13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite2 octobre 2022
En juin et juillet 2022, plusieurs articles de presse ont fait état de la dégradation du marché du quinoa en Bolivie. Des dangers menacent également le quinoa péruvien. Nous avons interrogé les partenaires boliviens et péruviens de SOS Faim sur le sujet.
En Bolivie, 70 000 familles sont concernées par le quinoa et confrontées actuellement à une baisse drastique du prix de ce produit, en raison notamment de l’augmentation de l’offre au Pérou, mais également dans plus de 120 pays dans le monde, les Etats-Unis, la France et la Chine, entre autres [1].
La particularité du quinoa « royal » cultivé en Bolivie, essentiellement autour du lac salé d’Uyuni, est de présenter un grain plus gros, connu pour sa richesse en protéines, acides aminés, vitamines et minéraux.
Ce grain datant des civilisations précolombiennes n’a pas suscité d’intérêt de la part des colons espagnols, au contraire de la pomme de terre et du maïs. En cause, la présence de saponine autour des grains, mais également sa difficulté d’utilisation dans la fabrication du pain.
Ce n’est qu’à partir des années 1970 que le quinoa a connu un retour en grâce, surtout pour un public « occidental » à la recherche d’un produit à la fois sain et équitable. Une forte demande a ainsi induit une multiplication des prix par quatre, favorable aux producteurs boliviens entre 2000 et 2010.
En 2021, la Bolivie a exporté pour 61,7 millions de dollars [2]. C’est une diminution importante au cours des dernières années, puisqu’en 2014, le montant s’élevait à 196,6 millions de dollars. L’évolution de ces chiffres est essentiellement liée à la valeur du quinoa : 2 072 dollars la tonne en 2021 contre 6 602 dollars la tonne en 2014.
2014 a été très clairement la meilleure année pour les producteurs, à la suite de la mise en exergue par les Nations unies en 2013 de cette culture andine. À cette époque, le boom ressemble à un conte de fées. Le quotidien britannique The Guardian titrait alors : « Comment le quinoa apporte la richesse aux Andes ? ». Et de fait, à Salinas de Garci Mendoza, capitale du quinoa en Bolivie, les revenus annuels familiaux étaient passés de 900 € en 1998 à 13.400 € en 2013 [3].
Mais dès 2014, les prix s’effondrent. D’autres pays ont semé, notamment le Pérou, qui se lance dans une production intensive, en particulier à proximité d’Arequipa, à plus basse altitude et sous irrigation, avec la possibilité de récolter trois fois par an, avec des rendements cinq fois supérieurs à ceux de la Bolivie. Les exportations péruviennes explosent. Mais là également, le boom est de courte durée. La plus faible altitude rend les variétés cultivées plus fragiles aux insectes et induit une utilisation intense de pesticides : plusieurs tonnes de produits exportées vers les Etats-Unis sont refusées et renvoyées.
En Bolivie, la zone tropicale de Santa Cruz suivra-t-elle commercialement les traces du Pérou ? À partir de 2023, un quinoa tropicalisé y sera cultivé avec des perspectives de rendement 3 à 4 fois supérieur à l’Altiplano. Une application « d’un modèle de développement économiquement viable, durable écologiquement et socialement responsable » [4], selon l’économiste Gary Antonio Rodriguez.
Récemment, l’évolution négative des prix a eu un impact net sur le choix des paysans, puisque la production de 2021 a été de 38 800 tonnes, par rapport à 70 170 tonnes en 2020.
De son côté, le Pérou a pris la place de premier pays exportateur. Le pays a augmenté sa production (89 775 tonnes en 2019), mais ce n’est pas la même qualité que le quinoa royal en Bolivie et les coûts de production sont aussi largement inférieurs.
ANAPQUI est le principal acteur associatif sur le marché du quinoa en Bolivie. L’année internationale de quinoa en 2013 fut une sorte de « cadeau empoisonné » pour ANAPQUI, avec plusieurs effets négatifs : la volonté d’étendre les surfaces cultivées dans un premier temps a généré pas mal de conflits sociaux ; d’autres pays se sont lancés dans la production et les mesures de soutien politique en Bolivie n’ont pas suivi tant au niveau de la production que de la commercialisation. La Bolivie se retrouve dès lors en position défavorable pour l’exportation par rapport à un concurrent comme le Pérou.
Au niveau interne, on note en revanche une légère croissance de la consommation de 1,5 à 2 kilos par personne par an, grâce au soutien de l’État via l’intégration du quinoa dans les programmes prénataux et les petits déjeuners scolaires.
Alors, quel avenir pour le quinoa bolivien ? Tout d’abord, dans la zone de l’Altiplano Sud, 85% des habitants dépendent du quinoa et il est donc vital de trouver des solutions pour rétablir l’attractivité de sa production. Il est nécessaire de rétablir la fertilité des sols et de renforcer encore la production organique de quinoa, avec un objectif de rendement similaire à celui observé en Espagne (45 quintaux à l’hectare). Mais il faut également travailler à la reconnaissance de la dénomination d’origine du quinoa royal et de sa qualité exceptionnelle, afin d’augmenter les prix d’achat aux producteurs boliviens.
La CAAP compte en son sein deux coopératives de producteurs de quinoa. La CAAP confirme que la tendance péruvienne est plus positive, avec une croissance constante de la production et une concentration sur les hauts-plateaux de Puno (45%), à proximité de la Bolivie.
A niveau interne, le quinoa est surtout consommé à Lima, la capitale du Pérou. Comme en Bolivie, la consommation nationale de quinoa est assez faible, Au Pérou, elle est de 2,5 kilos par an par habitant, alors que le riz et le blé dépassent les 20 kg par personne par an. Mais l’intérêt interne pour le quinoa va en croissant. Les marchés d’exportation restent surtout orientés vers l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada).
Des dangers planent cependant sur le quinoa péruvien : la demande croissante engendre le besoin d’augmenter les rendements et de recourir à une production plus intensive. La mécanisation et l’abandon de rotations classiques peuvent générer de l’érosion, de la perte de fertilité et le développement de maladies. Il y a également une perte de biodiversité avec la généralisation du quinoa à grain blanc.
Les années à venir seront sans doute déterminantes pour le futur du quinoa. Sa culture va-t-elle continuer à se mondialiser, à l’instar de la pomme de terre ? Les zones de production de départ vont-elles réussir à protéger d’une manière ou l’autre la dénomination d’origine ?
Rédaction : Marc Mees
Réalisé par :
[1] Pagina Siete:: la quinoa boliviana : del sueño a una pesadilla – 25 juin 2022.
[2] Instituto Boliviano de Comercio Exterior
[3] Quinoa Boom, Marta Rubio pour Libération – octobre 2016
[4] La brujula digital : la quinoa boliviana en su mala hora – juillet 2022.