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30 mai 2021

La « vague des supermarchés » en Afrique de l’Ouest

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A Dakar, au Sénégal, Auchan est à tous les coins de rue. L’enseigne y a ses contempteurs (« Auchan dégage !») et ses partisans (« Auchan reste !»). L’État sénégalais a pris des mesures en 2018 pour réguler l’implantation des nouvelles grandes surfaces. Est-ce que l’Afrique de l’Ouest est prête pour les supermarchés ? Quelles conséquences auront-ils pour les agricultures familiales ?

En décembre 2020, l’association française Inter-Réseaux-Développement-Rural a publié une synthèse intitulée : « Faut-il craindre ou se réjouir de la vague des supermarchés en Afrique de l’Ouest ? ». Cette synthèse d’Inter-Réseaux mentionne entre autres une étude de 2017 (FARM, 2017) qui concluait que « c’est bien en Afrique de l’Ouest que la progression du nombre d’ouvertures de nouveaux centres commerciaux est la plus forte : + 19 % de janvier 2014 à juin 2015, alors que la progression est de 9 % dans d’autres régions d’Afrique ». En 2018, Auchan comptait 24 magasins au Sénégal et prévoyait d’en ouvrir 30 supplémentaires.

Les supermarchés cherchent à diversifier leurs clientèles et à s’ouvrir aux produits locaux. Ces supermarchés arrivent dans les villes secondaires. Au fur et à mesure que se développe la grande distribution, des plateformes logistiques spécialisées concurrencent les marchés de gros. En janvier 2019, c’est Carrefour-Market qui fait son apparition à Dakar. D’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Kenya, la RDC, le Nigéria sont ciblés par l’enseigne.

Les raisons de l’accélération

Les modes de consommation changent : l’ascenseur social vers la classe moyenne concernerait aujourd’hui de 143 à 370 millions d’Africains, dont une part de plus en plus importante de femmes actives cherchant à réduire le temps consacré aux courses et à la cuisine.

Les consommateurs urbains exigent un éventail plus large de choix des produits. Les Etats tendent à encourager la grande distribution comme l’expression d’une modernisation des systèmes alimentaires. Ils accueillent généralement à bras ouverts les multinationales en mal de nouvelles zones d’expansion.

Mais il faut nuancer l’idée selon laquelle les grandes villes ouest-africaines seraient approvisionnées principalement par les aliments importés et qu’elles se tiendraient déconnectées des circuits de distribution de produits locaux. S’il est exact que pour certains aliments (notamment le riz, le poulet, le poisson, les produits laitiers), la dépendance alimentaire des villes ouest-africaines est préoccupante, la majorité des produits consommés en ville est d’origine locale ou provient des pays limitrophes. La part des importations alimentaires achetées sur le marché international ne dépasse pas 8%.

Un phénomène qui reste encore minoritaire

En Côte d’Ivoire, on estime que seulement 10 % des achats urbains s’effectuent au supermarché. Les emplettes se font encore dans les boutiques de quartier, les supérettes, les marchés traditionnels. En comparaison avec d’autres régions du continent, l’Afrique de l’Ouest semble en retrait de la révolution des supermarchés du fait du dynamisme de ses marchés traditionnels.

Les supermarchés font cependant craindre des pertes d’emploi. L’arrivée d’Auchan dans les quartiers populaires, proposant des produits à des prix accessibles à tous, est vécue comme une sérieuse menace par les vendeurs environnants.

La marginalisation de l’agriculture familiale

Si l’effort de la grande distribution de s’approvisionner localement est réel, la majorité des produits proposés dans les rayons viennent de l’étranger. Les producteurs sont inquiets. Ils connaissent le rapport de force inégal dans les systèmes alimentaires, la guerre des prix et le contrôle des filières par un petit nombre de multinationales. En Amérique latine, la modernisation de l’aval a effectivement conduit à la marginalisation des petits producteurs et à la stimulation de l’agrobusiness.

La grande distribution représente des contraintes pour les producteurs. Le cahier des charges entraîne des coûts de production, des exigences de livraison et de délais, sans que la logistique ne soit facilitée. De gros volumes sont demandés à un prix qui ne rémunère pas les efforts supplémentaires fournis. Il est donc nécessaire d’accompagner les producteurs et les petites unités de transformation afin qu’ils améliorent les emballages, l’hygiène et la qualité.

Les partisans de la distribution dite moderne mettent en avant ses avantages. En réaction au mouvement «Auchan dégage», un contre mouvement dénommé «Auchan reste», porté par des associations de consommateurs, affirme que la chaîne du froid est mieux respectée dans la grande distribution. Néanmoins, les produits frais des supermarchés présentent aussi des risques pour la santé (exposition des matières premières aux engrais chimiques et produits phytosanitaires, additifs, teneur en graisse, sel, sucre, etc.).

Avantages et inconvénients

La grande distribution permettrait de réduire le nombre d’intermédiaires dans les chaînes d’approvisionnement en passant par des grossistes spécialisés ou en contractualisant directement avec les producteurs. Ceci aurait pour effet d’augmenter l’efficacité économique du circuit et de proposer des prix abordables aux consommateurs tout en rémunérant correctement les producteurs.

Cette perception d’une distribution moderne plus efficace doit cependant être questionnée. Rien ne dit que les producteurs seront mieux rémunérés. Les prix pratiqués par Auchan au Sénégal se situent plutôt dans la moyenne du marché selon un producteur interrogé.

Les populations défavorisées achètent dans les marchés traditionnels. En effet, pour les plus pauvres, les lots vendus dans les supermarchés sont parfois trop importants ou coûteux et le commerce de détail «traditionnel» répond mieux à leurs besoins. L’achat en petites quantités permet des ajustements au nombre de consommateurs au sein de la sphère familiale.

L’abondance des vendeurs de rue et des places de marché reste liée à la proximité du lieu où les habitants font leurs courses dans les grandes villes congestionnées d’Afrique subsaharienne. Des facteurs tels que les difficultés de déplacement et l’absence de réfrigérateur à la maison permettent au commerce de proximité de garder l’avantage. De plus, les filières informelles proposent toujours des prix «imbattables».

Enseignements des expériences du Kenya et de l’Afrique du Sud

Les exemples du Kenya et de l’Afrique du Sud semblent montrer que les systèmes conventionnels et les systèmes dits modernes peuvent cohabiter. Dans ces pays, on constate que les supermarchés se développent pour les produits stockables et transformés, mais que les autres formes de distribution continuent de dominer les ventes de produits frais (même les classes sociales nanties vont s’approvisionner au marché).

Les supermarchés sont fréquentés par la classe moyenne. Le petit commerce est loin d’être occulté. On observe que la proximité demeure un déterminant très puissant du lieu où les personnes font leurs courses.

Entre « Auchan dégage » et « Auchan reste », les producteurs partagés

Malgré une certaine inquiétude, les organisations de producteurs d’Afrique de l’Ouest n’ont pas pris officiellement position. Au Sénégal, la grande distribution menace surtout les petits commerçants. Le mouvement « Auchan dégage » était donc principalement porté par ce secteur d’activité.

Selon les riziculteurs qu’Inter-Réseaux a interrogé, il est plutôt satisfaisant de voir leur riz dans les rayons d’Auchan. Ils considèrent que « tant que la grande distribution maintient cette politique d’acheter localement, c’est plutôt une bonne chose, car les commerçants traditionnels font rarement cet effort ».

La synthèse d’Inter-Réseaux : voir lien.

Résumé par Pierre Coopman

Article réalisé par :

Défis Sud