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16 décembre 2021

Le Congo en proie aux pesticides interdits

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Le fléau des pesticides ne touche pas que les consommateurs et les agriculteurs des pays riches. Les populations des pays pauvres sont encore plus fortement exposées aux risques d’intoxication alimentaire, de contamination, de dégradation des sols et de l’environnement causés par ces produits toxiques.

En Afrique, la promotion des pratiques agroécologiques permettrait d’améliorer la production alimentaire et de préserver l’environnement. La réalité est tout autre. Une enquête publiée en septembre 2020 par l’ONG Suisse Public Eye a montré que l’Afrique est devenue une des principales zones d’exportations de pesticides interdits en Europe.

Danger : 7500 tonnes de pesticides

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Une vingtaine de pays africains figurent parmi les principales destinations des exportations de pesticides interdits Made in Europe. Le Maroc et l’Afrique du Sud
reçoivent les plus gros volumes sur le continent, suivi de loin par l’Egypte, le Soudan et le Sénégal. Au total, près de 7 500 tonnes de pesticides contenant 25 substances dangereuses interdites dans l’UE ont été exportées depuis le sol européen vers l’Afrique pour une utilisation agricole.

Les mesures protectrices y sont très faibles, les aliments y sont contaminés et les évaluations des dommages causés aux écosystèmes y sont presque inexistants.

En RDC, au cœur de l’Afrique

En République démocratique du Congo (RDC), une étude menée par SOS Faim s’est focalisée sur l’utilisation des pesticides par les maraîchers de la région de Kinshasa. L’enquête qualitative et quantitative a été réalisée auprès de 126 exploitants maraîchers de Kimwenza-Mont-Ngafula, de Kimbanseke et de Masina. Une équipe de SOS Faim a également réalisé un reportage dans les environs de Kinshasa et dans la province du Kongo-Central (voir nos témoignages en encadrés).

Les pesticides vendus en RDC proviennent essentiellement de la Chine, de la France, de l’Afrique du Sud, du Royaume-Uni, de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Espagne et des Etats-Unis. L’absence d’encadrement et de suivi sur le terrain expose les producteurs et les consommateurs à différentes pollutions.

Sur l’ensemble des 126 exploitants interrogés durant l’étude et utilisant des pesticides, plus de la moitié sont des femmes actives dans la vente des produits agricoles. 43, 2% des témoins ont affirmé avoir observé les inconvénients de ces engrais chimiques tels que des brûlures sur les plantes, la chute des fleurs et des feuilles, la mauvaise croissance des plantes en cas de surdosage et 23, 9% reconnaissent un risque d’intoxication pour les agriculteurs qui manipulent ces produits, la pollution du sol et de l’air, ainsi que l’appauvrissement du sol. Malgré cette prise de conscience à propos des dangers des pesticides, les dosages observés par les enquêteurs mandatés par SOS Faim sont le plus souvent démesurés. L’utilisation inadéquate est influencée par la situation socio-économique d’extrême pauvreté dans laquelle vivent les témoins. Environ un quart de des témoins ne savent pas nommer les produits qu’ils utilisent exactement.

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L’usage courant du Thiodan

Actuellement, en plus de produits homologués, les enquêteurs ont constaté la présence de produits interdits, les plus courant étant le Dichlorvos et le Thiodan Endosulfan Sulfate. Le produit le plus utilisé par les maraîchers congolais dans la région de Kinshasa est le Thiodan. Son succès peut s’expliquer par un prix abordable (en février 2021 deux flacons de Thiodan revenaient à 2 000 francs congolais, soit 0,83 euros), une offre élevée et une législation faible sur les importations de produits toxiques en RDC. La présence d’une telle substance, interdite en Europe, permet d’affirmer que les Congolais et l’écosystème du Congo sont en danger. On trouve également des traces de produits cancérigènes comme le Paraquat, le Naphtalène, le Dicofol, le Malathion, le Coumachlore, le Brodifacoum et le Carbendazim.

Les agriculteurs interrogés ne peuvent en général pas déchiffrer les dosages prescrits sur les bouteilles de pesticides. De plus, ils n’ont reçu aucune formation sur les mesures de protection et de prévention à prendre pour se protéger contre les risques d’intoxication.

La crainte de perdre la récolte passe avant les considérations sanitaires…

Quand on les confronte aux risques, certains maraîchers justifient néanmoins l’usage de pesticides par la volonté de vouloir protéger les cultures contre les ravageurs et les parasites. Ils dénoncent l’absence de soutien gouvernemental à l’agriculture familiale. Dans un contexte d’extrême pauvreté, l’utilisation de ces pesticides est à leurs yeux la seule manière de sauver leurs récoltes afin de garantir la survie de leurs familles.

La pulvérisation de produits nécessite l’application de mesures de protection strictes. Mais les maraîchers de la région de Kinshasa utilisent des techniques de protection rudimentaires. Les matériaux le plus utilisés pour déverser ces produits sont l’arrosoir ou même de simples bouteilles trouées. 41% des maraîchers ont déclaré ne pas appliquer de mesures de protection pendant et après la pulvérisation des pesticides (ni masques, ni lunettes, ni gants, ni housses) ce qui semble expliquer le nombre élevé de récits relatant des intoxications graves. Les personnes interrogées au cours de cette étude se plaignent des problèmes de troubles digestifs, d’irritation des yeux, de vomissements, de toux, de troubles respiratoires, d’irritation de la peau et de vertiges.

L’unique mesure de protection après l’utilisation d’intrants chimiques semble être le lavage des mains, ainsi que le frottement des mains avec de la cendre. Quant aux traitements des déchets toxiques, 36, 6 % des maraîchers déclarent les jeter au champ, 30,4 % à l’incinération, 15,2% dans les cours d’eau, 11,0% à l’enfouissement.

Les réglementations et législations ne sont pas respectées

Sur le plan international, des mesures ont été prises il y a déjà plusieurs années, telles que la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable, la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), sans oublier la Convention phytosanitaire pour l’Afrique au Sud du Sahara du 13/09/1967 qui avait été signée à Kinshasa et ratifiée par le Congo.

Des lois pour règlementer l’usage des intrants chimiques existent donc, mais certaines mesures d’application sont inexistantes. Une liste des pesticides interdits et homologués (autorisés d’importation) existe en RDC. Mais au lieu des substances homologués, ce sont les produits interdits tels le Dichlorvos et l’Endosulfan et le Thiodan qui sont le plus en circulation.

L’absence de contrôle sérieux aux frontières favorise les réseaux informels. Les faits et gestes des acteurs de ces réseaux informels sont par définition difficiles à cerner. C’est donc en dehors de tout cadre légal que les pesticides interdits en Europe se retrouvent entre les mains des exploitants maraîchers.

Parmi les Etats membres de l’Union européenne, seule la France a pris le leadership en votant une loi contraignante pour l’industrie agrochimie française revenant à interdire les exportations de pesticides non homologués à partir de 2022.

L’absence de la réglementation sur l’achat, le transport, le stockage et l’application des pesticides constitue aussi une contrainte majeure à l’utilisation rationnelle des pesticides. Au niveau européen, à la suite de l’enquête publiée par Public Eye en 2020, des signaux positifs se sont manifestés du côté du Parlement européen et de la Commission européenne. Mais pour amener les décideurs politiques à la prise de mesures concrètes et contraignantes, la pression de la société civile doit être maintenue et intensifiée.

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Bruno Nzambani : « Nous sommes obligés d’en mettre plus »

Mon nom est Bruno Nzambani, Je vis à Kimpese (province du Kongo-Central) où je pratique l’agriculture. Je plante des aubergines et des tomates. J’ai deux enfants. C’est avec ce travail que je nourris ma famille, ça me donne l’argent.

J’ai connu les pesticides chez mon frère qui est aussi un jardinier. J’avais connu un cas d’attaque de maladies sur mes cultures, alors il m’avait recommandé les pesticides mais sans me montrer comment faire.

Parfois les dosages prévus par mètre carré ne fonctionnent pas contre les insectes ou d’autres maladies, alors je suis obligé de mettre plus.

J’achète un demi-litre de pesticide que j’arrose sur un terrain de 300 mètres carrés.  Je ne porte pas les gants et mais je cache mon nez pendant la manipulation des pesticides. Nous savons que ces produits sont des poisons, surtout quand on les manipule. Ensuite si tu manges sans te laver les mains, c’est vraiment mortel.

Je lis les modes d’utilisation des pesticides, mais certaines recommandations, je ne les applique pas.  Je garde tous ces produits là-bas aux champs, parce qu’ici à la maison, j’ai des enfants.

Kafera Sibikolia Horpas : « Il n’y a pas de matériel de protection »

Je m’appelle Kafera Sibikolia Horpas. Je fais les jardins, je cultive des légumes, des bananes et des patates douces. J’utilise souvent le Thiodan pour lutter contre les insectes pour qu’ils ne détruisent pas mes légumes. J’achète le Thiodan à Pont Ngabi, près de Kinshasa.

Quant à l’utilisation, je mets le produit dans l’eau. J’ajoute 5cc du produit dans 5 litres d’eau, je mélange la solution puis je l’applique sur les légumes. Afin de ne pas contaminer les gens, car je sais que ces produits sont toxiques, après la pulvérisation, je laisse passer le temps avant de vendre ces légumes.

Normalement, nous devons utiliser un équipement de protection lors de la manipulation de ces produits mais il n’y en a pas, je ne l’ai pas encore acheté. J’utilise les brindilles de palmier à huile pour appliquer les produits sur les légumes. Après avoir terminé, je me lave les mains avec du savon.

Normalement tous les pesticides sont toxiques. Mais après les avoir pulvérisé, j’attends un peu avant de récolter les légumes. Lorsque nous arrosons avec de l’eau, les pesticides sont éliminés, puis nous pouvons récolter et vendre les légumes. Mais ce n’est pas du tout bon de vendre les légumes dans les 3 ou 4 jours suivant l’application des pesticides, cela peut contaminer les consommateurs et leur provoquer des diarrhées et d’autres maladies que je ne connais pas.

La dernière chose à dire est que nous allons arrêter d’utiliser ces produits car ils sont mauvais. Nous ferons un effort pour trouver d’autres solutions pour contrôler les ravageurs dans nos cultures. Un autre problème que nous rencontrons ici est le manque d’eau pour arroser nos cultures. L’eau est très difficile à trouver. Certains agriculteurs arrosent avec de l’eau de piscine. Parfois, les légumes peuvent être cultivés dans un bon endroit, mais les arroser avec de l’eau polluée peut causer des maladies aux consommateurs.

Maman N’kembi Bondo Angel : « Nous ne connaissions pas les produits biologiques »

Je m’appelle Maman N’kembi Bondo Angel. Je suis animatrice. Je vis à N’djili près de Kinshasa. Je sensibilise les paysans à l’utilisation des bio pesticides. Nous avons constaté que cela fonctionnait mieux, parce que les engrais chimiques que nous utilisions auparavant nous faisaient souffrir, nous donnaient des maladies, de la fièvre et des maux de tête. C’est pourquoi nous préférons utiliser des produits biologiques. En les utilisant, ces produits protégeront le sol, les animaux et les consommateurs.

Avant, nous utilisions des pesticides chimiques. On ne connaissait même pas les doses à utiliser, on en abusait. Parfois, il est recommandé de récolter les cultures après 2 semaines ou 1 mois d’application de pesticides, mais souvent avant cette période, les plantes commencent à pourrir et pour éviter cela, nous récoltions et vendions.

Nous ne connaissions pas les produits biologiques, c’est pourquoi nous utilisions des produits chimiques. Nous constations souvent qu’après avoir consommé nos cultures traités avec les produits chimiques, nous souffrions de maux d’estomac et de maux de tête. De plus, ces produits chimiques s’infiltrent dans le sol et pénètrent dans les eaux souterraines et les sources. Par conséquent, ils polluent les eaux que nous utilisons pour boire et nous laver. C’est donc un danger pour l’eau, pour le consommateur et pour l’agriculteur.

Article rédigé par Nancy Elonga et Pierre Coopman

Propos recueillis par Sabrina Serra

Réalisé par :

Défis Sud