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31 mai 2021

L’Afrique doit protéger ses aviculteurs

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Les exportations avicoles de l’Union européenne vers l’Afrique sub-saharienne sont essentiellement constituées de morceaux de volaille peu demandés par les consommateurs européens. Ces exportations sont la conséquence d’une surproduction encouragée par une politique européenne protectionniste.

L’économiste britannique Paul Goodison, expert depuis plus de 30 ans des relations commerciales de l’Union européenne (UE), affirme qu’un protectionnisme similaire devrait être mis en œuvre, spécifiquement par les pays d’Afrique de l’Ouest, qui doivent d’urgence encourager leurs filières avicoles locales.

Pour les exportateurs européens, l’Afrique de l’Ouest est un marché prometteur, compte tenu du boom démographique, de la croissance de la consommation alimentaire et d’une forte demande de protéines à faible coût. Par exemple, entre 2001 et 2019, les exportations européennes de moitiés ou de quarts de volailles congelés de la sous-espèce Gallus domesticus (Poule domestique) vers l’Afrique de l’Ouest ont plus que triplé, passant de moins de 30 000 tonnes par an à plus de 100 000 tonnes.

Dans un récent document officiel, l’UE souligne le rôle important que la viande de volaille à bas prix peut jouer pour répondre aux besoins des Ouest-Africains. On y lit que « les systèmes traditionnels qui dominent la production ouest-africaine (70%), ne peuvent pas satisfaire les exigences de transformation, de conditionnement et de distribution via des chaînes de froid (…) On y conclut donc que « les modèles actuels d’exportation de l’UE de parties de volaille congelées peuvent mieux répondre aux exigences des consommateurs (…) ».

Respect de la chaîne de froid 

Après avoir passé ce document de l’UE au peigne fin, Paul Goodison note « qu’il existe pourtant de plus en plus de preuves que l’intégrité de la chaîne du froid est violée de manière répétée par les modèles actuels d’exportations de viande de volaille de l’UE ».

Cela résulte parfois des pratiques des importateurs qui consistent à décongeler les parties de volaille importées, à les reconditionner et à les recongeler avant leur distribution ultérieure.

Des violations du système de réfrigération ont également lieu lors des activités commerciales  transfrontalières illicites telles que les réexportations de pièces de volaille vers le Bénin, puis vers le marché nigérian.

Pour des raisons sanitaires, il parait donc nécessaire de réglementer le commerce des parties congelées de volaille de telle sorte que la viande ne puisse être importée et mise en vente sur le marché que par des entreprises agréées.

Mépris du poulet local

L’UE reconnaît que dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, « la production de viande de volaille locale s’est développée régulièrement au fil des ans, certains pays étant plus dynamiques que d’autres ».

Cependant, constate Paul Goodison, « l’UE est plutôt dédaigneuse quant au potentiel de production du secteur avicole local, suggérant qu’il manque de compétitivité en raison d’une efficacité moindre et de coûts élevés par rapport à d’autres régions du monde ».

Cette situation serait due en partie aux conditions climatiques et à l’importance  des maladies animales.

L’exemple du Ghana

L’UE cite une étude de 2017 qui constate que « dans le cas du Ghana, le recours exclusif à la production nationale de viande de volaille nécessiterait une multiplication par vingt des capacités et de la production. (…) Qui plus est, cela exigerait que les secteurs de l’alimentation animale et des céréales soient bien positionnés pour répondre rapidement à la demande du secteur de la viande de volaille, ce qui ne pourrait pas être réalisé à court terme».

Étant donné la forte croissance de la demande, il est donc suggéré que les capacités d’approvisionnement locales ne suffiront pas et que les importations continueront à combler les lacunes en termes de quantité et de qualité, permettant ainsi aux consommateurs africains d’acheter de la viande de volaille à des prix abordables.

De l’aide pour compenser ?

Dans la foulée, l’UE met l’accent sur le déploiement de son aide en faveur de la sécurité alimentaire et de l’agriculture durable en Afrique de l’Ouest sur la période 2014-2020.

Elle note que les droits de douane (entre 30 et 35%) appliqués aux importations en Afrique de l’Ouest de viande de volaille sont plus élevés que dans le reste du monde et qu’en cas d’augmentation soudaine des importations, les pays d’Afrique de l’Ouest ont de toute façon la possibilité d’imposer des mesures de sauvegarde, c’est-à-dire d’augmenter temporairement les droits d’importation, conformément aux procédures convenues au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Selon Paul Goodison, « la compétitivité de la production de volaille en Afrique de l’Ouest n’est pourtant ni pire ni meilleure que celle du secteur de la volaille de l’UE. La principale différence est que l’UE peut se permettre d’investir et de maintenir un régime commercial protectionniste qui augmente les prix obtenus par ses producteurs.»

Le contre-exemple de la Namibie

Paul Goodison appuie son propos en citant la Namibie, en Afrique Australe. Grâce aux promotions de l’investissement depuis 2013, la Namibie illustre ce qui peut être réalisé pour développer la production avicole. Le pays répond à environ 67 % des besoins de consommation nationale. Ce résultat a été obtenu moyennant un surcoût marginal pour les consommateurs namibiens.

Mais ailleurs dans cette région, en Afrique du Sud, de sérieuses contraintes restreignent la capacité du gouvernement à prendre des mesures complètes pour soutenir les plans directeurs du secteur de la volaille. Les expériences précédentes d’accords commerciaux entre l’UE et l’Afrique du Sud montrent que les dispositions de ces accords peuvent limiter la marge de manœuvre des autorités locales.

Des mesures antidumping inefficaces

Entre autres, l’utilisation des mesures antidumping est limitée. Ces mesures doivent en effet être nominatives et spécifiques à des entreprises et à des pays.

Cela pose de sérieux problèmes étant donné la nature paneuropéenne de nombreuses entreprises avicoles, qui contournent les restrictions nationales par le lancement d’exportations à partir d’entreprises d’autres États membres de l’UE.

Ainsi, lorsque des restrictions sur les importations en provenance des Pays-Bas sont appliquées, les importations en provenance de la Belgique voisine augmentent invariablement… Moralité : si la poule peut voler sur quelques mètres au ras du sol, elle ne peut jamais aller loin, mais grâce aux tours de passe-passe de l’industrie avicole européenne elle peut beaucoup voyager vers l’Afrique… à condition d’être congelée et en morceaux…

L’aviculteur africain a bon dos.

Rédaction : Pierre Coopman

A lire :

L’analyse de l’Union européenne : voir lien

L’analyse de Paul Goodison : voir lien

Article réalisé par :

Défis Sud