Agir avec nous

image
Nos articles > La PAC, son match, ses prolongations et ses conséquences

15 juillet 2021

La PAC, son match, ses prolongations et ses conséquences

icone

En mars 2021, une lettre ouverte des organisations paysannes d’Afrique de l’Ouest rassemblées dans la campagne Mon Lait est Local a été adressée à l’Union européenne (UE). Cette lettre a mis l’accent sur les effets de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de l’UE dans les pays tiers. Fin juin l’UE s’est accordée sur une nouvelle PAC pour la période 2023-2027. Comme à l’Euro du foot, la partie connaît depuis lors ses prolongations : les Etats vont entrer en jeu pour présenter leurs plans stratégiques nationaux. Analysons ce match et ses conséquences sur les paysannes et paysans d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie.

Continuité ou réorientation ?

Le lancement du Pacte vert et de la stratégie de la Ferme à la Fourchette avait fait naître l’espoir que les 270 milliards d’euros de la PAC soient mis au service d’un politique alimentaire européenne ambitieuse contribuant à la transition écologique et aux droits humains en Europe et ailleurs dans le monde. Au premier bilan, les défenseurs de la continuité (le Conseil européen, le lobby de l’agro-industrie, les syndicats agricoles dominants) semblent l’avoir emporté sur les promoteurs d’une réorientation ambitieuse (parlement, ONGs environnementales et de solidarité Nord/Sud, paysans et paysannes).

La Commission a joué un rôle d’arbitre pour pousser à la conclusion de l’accord et vivre avec ses contradictions internes entre Pacte vert ambitieux et allergie à la régulation.  Les propositions du parlement et de la société civile, [1] pour réduire les déséquilibres actuels dans les zones rurales de l’UE (20% des fermes reçoivent 80% des subsides, les petites exploitations disparaissent au profit de fermes toujours plus grandes) ont été au mieux édulcorées voire rendues facultatives. Au niveau environnemental, les plans stratégiques nationaux ne seront pas soumis au Pacte vert et de nombreuses exceptions vont ralentir le fléchage des moyens financiers vers des pratiques favorables à l’environnement. [2]

Très peu de réformes favorables aux pays du Sud

Concernant les effets de la PAC dans les pays tiers et plus particulièrement sur les paysannes et paysans du Sud, les espoirs de réformes portent essentiellement sur la dimension exportatrice de la PAC. La recherche de marchés extérieurs comme débouchés (et de revenus pour l’agro-industrie) s’est en effet progressivement imposée comme l’axe dominant au détriment de l’objectif premier centré sur la sécurité alimentaire européenne. Trois grands types d’impact de la PAC sur les agricultures paysannes du Sud ont été identifiés par les ONG et acteurs du Sud [3] :

– Les paiements directs sur les produits exportés dans les pays du Sud induisent un effet de dumping nuisant aux filières locales. Par exemple, les exportations européennes de volaille ou de lait alimentées par une dérégulation des marchés favorables à la surproduction et des aides qui permettent de vendre sous les coûts de production sur les marchés internationaux.

– Les effets des importations massives de protéines végétales (soja, etc.) pour alimenter le modèle agro-industriel européen qui a délaissé les systèmes de polyculture (ou herbagers) et recherche le moindre coût à défaut d’intégrer les externalités négatives dans les pays producteurs (Brésil, etc.) : accaparement de terre, déforestation, modèle agricole intensif en intrants, perte de biodiversité, violence.

– L’impact sur le climat d’un modèle centré sur l’usage d’engrais azotés, le transports des denrées alimentaires, l’élevage intensif, etc.

Pour rendre la PAC plus cohérente avec le développement de l’agriculture familiale et paysanne dans les pays tiers, plusieurs propositions ont été mises sur la table mais ont eu un écho limité dans un contexte de tensions politiques majeures autour du verdissement de la PAC, de la liberté des Etats à définir leur priorité sans diktat de Bruxelles et de la répartition des aides.

Pour lutter contre l’effet de dumping et les exportations européens à bas coûts, la nouvelle architecture des aides ne sera pas de grand secours et la proposition portée par les organisations ouest-africaines de mettre en place un dispositif de compensation atténuant les effets des aides sur les prix à l’exportation n’a pas été retenue. Il s’agissait pourtant d’une suggestion combinant les droits légitimes de l’UE à soutenir ses acteurs agricoles et des pays tiers à développer leur agriculture.

Autre demande importante qui n’a pas abouti : la mise en place d’un mécanisme d’alerte effectif permettant à des paysans et paysannes du Sud d‘interpeller l’UE lorsque les volumes ou les prix de produits agricoles européens en provenance de l’UE menacent le développement de leurs filières. Ce mécanisme aurait pu être ciblé sur des filières sensibles comme le lait et le poulet mais il faudra se contenter de l’élargissement des observatoires européens des produits agricoles qui suivront le niveau des importations et des exportations… Est-ce que ce sera suffisant pour que les productrices et producteurs du Sud puissent se faire entendre ?

iStock 1002377768 scaled 2 - : La PAC, son match, ses prolongations et ses conséquences

Monica Schuster explique dans le podcast « Champ d’action » les avancées attendues en matière de déforestation importée, avec l’espoir d’une loi contraignante. La mise en place d’éco régime pour encourager la transition vers des pratiques plus durables initie une dynamique. Mais ces progrès semblent bien maigres en regard des enjeux climatiques et environnementaux systémiques dont les agriculteurs et agricultrices familiaux du Sud sont souvent les premières victimes directes et indirectes.

Un point positif

Un sujet de satisfaction concerne la réforme de l’organisation commune des marchés (OCM). Celle-ci fait un pas vers la logique de régulation qu’elle avait à l’origine. [4] Historiquement, en effet, ce pan de la PAC rassemblait les différents leviers d’interventions pour réguler les marchés agricoles avant de voir différentes révisions l’orienter vers les mécanismes de libre marché.

Il s’agit d’un dossier important pour les producteurs européens (entre autres de lait) car il comprend des mécanismes d’interventions publics réglementant la façon dont l’argent public est utilisé pour soutenir les prix et faire face aux crises agricoles.

Il l’est aussi pour les producteurs de lait d’Afrique de l’Ouest, puisqu’une des demandes de leur lettre ouverte est satisfaite : à partir de 2023, l’activation de la réduction des volumes sera en effet facilitée même si la formulation est moins ambitieuse que ce que réclamait la lettre ouverte.  Idem pour l’article 16 où la demande des petits producteurs de lait européen a été partiellement entendue avec (un peu) plus de transparence sur la destination des stocks issus de l’intervention publique. Il s’agissait également d’un point d’attention pour les organisations d’Afrique de l’Ouest soucieuses que les interventions publiques ne permettent pas de subventions cachées à l’exportation.

Le combat n’est pas terminé

Avec le cadre politique dessiné jusqu’à 2027 par la nouvelle PAC, tout semble indiquer que le combat des producteurs, des éleveurs et des transformateurs du Sud et du Nord pour faire entendre leur voix auprès des institutions européennes n’est pas fini et qu’une opportunité majeure de se doter d’un outil en faveur de politiques cohérentes pour la transition des modèles alimentaires européens et le développement des agricultures paysannes dans le monde a été globalement manquée. #WithdrawTheCAP

Rédaction : Benoit De Waegeneer

Article réalisé par :

Défis Sud