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Victorine Vasyanira témoigne. Défis Sud a demandé à des personnalités congolaises d’approfondir les analyses du professeur Baudouin Michel parues dans la dernière édition annuelle de Défis Sud. Victorine Vasyanira est l’ancienne présidente du Lofepaco, la Ligue des organisations des femmes paysannes du Congo. Elle est aujourd’hui directrice de l’Académie nationale paysanne congolaise (ANPC), un réseau qui regroupe les organisations paysannes et propose des formations aux femmes agricultrices. Elle réside à Butembo au Nord-Kivu.
En République démocratique du Congo, ce sont les hommes qui gèrent l’argent tiré de l’agriculture, alors que les femmes y sont plus actives que les hommes. Victorine Vasyanira ne mâche pas ses mots. Pour elle, il faut que la situation change.
Dans notre édition annuelle de Défis Sud, Baudouin Michel explique que, comme à l’époque coloniale, la fonction publique congolaise n’a aujourd’hui toujours pas vocation de rendre service à la paysannerie congolaise. Selon lui, ce problème est toujours présent. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Victorine Vasyanira : Les décideurs politiques manquent de volonté pour promouvoir l’agriculture familiale. Dès qu’un Congolais endosse l’habit de politicien, il change rapidement de casquette et roule pour ses propres intérêts. Pourtant, beaucoup de politiciens sont issus des familles paysannes. Il est regrettable de les voir se détourner de la cause paysanne. Depuis 2006, des agriculteurs, des leaders paysans ont été élus députés mais leur bilan est mitigé. Il nous faut un budget conséquent consacré à l’agriculture ! Même le code agricole n’est pas mis en œuvre.
Baudouin Michel explique que lors d’un séminaire organisé à Kinshasa en 2012, le ministre des mines a déclaré que le cadastre minier est au-dessus de la loi agricole. Cela vous étonne ?
C’est dommage que l’agriculture soit marginalisée par rapport au secteur minier. Si dans mon champ on trouve des minerais, on va tout faire pour extraire ces minerais, c’est ça ? Et l’agriculture que j’y fais, ce n’est pas une activité qui mérite une attention particulière ? On marche sur la tête dans ce pays. À mon avis, l’argent venant des mines devrait plutôt être investi dans l’agriculture.
Vous fustigez cette attitude du gouvernement congolais ?
C’est une attitude court-termiste. Étant femme paysanne, je ne peux pas cautionner cela. Il est vrai que les mines rapportent beaucoup de devises dans un délai court par rapport aux devises que peut générer l’agriculture. Le grand Katanga est un exemple. Les minerais y sont exploités à grande échelle mais ce que l’on consomme là-bas, c’est du maïs importé de Zambie. À quoi ça sert d’avoir des mines dont les revenus sont détournés dans les poches des individus et qui ne contribuent pas au développement de l’agriculture ?
Depuis Mobutu, l’agriculture est pauvrement budgétisée en RDC. À l’époque de Mobutu, la part du budget consacrée à l’agriculture était de 1 % pour 90 % de la population vivant en milieu rural. Que vous inspirent ces chiffres ?
Il faut revoir la façon de faire les choses dans ce pays. Il faut rappeler l’Accord de Maputo. On ne peut pas ratifier un tel accord pour le simple plaisir ! Au moins 10 % du budget doit être alloué à l’agriculture. Mais avant cela, il faut d’abord faire un état des lieux, car les augmentations de budget ne doivent pas servir exclusivement à payer les fonctionnaires de l’État dans le secteur agricole.
Le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo est devenu l’ombre de lui-même. Il s’agit d’un éléphant blanc lancé tambour battant quand Vahamwiti Mukesyayiraun, ancien secrétaire général d’un syndicat paysan, était ministre national de l’agriculture. Votre commentaire ?
Chaque politicien qui a participé à ce projet doit être auditionné pour savoir où est allé l’argent. Si ce projet avait été orienté vers l’agriculture familiale, la RDC aurait certainement pu faire des grands pas vers la souveraineté alimentaire. Mais comme les hommes politiques se sont approprié ce projet au détriment des agriculteurs familiaux, les résultats parlent d’eux-mêmes : des avions épandeurs qui n’ont jamais volé, des tracteurs qui prennent la poussière… C’est la preuve du manque de volonté pour promouvoir l’agriculture paysanne dans ce pays.
Un plan national de relance agricole, chiffré à 4,4 milliards de dollars pour 3 ans, a été validé en conseil des ministres en juin dernier. Objectif : promouvoir notamment les cultures vivrières. Pensez-vous que ce plan produira les résultats escomptés alors que les précédents plans n’ont jamais fait décoller l’agriculture congolaise ?
Promouvoir les cultures vivrières, c’est bien, car il faut consommer ce qu’on a produit. Mais il faut d’abord faire une analyse approfondie pour savoir pourquoi les autres plans n’ont pas marché. Il faut aussi mettre ce plan dans les mains de la population et non pas des politiciens. Pour cela, le gouvernement doit identifier les organisations paysannes déjà structurées qui obtiennent des résultats dans différentes filières porteuses. Cependant, une question mérite d’être répondue : 4,4 milliards, c’est beaucoup d’argent par rapport au budget de la RDC. Pour exécuter ce plan, il faut au moins 1 milliard de dollars par an rien que pour l’agriculture. Aujourd’hui, l’agriculture n’a pas plus de 3 % du budget. Réaliser ce plan suppose de passer la part du budget réservée à l’agriculture à 30 % ? D’où viendra tout cet argent et sous quelles conditions sera-t-il utilisé ?
Pensez-vous que les femmes, qui représentent une grande part de population active dans le secteur agricole sont prises en compte lors de l’élaboration des politiques publiques et des plans agricoles ?
En République démocratique du Congo, ce sont les hommes qui gèrent l’argent tiré de l’agriculture, alors que les femmes y sont plus actives que les hommes. Au Nord-Kivu, il y a quand même une femme, Fatuma Hassan Sheilla, qui est ministre provinciale de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Élevage et du Développement rural. J’espère, comme je vous l’expliquais au début de l’entretien, qu’au contraire des hommes, les femmes qui s’investissent en politique ne vont pas rapidement changer de casquette et rouler pour leurs propres intérêts. J’espère que les choses vont bouger afin d’éliminer les injustices. La femme paysanne n’est pas suffisamment prise en compte alors que, par son travail, cette femme paysanne contribue au développement du pays.
Propos recueillis par Merveille Kakule Saliboko
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