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27 mars 2019

Des produits microfinanciers adaptés aux réalités paysannes

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– Défis Sud –

Selon SOS Faim, la microfinance  est avant tout d’un outil qui doit être au service des agricultures familiales. Cet outil est nécessaire, mais non suffisant et il doit être encouragé par une série de politiques publiques, que ce soit dans le domaine de l’agriculture, des infrastructures ou de la finance.

Un entretien avec Marc Mees, responsable de la gestion des connaissances de SOS Faim

Marc Mees - : Des produits microfinanciers adaptés aux réalités paysannes

Marc Mees

 

En matière de microfinance,  la rentabilité financière et l’impact social peuvent-ils être conjointement atteints ? Ou faut-il choisir entre les deux ?

Marc Mees : Pour nous, en tant qu’ONG, les piliers sociaux et environnementaux de la microfinance sont incontournables. Ceci ne nous amène pas du tout à nier l’importance de la pérennité économique et financière. Mais il nous semble qu’on peut imaginer des mesures de soutien au niveau des politiques publiques pour renforcer les aspects sociaux et environnementaux. Nous pensons par exemple à la mise en place de fonds de garantie, de politiques de subsidiation des taux d’intérêts pour l’agriculture, comme cela se fait au Sénégal. Il ne faut jamais oublier que ce type de politique publique a existé au niveau des pays développés, alors pourquoi pas ailleurs ?

Quel regard portez-vous sur l’émergence de la finance digitale en Afrique? Notamment, en termes d’impact social et d’efficacité en milieux rural et péri-urbain ?

MM : Nous observons avec intérêt le développement des technologies numériques au service de l’accès au financement, même si nous constatons que chez nos partenaires, ces développements restent encore balbutiants. La finance digitale est une piste à ne pas négliger, mais attention à la dépendance des opérateurs de téléphonie mobile et aux coûts d’installation.

La question de l’accès à des services financiers adaptés nous semble plus large que la technologie, dans le sens où il manque encore de produits financiers adaptés à la demande des producteurs, en particulier pour de l’investissement. Le choix de la technologie numérique peut cependant s’avérer intéressant, dans la mesure où il peut diminuer drastiquement les coûts supportés par les institutions financières, dans l’intérêt des producteurs : une transaction par téléphone peut coûter jusqu’à 30 fois moins cher qu’une transaction dans une agence rurale isolée, ce qui peut favoriser un ajustement des taux d’intérêts.

Mais l’un des enjeux les plus importants des opérations financières numériques reste la question de la propriété des données et de la dépendance des gros opérateurs de téléphone mobile.

Dans l’édition n°43 du Zoom Microfinance consacré à la réglementation de la microfinance en Afrique de l’Ouest, vous avez abordé la question des effets pervers de la nouvelle réglementation de 2007 sur le développement de la microfinance dans la zone UEMOA (1) . Pensez-vous que cette réglementation constitue le principal frein au développement de la microfinance dans cette région ?

MM : De notre point de vue, ce n’est pas l’existence d’une réglementation qui freine le développement de la microfinance, mais il est vraiment nécessaire que cette réglementation prenne en compte les réalités des acteurs des agricultures paysannes africaines.

Dans le cadre de la préparation de ce Zoom Microfinance, nous avions pris le soin de contacter un certain nombre d’opérateurs de terrain en Afrique de l’Ouest pour recueillir leur point de vue sur la réglementation. Celle-ci, qui part de la très bonne intention de protéger les clients, a induit un certain nombre de comportements de la part des Institutions de microfinance (IMF) : une restructuration des institutions mutualistes, avec moins de proximité et une priorisation des indicateurs financiers. Si l’accent mis sur la protection du client (et singulièrement de l’épargnant) semblait une intention clairement positive, il ressortait également que la réglementation était très orientée sur le contrôle de la performance financière au détriment des performances sociales, qu’elle poussait à une forme de standardisation des produits offerts plutôt qu’au développement de produits sur mesure répondant aux demandes des producteurs agricoles. Et dans le cas des systèmes mutualistes, qu’elle avait poussé à une réorganisation des réseaux menaçant leur appropriation, avec des fusions de caisses pour faire face aux obligations de rapportage financier et de professionnalisation des élus.

Selon vous, quelles sont les structures organisationnelles ou juridiques les mieux adaptées pour les IMF qui souhaitent intervenir dans le financement de l’agriculture en Afrique ?

MM : La microfinance est exercée sur le continent africain par des institutions ayant des formes juridiques diverses. Par exemple, les structures mutualistes ou coopératives dominent le marché en Afrique de l’Ouest, tandis que des ONG et associations de microcrédit assurent le leadership du marché marocain. Au Nigeria, les banques spécialisées en microfinance se développent de plus en plus.

Nous pensons que la question du statut juridique des institutions financières n’est pas fondamentale, même si notre organisation affiche une préférence pour le modèle coopératif, sans toutefois l’idéaliser. Pour SOS Faim, le modèle coopératif fait la différence dans la mesure où ce sont les producteurs qui sont propriétaires de l’institution et qu’ils participent à sa gouvernance.

Ce qui nous semble au contraire plus important est que les institutions financières prennent en considération les besoins des producteurs agricoles africains organisés (en organisations ou coopératives paysannes). Les différents cas présentés dans notre numéro de Zoom Microfinance consacré aux PME (n°49) montrent que c’est possible indépendamment du statut de l’institution, puisque cela concerne à la fois une société anonyme de droit éthiopien, une banque malienne ou encore des institutions mutualistes au Sénégal et au Mali. La question importante réside dans le dialogue entre l’offre et la demande, que les deux « parties » apprennent à mieux se connaître, à plus maîtriser les domaines d’intervention mutuels. Nous constatons souvent une forme d’ignorance des contraintes des autres acteurs et c’est sans aucun doute un levier important pour faire évoluer le secteur du financement agricole en Afrique.

En savoir plus : SOS Faim et la microfinance

(1) Union Economique et Monétaire Ouest Africaine.