13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite14 mai 2023
En 2019, la commission PEST (1), dirigée par les parlementaires européens Michèle Rivasi (écologiste) et Éric Andrieux (socialiste) concluait que les pesticides sont un des principaux enjeux européens mettant en danger la santé publique, l’environnement et la biodiversité. Le jeudi 27 avril 2023, les anciens membres de la commission PEST ont organisé une conférence au Parlement européen à Bruxelles pour évaluer les mesures qui ont été prises depuis la publication de leur rapport et de son vote par le Parlement européen.
Quatre ans plus tard, le bilan n’est pas reluisant. « En 2020, un ou plusieurs pesticides ont été détectés au-dessus des seuils de préoccupation dans 22 % des sites de surveillance des rivières et des lacs en Europe », a récemment révélé l’Agence européenne de l’environnement (AEE), soulignant également que « dans l’Europe des 27, les ventes de pesticides sont restées relativement stables, à environ 350 000 tonnes par an entre 2011 et 2020 ».
Le réseau Pesticide Action Network (PAN) Europe constate que des 109 recommandations de la commission PEST de 2019, seulement 15% ont été suivis dans leur totalité quatre ans plus tard. La directive sur l’utilisation durable des pesticides (SUR), présentée par la Commission européenne en juin 2022, vise à réduire de moitié l’utilisation et les risques liés aux pesticides dans l’UE d’ici 2030. Mais cette directive n’est pas contraignante et les processus de contrôle des pesticides prévus dans la législation européenne n’offrent pas toutes les garanties de transparence. PAN Europe préfère dès lors effectuer des évaluations indépendantes. L’intitulé de l’une des dernières évaluations en date est explicite : « Des pesticides interdits encore utilisés dans l’Union européenne – Banned pesticides still in use in the EU » (2).
Sur la base d’analyses des données disponibles de la Commission européenne, PAN Europe s’inquiète également des « autorisations d’urgence » approuvées entre 2019 et 2022 pour des substances actives normalement non autorisées. « Nous avons trouvé pas moins de 236 dérogations accordées à 14 substances actives », explique Angeliki Lysimachou, responsable de la politique scientifique chez PAN Europe.
Les cocktails de pesticides sont un autre point d’inquiétude pour PAN Europe, car une mixture de substances (on parle d’effet cocktail) peut rendre les produits plus toxiques encore :
Malgré le contrôle de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), il n’y a toujours pas de régulation pour protéger le citoyens des mélanges de pesticides auxquels ils sont exposés à travers leur nourriture ou l’environnement.
Les substances litigieuses restent parfois sur les marchés des années après avoir été identifiées comme dangereuses, parce que les procédures administratives nécessaires à leur retrait définitif trainent en longueur. « Cela confirme que le principe de précaution n’est pas implémenté convenablement », s’insurge Angeliki Lysimachou. Parfois les périodes d’autorisations sont prolongées d’années en années, même lorsque les preuves de toxicité pour la santé et l’environnement sont avérées. L’information devient très opaque quand des décisions doivent être concertées entre États membres à propos de l’interdiction ou de l’autorisation de pesticides et que plusieurs conflits d’intérêt s’entremêlent.
Les règlement du Parlement européen et du Conseil relatifs à la transparence et à la pérennité de l’évaluation des risques de l’Union dans la chaîne alimentaire demandent que l’industrie publie ses études et recherches par l’entremise de l’EFSA : « Mais les comptes-rendus des réunions qui suivent les publications de ces études ne sont pas très détaillés », déplore Angeliki Lysimachou. « Nous n’y sommes par exemple pas informés des décisions des États membres, qui ne sont pas tenus de rendre des comptes ».
Des évaluations strictes de la toxicité des pesticides doivent être faites régulièrement. PAN réalise ses évaluations avec un engagement précis :
Nous pensons qu’il faut mettre en œuvre ce qui est prévu dans le Pacte vert européen afin de diminuer l’usage des pesticides synthétiques et de les remplacer par des biopesticides et des alternatives agroécologiques. Nous considérons qu’il faut interdire l’exportation des pesticides interdits et avoir une tolérance zéro pour les pesticides résiduels dans la nourriture importée.
L’agriculteur français Antoine Lambert, président de l’association Phytovictimes (3), est venu témoigner lors de la conférence du 27 avril. Il est reconnu officiellement malade par le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides en France. La maladie diagnostiquée, une thrombocytémie essentielle, est plus due aux solvants qu’aux substances actives.
Phytovictimes a été co-fondée par l’agriculteur Paul François, en 2011, à la suite de la médiatisation de son procès contre Monsanto. « C’est ainsi que des victimes se sont regroupées, des agriculteurs, des salariés du monde agricole, mais aussi de l’agroalimentaire, des espaces verts, du bois et de tous les domaines qui génèrent des expositions aux pesticides comme des agents territoriaux de ville, des dockers, des agents de dératisation, des agents de désinfection, démoustication…, les métiers sont multiples et ne s’arrêtent absolument pas à la sphère agricole », explique Antoine Lambert.
Les effets des pesticides sur la santé et l’environnement étaient « à peine un sujet » avant 2011, témoigne Antoine Lambert :
Les victimes devaient alors entreprendre un long combat juridique en France pour faire reconnaitre leur pathologie en lien avec les pesticides (…) Notre association a pu mettre en lumière l’existence de très nombreuses victimes des pesticides. Les travaux de recherche ont permis d’identifier des cas de Parkinson, de lymphomes non hodgkinien, de cancer de la prostate en lien direct avec l’utilisation professionnelle des pesticides.
En octobre 2019, l’Assemblée nationale en France a voté la création d’un Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. « Il n’est pas beaucoup plus généreux que l’ancien système », selon Antoine Lambert, mais cette reconnaissance un peu plus officielle a donné lieu à un nombre important de demandes :
Nous n’étions qu’un dizaine avant les années 2010, une centaine avant les années 2020, pour arriver à plus de 600 demandes en 2022. Et ce n’est pas une problématique juste française. L’usage des pesticides est généralement semblable en Europe et ailleurs dans le monde, les schémas d’homologation sont assez proches.
L’immobilité n’est pas une option, « car si on ne fait rien, il n’y aura plus aucun pesticide qui sera efficace par émergence de résistance en 2050 », explique Christian Huyghe, directeur scientifique chez INRAE – Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (France).
L’INRAE a lancé il y a quatre ans un programme prioritaire de recherche intitulé « Cultiver et protéger autrement ». Ce programme explore les possibilités de scénarios zéro pesticides. Christian Huyghe est venu le présenter à Bruxelles le 27 avril 2023:
En recherche, quand on faisait le bilan, peu de projets posaient une ambition extrêmement forte et transformative. Pour fixer cet objectif zéro pesticides extrêmement rigoureux, une alliance de recherche européenne est nécessaire, qui regroupe 35 organismes de recherche de 20 pays différents, sous le nom, en anglais, de Towards Pesticide-Free Agriculture (Vers une agriculture sans pesticides).
Selon Christian Huyghe, le principal obstacle à surmonter lorsqu’on aborde la question des pesticides est conceptuel :
On les considère comme étant un intrant, au même titre que les engrais. Et un intrant c’est quelque chose qui a une courbe de réponse, donc, plus vous en mettez, mieux ça marche. Or, les pesticides devraient plus être comparés à des médicaments. Si l’on vous prescrit des antibiotiques, ce n’est pas parce que vous en prenez cinq fois plus qu’ils vous guériront mieux.
Pour sortir de cette impasse en termes d’impact sur le milieu et de protection des plantes, il est obligatoire de penser beaucoup plus large :
Nous devons chercher à savoir comment combiner une option de performance productive au service et en réponse à la demande alimentaire et non-alimentaire en même temps. Plus que préserver l’environnement, il faut restaurer l’environnement et récupérer des services que l’environnement peut nous apporter.
Les scénarios envisagés combinent évolution de la production, de la transformation, de la commercialisation et de la consommation :
Nous réfléchissons entre autres à la consommation de produits animaux, parce qu’ils font souvent partie des produits qui mettent une pression sur l’usage des terres et conduisent à une forme d’intensification.
Plusieurs pistes sont explorées, l’immunité végétale et l’amélioration génétique de la résistance, mais aussi le microbiote du végétal, « qui est, pour la plante, à la fois une façon de se protéger et de se nourrir », explique Christian Huyghe. Le concept prôné est celui de l’holobionte végétal, « où l’on réfléchit la plante avec ses gênes végétaux, les micro-organismes, l’ensemble de sa diversité, et où l’on mobilise les interactions au service de la protection».
Un autre élément important réside dans la création de paysages agricoles diversifiés, de parcelles avec plus de diversités génétiques et spécifiques appuyées par de la transition numérique, de l’intelligence artificielle, qui permettent « d’apporter des solutions », défend Christian Huyghe :
Ces scénarios sont quantifiés en termes d’impacts de production, avec des hypothèses de production hautes et basses. Il faut surtout éviter de travailler en silos et évaluer les impacts sur l’importation, la consommation ainsi que sur les gaz à effet de serre.
À ces scénarios s’ajoutent des hypothèses de transition, avec un horizon fixé à la moitié du siècle, en 2050. Ces hypothèses sont étudiées sur la base de quatre études de cas : des productions de céréales en Finlande et en Toscane, de légumes en Roumanie et de vin en France.
Il existe des leviers techniques, mais il y a aussi des changements fondamentaux à réaliser, des modifications de production et de consommation qui vont au-delà de l’unique recherche de l’efficience. Selon Christian Huyghe :
La transition dépend des opérateurs locaux et elle est donc à construire avec eux. Elle dépend aussi de la continuité dans la prise de décision. Elle ne peut se produire que dans une orientation politique extrêmement stable… s’il n’y a pas le temps long, il n’y a pas de changement possible, conclut Christian Huyghe.
Rédaction : Pierre Coopman
Réalisé par :
(1) Cette Commission spéciale PEST avait été créée à la suite des révélations liées à la publication des Monsanto Papers mettant à jour une campagne orchestrée de désinformation pour permettre la réautorisation du glyphosate, le pesticide le plus utilisé au monde.