13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite8 mars 2020
Du Sahel à l’Inde en passant par l’Europe, les agricultrices mènent un combat permanent pour faire valoir leurs droits. Paradoxalement, ce sont elles qui possèdent les connaissances indispensables à la transition vers un système alimentaire durable. Il est grand temps de les suivre.
Hindatou Amadou, responsable plaidoyer et genre de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane (APESS).
« On voit de plus en plus l’énergie des femmes leaders dans l’agriculture »
Quelle est la situation de la femme agricultrice en Afrique de l’ouest ?
La situation actuelle n’est pas favorable à la femme agricultrice en Afrique de l’ouest, ou en tous cas dans le Sahel. Cela est dû à l’insécurité croissante de la région. Les femmes et leurs familles vivent aujourd’hui dans un climat qui les force à abandonner leurs terres et leurs moyens d’existence pour aller vers des lieux inconnus. Les femmes agricultrices qui se sont battues pour leurs droits et pour l’obtention de terres se retrouvent obligées de les abandonner. C’est un retour à zéro, voire pire car ces déplacements de population entraînent des incertitudes sur les capacités des femmes et des hommes à nourrir leurs familles.
La situation hors des pays sahéliens est différente. Les femmes agricultrices y ont une place affirmée. Elles sont très sollicitées dans les champs, dans l’élevage et dans la transformation des produits.
Y a-t-il (eu), dans le Sahel, des initiatives pour améliorer la situation des femmes agricultrices ?
Il y a une initiative qui a fortement amélioré la situation, c’est le programme d’alphabétisation. Le Sahel est une région à faible taux de scolarisation. Ce programme a permis aux femmes d’apprendre à lire, écrire et calculer. Cela les a beaucoup aidées dans la gestion de leurs activités. Ces programmes ont permis de sortir les femmes de l’ombre. La culture sahélienne étant patriarcale de base.
Quelle est ta vision de l’avenir concernant la place de l’agricultrice de demain au Sahel ?
Il faut d’abord régler le problème d’insécurité. Sinon, je suis très optimiste. On voit de plus en plus l’énergie des femmes leaders dans l’agriculture. On voit beaucoup de femmes qui s’expriment dans leurs entreprises agricoles mais aussi dans la politique. Il y a eu beaucoup de progrès et cela ne va faire que continuer.
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Isabelle Martin, agricultrice et éleveuse de bovins, membre de la Fédération Unie de Groupements d’Eleveurs et d’Agriculteurs (FUGEA) en Belgique.
« Il n’y a pas moins de femmes que d’hommes dans l’agriculture, me semble-t-il. Mais à la différence des hommes, elles sont peu visibles. »
Pourquoi pensez-vous qu’il y a moins d’agricultrices que d’agriculteurs en Europe ?
Par le passé, les fermes étaient transmises au fils aîné. Donc, par « héritage », la ferme est dévolue à un homme. Son épouse devenant ‘’agricultrice’’ sans statut professionnel, optant pour le statut d’aidante agricole.
De ce fait, bien qu’elles soient actives au sein des fermes, elles ne sont pas recensées et n’ont pas le ‘’titre requis’’ pour rentrer dans les organisations agricoles. Elles ne participent donc pas aux débats publics. Elles sont sous-représentées lors des réunions. Politiquement parlant, dans le sens le plus large, on ne leur demande pas leur avis. L’évolution de l’agriculture s’est donc faite par le seul prisme du regard masculin.
Dans le monde agricole belge et européen, les femmes ont-elles un poids décisionnel égal aux hommes ?
Elles ne sont pas ‘’agricultrices ‘’ mais ‘’conjoint-aidant ‘’ c’est-à-dire sans statut apparent. Elles sont donc invisibles. Même s’il existe un syndicat agricole féminin. Sans statut officiel, elles ne peuvent pas postuler à des postes clés comme un syndicat agricole, à la chambre d’agriculture de leur province ou, plus simplement, au comice local ou dans les conseils d’administration des instances.
A mon avis, les femmes engagées dans l’agriculture devraient faire le choix du statut ‘’à titre principal‘’. Ainsi, elles pourraient siéger dans les instances décisionnelles.
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Wekoweu Tsuhah, Directrice du North East Network, Nagaland et membre du Forum National des Droits des Agricultrices en Inde.
« Nous sommes les nourricières, les gardiennes des graines, les gardiennes des connaissances. »
Quelle est la situation des agricultrices au Nagaland ?
Au Nagaland, l’agriculture est une pierre angulaire au sein des différentes communautés. En tant que femmes, nous avons une place affirmée dans nos villages. Nous prenons toutes les décisions à propos des plantations, surtout avec le changement climatique. Mais pour ce qui est des autres formes de participation dans la gouvernance, il est encore très difficile de se faire accepter. Donc la situation est très paradoxale.
Qu’est-ce qui rend les agricultrices Naga uniques ?
Nous pratiquons l’agroécologie et l’agroforesterie. Nos modes de vie, nos fêtes, nos langues même, se sont développés autour de l’agriculture. Nous travaillons collectivement, femmes et hommes.
Quelles sont vos demandes pour les agricultrices du Nagaland ?
Pour les agricultrices d’ici et d’ailleurs, nous demandons l’équité politique. Nous demandons aux politiciens d’écouter les demandes et d’y répondre. Les femmes rurales, les agricultrices assurent la sécurité alimentaire et nutritionnelle de tout le monde. Globalement, on veut avoir accès à la technologie, aux marchés et être écoutées en tant que savantes de l’agriculture pour produire des cultures résilientes aux changements climatiques. Nous avons les solutions, nous demandons à être reconnues et écoutées par les politiciens.
Rédactrice.teur : Lale Pirlot et Maxime Capelle, stagiaires
Retrouvez une version plus complète des 3 interviews dans le Défis Sud de mars 2020
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