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11 décembre 2020

Les indépendances : histoire d’une lutte inachevée

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Photo Abdou Ka - : Les indépendances : histoire d'une lutte inachevée

ABDOU KA, Anthropologue de l’alimentation à l’Université Assane Seck de Ziguinchor au Sénégal et chercheur associé à l’Unité Mixte Internationale 3189 Environnement, Santé, Société.

Evoquer le passé

La colonisation a beaucoup impacté l’alimentation des Africains. Quand les colons sont arrivés, ils ont remplacé les cultures vivrières par d’autres céréales. Ils ont introduit très tôt le riz, qui a changé les  plats et la façon de cuisiner : il était facile à préparer et, subventionné par l’État, il n’était  pas cher.

Autre exemple : jusqu’à l’introduction du bouillon, on relevait le goût de nos sauces par  des plantes sauvages. Mais les aliments venant d’Occident ont symbolisé la modernité, comme le lait en poudre, qui vient d’Europe mais n’est pas du lait.

Décrypter le présent

On a eu notre indépendance politique mais une partie de ce qu’on mange nous vient de l’étranger : du pain (du blé) au petit déjeuner, du riz au déjeuner, des pâtes au dîner. Celui qui contrôle l’alimentation contrôle le pouvoir. La colonisation continue mais d’une autre manière : c’est une colonisation des esprits.

Notre plat national, le ceebu jën, est une fierté pour les Sénégalais mais, à la base, le riz venait de la Caroline du Nord et de l’Indochine, les oignons de Provence et les tomates des Amériques. Ce sont des ingrédients importés que les Sénégalais ont eu l’intelligence de réunir dans cette recette qui, elle, est sénégalaise. Dans la globalisation, c’est à nous de prendre ce qui nous intéresse.

Les maladies chroniques frappant nos pays ne sont pas d’importation mais ce qui les conditionne, si. On est confronté à un problème de sous- et suralimentation, c’est le double fardeau de l’Afrique. Les gens ignorent qu’un seul cube de bouillon suffi t à un repas de 12 personnes, il faut les sensibiliser.

Se pencher sur le futur

On a une alimentation « extravertie », c’est-à-dire qui dépend trop de l’étranger. On ne peut pas dire aux gens de ne pas consommer du riz, mais il faut leur apprendre à diversifier leur alimentation. Changer les habitudes, ça peut prendre une génération : il faut des politiques sur le long terme.

Le mil est très riche et si on n’a pas de viande ou de poisson, on peut utiliser le niébé (espèce de plante alimentaire proche du haricot). Il faut  que l’agroindustrie s’approprie ces cultures locales et les rende attractives et il faut apprendre aux gens à aimer les goûts locaux.

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Photo Hindatou - : Les indépendances : histoire d'une lutte inachevée

HINDATOU N. AMADOU, Responsable plaidoyer et genre de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane (APESS) et coordinatrice régionale de la campagne ouest-africaine Mon lait est local.

La ligne de départ

La campagne émane de la volonté politique de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) de mettre en place une offensive régionale sur le lait à l’image de celle sur le riz. On savait que le réaménagement du Tarif Extérieur Commun (TEC, soit les droits de douane pour entrer sur le marché ouest-africain) était prévu pour 2020 et qu’en Europe, il y aurait la renégociation de la PAC (Politique Agricole Commune), ainsi on voulait pouvoir influencer ces politiques.

La consommation de produits laitiers importés a été favorisée, par le passé, par des dons faits aux écoles. Ils n’étaient pas anodins : si on met à disposition des enfants du lait importé, c’est tout ce qu’ils connaîtront. On travaille déjà sur leurs préférences alimentaires.

Le lait en poudre qui concurrence nos marchés, ce n’est pas du vrai lait : c’est du lait dégraissé qu’on a “réenrichi” avec de l’huile de palme. Nos pays importent des produits laitiers pour une valeur de 500 milliards de francs CFA (plus de 760 millions d’euros). La sécurité alimentaire des Etats africains est ainsi confiée à l’étranger. Par la campagne, on interpelle les Etats pour qu’ils réduisent cette dépendance alimentaire.

Une course de haies

La révision du TEC a finalement été repoussée à 2023 mais cela nous donne du temps pour mieux nous préparer : on veut montrer aux Etats ce qu’on gagnerait en protégeant la filière.

En Europe, on a une campagne-sœur « N’exportons pas nos problèmes » : avec nos amis du Nord, on a obtenu des avancées autour de ce faux lait. Quand on a commencé ce plaidoyer ce n’était pas évident d’être entendu donc c’est une victoire. Et la campagne, qui a maintenant plus de deux ans est en train de se muer en une alliance, c’est en réflexion.

La ligne d’arrivée…

… serait la hausse du TEC, mais pour cela on doit influencer les décideurs politiques, qui sont les plus légitimes pour proposer une modification.

e TEC s’élève à 5% alors que le meilleur scenario le porte à 30-35%. Le Kenya a protégé sa filière laitière à hauteur de 60%, c’est donc possible mais il faut une volonté politique ; ça sera la dernière ligne droite.

Lorsqu’on choisit le lait local, on crée de l’emploi : pour les jeunes, les femmes et les exploitations familiales. Il faut qu’on consomme ce que nous produisons.

Rédactrice : Dieyenaba Faye, volontaire

EN SAVOIR PLUS

Lire le numéro complet du Supporterres n°14 « 60 ans de (dé)colonisation? »