lait en poudre réengraissé vers l’Afrique de l’Ouest[1].

Concurrence déloyale

Au Sénégal, plus de 46% de la population vit sous le seuil de la pauvreté et le manque d’infrastructures et d’investissements entrave la commercialisation des produits laitiers locaux. L’importation de lait en poudre bon marché peut dès lors apparaître comme une bénédiction. Cependant, ces importations massives de  faux-lait (78% des importations) représentent une concurrence déloyale face à laquelle les producteurs locaux ne peuvent rivaliser[2].

D’une part, le lait en poudre réengraissé importé est vendu à un prix défiant toute concurrence. D’autre part, l’étiquetage déficient des produits laitiers à base de lait en poudre réengraissé ne permet pas aux consommateurs et aux consommatrices de se rendre compte qu’ils n’achètent pas un produit laitier au sens strict, mais bien un « mélange » à base de produit laitier. Ceci donne lieu à une situation absurde : alors que la poudre de lait réengraissée et le lait local sont deux produits bien différents, le premier fait concurrence au second.

En conséquence, les importations européennes coupent l’herbe sous le pied du développement de la filière lait sénégalaise. Aujourd’hui, le contexte laitier sénégalais a engrangé un cercle vicieux au même titre que celui de beaucoup d’autres pays d’Afrique de l’Ouest : le manque de production locale rend le pays dépendant des importations, mais les importations freinent le développement de la filière locale.

 

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Perspectives d’avenir

Le business laitier européen semble être l’archétype d’un modèle agroalimentaire productiviste peu scrupuleux où seul prime l’intérêt des grands groupes au détriment des petits éleveurs tant au Nord qu’au Sud. En Europe, la situation de « crise » est désormais la norme puisque depuis 2009 les timides mesures européennes prises se sont montrées insuffisantes pour sortir le secteur de la crise.  Les effets néfastes de ce modèle global se font ressentir en Asie où la déforestation bat son plein et en Afrique de l’Ouest où les importations tuent le développement de la filière locale du lait. Face à ce constat, c’est un modèle de production et de consommation entier qui doit être repensé.

Pour sortir de ce système agroalimentaire aliénant, il faudrait une volonté politique forte au niveau africain et européen. En Afrique de l’Ouest, les décideurs doivent encourager la consommation du lait local via la mise en place de mesures claires (droit de douane, quotas d’importation) et d’incitants fiscaux. À l’échelle européenne, les décideurs doivent revoir les politiques agricoles et commerciales afin que celles-ci soient justes pour les éleveurs européens, respectueuses de la souveraineté alimentaire des pays du Sud et protectrices de l’environnement à travers le monde.

 

Rédaction : Maïlys Meirlaen, Volontaire

 

Lire sur le sujet :

 

EN SAVOIR PLUS

Cet article est tiré du Supporterres n°7 de mars 2019 « N’exportons pas nos problèmes : surproduction de lait, ici et ailleurs les éleveurs boivent la tasse. »

Pour en savoir plus sur notre campagne de sensibilisation et sur les enjeux du lait, consultez le numéro complet et suivez nous sur la page dédiée à notre campagne.

N’exportons pas nos problèmes! Surproduction de lait : ici et ailleurs, les éleveurs boivent la tasse.