13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite24 septembre 2024
Dans la dernière édition de notre revue Défis Sud, un article sur la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) a montré que cette transition implique la participation des producteur·rice·s, des consommateur·rice·s, des sociétés civiles, de l’Etat, du secteur privé, des chercheur·euse·s, etc. Ce nouvel article explore comment des fermes-écoles au Sénégal offrent un terrain fertile pour semer les graines du changement.
Les fermes-écoles au Sénégal sont des laboratoires d’innovation agroécologique où l’enseignement pratique prime. Chaque apprenant.e expérimente sur des parcelles agricoles pendant plus de six mois en ayant à sa disposition tout le matériel nécessaire (outils, graines, etc.). Cela permet un engagement prolongé dans le processus d’apprentissage, favorisant une compréhension approfondie des pratiques agricoles et agroécologiques.
Dans la pratique, chaque ferme-école adopte une recette propre en fixant la durée de la formation, le statut légal de la ferme (privé/associatif), les objectifs et le contenu du programme, la pédagogie utilisée, le diplôme octroyé (formel ou informel) et le niveau d’expertise des formateur.rice.s (diplômé.e.s de la ferme-école, issu.e.s de la paysannerie ou du milieu universitaire). Les fermes-écoles ont donc des formats très hétéroclites.
Ces fermes, au nombre d’une vingtaine, bien qu’elles visent la rentabilité comme des exploitations traditionnelles, sont gérées par les personnes en formation (maraîchage et élevage). Elles ont des profils variés. C’est pourquoi certaines d’entre elles sélectionnent, dès l’entrée, les personnes, selon des critères spécifiques (motivation, diplôme obtenu, etc.) qui sont identifiés comme pertinents pour garantir un niveau de production.
Ces centres de formation vont au-delà des simples leçons théoriques. Ces formations s’étendent sur plusieurs mois, voire plusieurs années, et permettent de se mettre dans la peau d’un.e agricult.eur.rice. Au Sénégal, l’agriculture change au gré des deux saisons (sèche et pluies). Pour recevoir une formation complète, il faut pouvoir maîtriser les cultures et leur gestion sur l’ensemble d’une année. Comme il existe de nombreuses cultures qui peuvent être produites, l’enseignement doit procurer les connaissances pour chacune d’entre elles. Ceci demande du temps, mais c’est primordial ! Si un événement de la saison des pluies se produisait, comme une attaque d’insectes, la personne formée uniquement lors de la saison sèche serait bien démunie.
Ici c’est la réalité du terrain qui amène les personnes à s’intéresser à la théorie. Elles peuvent expérimenter, se tromper, échanger des idées et développer des compétences pratiques. Cela leur offre une totale immersion dans les principes de l’agroécologie. L’alliance entre cours théoriques et pratiques crée un équilibre nécessaire pour former des personnes pouvant réellement mettre en place des actions concrètes de changement.
Les écoles adoptent une approche globale dans leurs formations. Le but est que les personnes formées détiennent l’ensemble des compétences nécessaires à leur installation. Le parcours proposé permet de se former théoriquement sur l’ensemble des piliers de la durabilité : social, environnemental et économique. La théorie est vue comme un pilier des apprentissages pratiques. Dans la même optique, les écoles cherchent à développer des réelles communautés d’apprenant.e.s pouvant continuer à s’entraider au-delà de la formation. Cela se fait souvent via un groupe « WhatsApp » et des réunions plusieurs fois par an.
Pour évaluer l’impact réel des fermes-écoles, une enquête approfondie a été menée auprès des personnes formées par différentes fermes-écoles au Sénégal. L’objectif était d’explorer leur satisfaction vis-à-vis de la formation, de mesurer l’acquisition de connaissances et finalement d’évaluer si la formation participe à former de nouveaux acteurs et actrices de changement en faveur de la transition agricole. Et fait marquant : ces centres jouent bel et bien un rôle crucial dans cette préparation !
Parmi les enseignements tirés de l’enquête, la création d’entreprises agroécologiques par les personnes formées (35%) émerge comme un indicateur du succès des fermes-écoles. Ces jeunes contribuent ainsi à la transformation des pratiques agricoles dominantes basées sur la chimie et des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Toutefois, 65% ne réussissent pas à s’installer. De nombreux freins existent et la formation ne permet pas de tous les dépasser :
Globalement, les dilplômé.es. se sentent mieux armées et sensibilisées aux enjeux de durabilité. Ainsi même si ces personnes ne s’installent pas, elles deviennent des relais auprès de leur communauté. Chaque ferme- école crée un écosystème non seulement avec les personnes formées, mais à travers leurs proches des communautés plus larges. Ceci permet petit à petit l’émergence d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Ces formations, souvent gratuites grâce à des donateurs, jouent un rôle sociétal majeur, car elles donnent des compétences à des personnes qui ne trouveraient pas d’établissement pour les former (faute d’argent et d’éducation). De manière plus générale, la formation en ferme-école permet de lutter contre l’exode rural. Elle ouvre la voie à l’installation d’agriculteur.rice.s en zone rurale avec des savoirs et compétences leur permettant d’obtenir un salaire plus décent. Cela a un impact encore difficile à mesurer. Néanmoins, étant donné la structuration familiale au Sénégal, l’on peut affirmer que chaque personne ainsi installée améliore les conditions de vie de plusieurs foyers.
L’étude a également montré que la qualité de l’enseignement en ferme-école repose sur plusieurs éléments clés :
Ainsi, les fermes-écoles façonnent une communauté engagée dans le changement. Ce modèle est toujours en quête de perfectionnement, tant du point de vue pédagogique que du parcours d’insertion professionnelle. En 2024, plusieurs petites fermes ont été crées, chacune dédiée à l’installation durable de 5 personnes en fin de formation (investissement ≈ 22000 € par ferme).
En investissant dans ces centres, on pose les bases d’une agriculture respectueuse de la planète et des communautés qui en dépendent. La graine de la transition est plantée dans les fermes-écoles du Sénégal, prête à germer, et à fleurir pour un avenir plus vert.
Rédaction : Mireille De Graeuwe,chercheuse doctorante à Gembloux Agro-Bio Tech (Uliège)