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12 décembre 2023

Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

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Les élections présidentielles en République démocratique du Congo (RDC) ont lieu le 20 décembre 2023. Que proposent les candidats pour la souveraineté alimentaire des Congolais∙es ? Dans la plupart des cas, leurs programmes ne rencontrent pas les aspirations des product∙eur∙ice∙s agricoles, alors que 70% de la population congolaise est active dans l’agriculture familiale.

Félix Tshisekedi  : consolider ou repartir à zéro ?

Le président actuel, Félix Tshilombo Tshisekedi, candidat à sa propre succession, demande aux Congolais de se projeter dans un Congo nouveau :  

Felix 1 - : Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

 » Imaginons que nos campagnes ne seront plus des brousses et des forêts sauvages, mais des prairies où l’on voit paître des vaches et des chèvres, où l’on voit également des plantations agricoles qui s’étalent à perte de vue, des rivières régulées, çà et là, par des micro-barrages pour fournir en électricité les villages avoisinants et en eau des forêts rationnellement gérées. Imaginons des campagnes reliées aux centres urbains, par des infrastructures de transport modernes et régulièrement entretenues, qui faciliteront autant la livraison des produits agricoles, que les échanges purement commerciaux« .

Il y a 5 ans déjà, les promesses de Félix Tshisekedi faisaient rêver, sans donner d’indications en termes de chiffres, ni de pourcentage du budget pour faire de ce rêve une réalité : atteindre l’autosuffisance alimentaire grâce à l’agriculture; mettre fin à l’exode rural en promouvant le paysannat; jeter les bases de l’économie solidaire pour promouvoir des coopératives agricoles; orienter la recherche agronomique vers l’agriculture biologique, etc.

Aujourd’hui Félix Tshisekedi veut que les Congolais « consolident les acquis au lieu de répartir à zéro » en lui donnant un autre mandat. Il compte, durant son second mandat, créer 6.4 millions d’emplois dont « 1.6 million dans l’agriculture et les services » et « réduire les prix des produits de consommation de base ». Ces nouvelles promesses tiennent dans un document-programme ne faisant que 2 pages. Pour en savoir plus, on devra se référer au document de politique agricole durable (1), produit par le Ministère de l’Agriculture en septembre 2022. Et éventuellement au Programme de développement local des 145 territoires (2), une initiative du gouvernement de la République démocratique du Congo visant à améliorer le cadre de vie des populations rurales.

Martin Fayulu : L’état d’urgence agricole

Martin - : Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

En 2018, Martin Fayulu avait été désigné candidat commun de l’opposition congolaise face au dauphin de Joseph Kabila. En matière agricole, le Martin Fayulu de 2018 s’était largement inspiré du livre bleu de Didier Mumengi théorisant «l’état d’urgence agricole». On ignore si le candidat de 2023 a changé son approche.

L’ennui est que son théoricien de 2018 en matière agricole, Didier Mumengi, est devenu le directeur de campagne d’un autre candidat, le docteur Mukwege (voir ci-dessous).
Quoi qu’il en soit, Martin Fayulu a lancé sa campagne électorale le 19 novembre 2023 depuis la ville de Bandundu. De belles paroles ont été lancées au cours du meeting, puisque le candidat Fayulu a quasiment promis tout ce qu’il est  possible de promettre pour un candidat désirant faire rêver les paysanneries congolaises : de protéger l’environnement, de promouvoir l’agriculture, d’assurer l’intégralité territoriale, de promouvoir la gouvernance de terrain, les biens sociaux de base (l’eau, l’électricité et la santé), de construire ou reconstruire les routes et des voies ferrées, d’exploiter le fleuve Congo, de donner de la valeur ajoutée aux matières premières en permettant aux Congolaises d’accéder à l’entreprenariat.

Denis Mukwege : la fin de la faim 

Avec Didier Mumengi à ses côtés en tant qu’expert, le diagnostic du docteur Denis Mukwege est posé, on ne parle désormais plus, comme en 2018, d’état d’urgence agricole, mais d’état d’urgence agroalimentaire :

« Notre pays compte le plus grand nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë en Afrique. La fragilité économique, les difficultés commerciales avec les pays voisins et les perturbations climatiques en sont les causes principales ».

Denis - : Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

Le docteur va-t-il laisser sa blouse blanche de médecin de l’hôpital de Panzi, au Sud-Kivu, pour devenir Président de la République ? Le prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, s’engage à mettre « fin à la faim ». La tâche n’est pas gagnée : 26, 4 millions de personnes, soit plus d’un Congolais sur quatre, vivent en insécurité alimentaire. En 96 pages, le médecin propose de « réparer et soigner le Congo de fond en comble ». Son projet de société comporte « 12 sécurités-clés ». L’agriculture est présente dans le point consacré à la sécurité sanitaire et nutritionnelle.

Mais en sus Denis Mukwege propose, en 22 pages,  un plan à l’intitulé complet ambitieux : « La fin de la faim avec les combattants de la terre dans le cadre de l’état d’urgence agroalimentaire ».

Dans ce plan, il est question de :

«Lancer l’opération désarmement, démobilisation et redéploiement des anciens combattants ainsi que des terroristes (…) d’en faire des combattants de la terre (…) Pendant trois ans, toute action publique et toute dépense étatique seront en priorité dirigés vers la production agroalimentaire (…).

Dans son plan, Mukwege prévient que «l’état d’urgence agroalimentaire est une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle. Il est dès lors illusoire de souhaiter que cette prospective agricole se conforme parfaitement à un moule conceptuel préétabli (…) Il ne faut guère réduire le défi de la sécurité alimentaire à des innovations agronomiques, à des modifications dans les techniques culturales ».

Delly Sesanga : refondation agricole du Congo 

Delly - : Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

Delly Sesanga président national du parti de l’Envol de la RDC, s’est finalement retiré de la campagne en faveur du candidat Moïse Katumbi (voir ci-dessous). Avant ce désistement, il y avait exposé son plan d’action pour l’agriculture : « Développer l’agriculture pour soutenir l’emploi, limiter les importations et permettre de produire ce que nous consommons ».  

Ce qui passe par la création d’une Banque de crédit agricole et des réformes institutionnelles en vue de permettre au paysan congolais l’accès et la sécurisation de la propriété des terres agricoles. Sans oublier la mise en œuvre d’une politique de transformation des produits agricoles à travers la création de 5 agropoles.

Moise Katumbi : Réduire les importations et augmenter les exportations agricoles

Moise - : Élections en RDC : L’agriculture familiale n’est pas la priorité des candidats à la présidentielle

En 2018, Moise Katumbi voulait être candidat. Mais le régime de Joseph Kabila ne lui permit pas de rentrer au pays pour déposer sa candidature. Dans son projet de l’époque, il proposait de financer l’agriculture grâce eux revenus du secteur minier. En 2023, il a pu déposer sa candidature, validée à la cour constitutionnelle. Son programme « alternative 2024 pour un Congo uni, démocratique, prospère et solidaire » table sur la « transformation structurelle de l’économie ».

« Assurer une croissance économique robuste, inclusive et résiliente en s’appuyant sur les activités à forte croissance, tenant compte des aspects de durabilité ». Concernant l’agriculture, un objectif spécifique est affiché : « Améliorer la production, la productivité et la compétitivité des produits agro-pastoraux afin d’assurer la sécurité alimentaire, augmenter le revenu des producteurs et du gouvernement, et améliorer la balance commerciale agricole en réduisant les importations et en augmentant les exportations. »

Le point de vue de Katumbi semble avoir évolué depuis 2018. Il propose aujourd’hui un mélange d’agriculture familiale et d’agro-industrie.  Plusieurs actions envisagées ont trait à l’agriculture familiale, comme « le développement d’une agriculture contractuelle associant les entreprises commerciales à l’agriculture paysanne avec une implication progressive d’investisseurs privés dans une approche chaine de valeurs ».

Premières réactions : perplexité et incrédulité

Les diverses proposition des candidats ne paraissent pas convaincre Simplex Malembe, le chargé de plaidoyer de la CONAPAC (Confédération nationale des Producteurs agricoles du Congo). Évidemment, les deux pages de Felix Tshisekedi laissent perplexe : « Est-ce qu’on peut dire qu’il propose des préliminaires concrets pour créer plus d’un million d’emplois dans l’agriculture », s’interroge-t-on à la CONAPAC ? Et quant au document de politique agricole durable et au Programme de développement local des 145 territoires, Simplex Malembe doute de leur mise en œuvre (voir notre article détaillé sur le bilan de Tshisekedi).

Le belles paroles Matin Fayulu attendront-elles sont éventuelle élection pour se traduire en mesures d’application concrètes ? Et Si Katumbi profite des voix qui étaient destinées à Delly Sesanga, son programme intégrera-t-il quelques-unes des propositions de son ancien concurrent  à la présidence ? Le relatif changement de cap de Moise Katumbi laisse incrédule… Selon Simplex Malembe, « le candidat Katumbi est d’abord un affairiste, or l’agriculture ne devrait pas être qu’une question de business. C’est d’abord un métier. Katumbi veut-il promouvoir ses affaires ou celles des petits producteurs ? » Simplex Malemebe doute de la sincérité du tournant « agroécologique » de Moise Katumbi.

A propos du programme de Denis Mukwege : « Est-ce que les petits producteurs se retrouvent dans le concept de l’urgence agroalimentaire alors que la réalité qu’ils défendent est celle de l’agriculture familiale », s’interroge Simplex Malembe ?

Selon Le professeur Billy Bolakonga, enseignant à l’Institut facultaire agronomique-  IFA – Yangambi, dans la province de la Tshopo, le projet du docteur Mukwege en vue de recycler des anciens combattants et des terroristes dans l’agriculture  n’est pas sans rappeler l’initiative des « bâtisseurs de la nation »  prise par le  pouvoir de Félix Tshisekedi. Ces bâtisseurs sont en réalité des jeunes délinquants surnommés «Kulunas» transférés à Kaniama Kasese (dans le centre du pays) pour y apprendre la production des maïs, la maçonnerie et à la menuiserie.

Le professeur Billy Bolakonga est également perplexe, jugeant que le métier d’agriculteur devrait être une vraie vocation, il a des doutes que l’on puisse construire un agriculture durable avec des personnes contraintes. Le professeur pense également que l’agriculture n’est pas du ressort de l’urgence ou même de la « sécurité : « l’agriculture est du domaine du développement. »