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27 mai 2020

Le « Nexus »? Kezako ?

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Dans le langage de l’aide internationale, le Nexus fait référence aux crises dans lesquelles s’entremêlent et se nourrissent une urgence humanitaire, des besoins structurels en développement et des problèmes de sécurité. Depuis quelques années, le sujet du Nexus ponctue les réflexions menées autour de l’efficacité de l’aide internationale. Face à des crises protéiformes et qui durent, une meilleure coordination des différents acteurs apparaît comme l’une des clés pour une résolution pérenne.

Généralement, lors d’une crise complexe, agir sur une seule dimension de la crise n’apporte que des bienfaits insuffisants, au risque, finalement, de voir la crise durer, se répéter ou pire, dégénérer… La crise du COVID, avec sa dimension à la fois planétaire, durable et multiforme signera-t-elle l’avènement du Nexus ?

Le Burkina confronté au Nexus

Et c’est, en substance, le récent témoignage porté par Abdoulaye Ouédraogo, directeur de l’ONG burkinabè APIL (1), quelques jours seulement avant le début du confinement.

Depuis 2015, cette ONG partenaire de SOS Faim mène, dans la région de Kaya, un programme d’accompagnement de 3500 petits producteurs à travers 80 villages : travail sur la restauration des sols, équipement et formation des agriculteurs avec, comme objectif, l’augmentation de leurs capacités de production. « Jusqu’à fin 2019, le programme se déroulait bien, avec de beaux rendements de légumes, tomates et oignons notamment et 600 nouveaux producteurs accompagnés chaque année » confirme Olivier Hauglustaine, Secrétaire général de SOS Faim, qui a rencontré Abdoulaye début mars.

Située à 2 heures de voiture au nord de la capitale Ouagadougou, cette région était pourtant déjà déstabilisée par des actions terroristes récurrentes. Et depuis le début de l’année 2020, la situation s’est encore dégradée avec l’arrivée de nombreux réfugiés venus de l’extrême nord du pays et fuyant les attaques de groupes armés. Au Burkina Faso, depuis le 1er janvier, ce sont 4000 personnes en moyenne qui fuient chaque jour leur village en quête de sécurité et viennent s’ajouter aux 765 000 déplacés internes déjà enregistrés (2).

Des villages ont ainsi vu rapidement leur population doubler voire tripler. Car, au-delà des camps de déplacés, la solidarité a beaucoup joué : la population, majoritairement paysanne, a ainsi accueilli des parents, des amis, des connaissances, organisant, pour eux, l’hébergement, la nourriture et, parfois même, la mise à disposition de parcelles pour cultiver. La pression, à la fois économique et sociale, s’est donc considérablement accrue sur ces communautés de petits agriculteurs.

Après l’intervention des humanitaires pour répondre aux besoins critiques en matière de santé, d’accès à l’eau, d’alimentation de base, le Programme alimentaire mondial (3) a mis en place un système de « cash for work » : une rémunération journalière contre un travail dans les champs ou hors des champs mais au bénéfice de la communauté.

Une bonne intention aux effets positifs immédiats pour les réfugiés. Mais pour les agriculteurs « hôtes » ? Leur sort est tout autre : n’étant considérés par les programmes d’urgence comme ni en danger ni en souffrance, ils n’ont reçu aucune aide particulière. Ils ont pourtant davantage de bouches à nourrir, quand les réfugiés, directement rémunérés par les institutions internationales, effectuent des travaux pas toujours au bénéfice de leurs hôtes. Dans ces conditions, quel sera l’avenir du programme si prometteur mené par Abdoulaye ?

Ou comment, en l’absence d’une coordination suffisante entre les acteurs, une bonne mesure à court-terme peut créer un déséquilibre à long terme. Et générer frustrations et tensions entre des communautés déjà largement éprouvées.

Work in progress

A l’image de ce que décrit Abdoulaye Ouédraogo, certaines crises sont souvent plus complexes que les récits parfois simplistes qui en sont faits. Et ce type de crise a tendance à la fois à se multiplier et à s’inscrire dans la durée : selon les Nations unies, les crises humanitaires durent aujourd’hui en moyenne plus de 9 ans (4). Dans ces conditions, difficile de dire quand s’arrête l’urgence et quand commence le développement. D’autant qu’à ce duo originel s’est progressivement ajouté le maintien de la paix comme troisième facteur de ces crises et donc troisième pilier de leur résolution.

Cette imbrication n’est pas nouvelle. Mais après plusieurs décennies d’efforts des ONG pour délimiter leur mandat et faire valoir leur spécialisation – urgence, développement et maintien de la paix -, le Sommet humanitaire mondial de 2016 a consacré une « Nouvelle méthode de travail » promue par l’ONU et fondée sur le LRRD – « Linking Relief, Rehabilitation and Development » (5) – formulé au début des années 90 : encourager une plus grande collaboration entre ces trois types d’acteurs, aux savoirs et aux expertises très différents, pour une plus grande efficacité dans la résolution des crises. C’est de là que vient le Nexus.

Depuis, les bailleurs de fonds se familiarisent avec le concept via des projets-pilotes. Il y en a peut-être un qui pourrait aider les agriculteurs hôtes et permettre ainsi à Abdoulaye de poursuivre son programme si prometteur. Mais les portes d’entrée sont rares : seulement six pour l’Union européenne. On sent la frilosité.

Car en réalité, le Nexus ne fait pas l’unanimité. En cause ? Une réticence des bailleurs de fonds à s’engager dans des mandats qu’ils estiment peu clairs, une approche jugée par certains trop technocratique et trop éloignée d’une réalité où la collaboration entre acteurs existe déjà, une différence irréconciliable de philosophie entre l’humanitaire affichant sa neutralité et le développement bien plus lié à la mise en place de politiques et donc à des positions engagées.

Quoi qu’il en soit, pour Olivier Hauglustaine, le succès de cette approche de « Nexus » ne pourra se faire qu’en redonnant un rôle prédominant à l’Etat : «Il faut placer l’Etat au cœur du pilotage des programmes fondés sur le Nexus. Face à des bailleurs de fonds aux comportements encore fort cloisonnés, face à des acteurs aux méthodes et aux expertises différentes, l’Etat pourrait jouer un rôle central de régulation et de coordination, au bénéfice de sa population qu’il connaît bien.»

Covid-19, accélération du Nexus

Mais la crise provoquée par le COVID-19 vient bousculer l’état des réflexions. Non seulement, elle vient aggraver et complexifier les situations de crises, dont celles du Nexus, mais elle lui offre également une possibilité d’expérimentation à échelle planétaire.

Elle aggrave et complexifie, car on voit déjà les conséquences de la crise sanitaire et du confinement sur la santé, bien sûr, mais aussi sur la sécurité alimentaire, le développement économique, les tensions entre communautés. Avec les premiers malades enregistrés le 9 mars 2020, Abdoulaye Ouédraogo d’APIL est inquiet : « Notre pays, déjà touché par un niveau élevé d’insécurité alimentaire dû à une campagne hivernale 2019/2020 désastreuse et un nombre important de déplacés internes dû à la crise sécuritaire, pourrait payer un lourd tribut si la situation du COVID-19 venait à s’accentuer. » Selon le PNUD, l’indice de développement humain connaitrait un « déclin rapide et sans précédent », diminuant pour la première fois de 1,8%.

Elle rappelle également, s’il en était besoin, l’interdépendance extrême mais également la fragilité tout aussi extrême des sociétés, des pays, des économies, des secteurs, des hommes. D’abord sanitaire puis économique, alimentaire ou encore impactant les libertés publiques, elle nous projette dans une vision holistique du monde qui trouve écho dans l’approche Nexus.

Répondre à la crise actuelle avec la relocalisation d’usines de fabrication de masques en Europe ou l’équipement en respirateurs des pays africains permettra de mieux affronter une crise du même type mais ne règlera pas les difficultés liées à la faim qui s’annoncent ni même une crise sanitaire d’un type différent.

Collaborer pour mieux anticiper les crises et favoriser la résilience. Voilà qui sonne comme une évidence. Mais la crise sanitaire pourrait apparaître comme le premier «crash test» en grandeur réelle pour savoir si le secteur de l’aide internationale peut y arriver. Et, surtout, s’il est vraiment prêt à s’y engager.

Rédaction : Géraldine Higel

Cet article est réalisé par :

Défis Sud

(1) APIL : Action pour la Promotion des Initiatives Locales

(2) https://www.unhcr.org/fr/news/briefing/2020/2/5e4fba11a/12-mois-violences-sahel-deplace-700-000-personnes-burkina-faso.html

(3) Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) est l’organisme d’aide alimentaire de l’ONU.

(4) United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) : « Global Humanitarian Overview 2019 », p.4

(5) « Relier aide humanitaire d’urgence, réhabilitation et aide au développement »