16 avril 2025
Quand la tech booste les récoltes en RDC
Lire la suite12 décembre 2022
Ce n’est un secret pour personne : les pesticides sont extrêmement toxiques. Les dégâts causés par ces produits chimiques sont colossaux. Une étude récente estime qu’environ 385 millions d’empoisonnements dus aux pesticides ont lieu chaque année dont 11 000 sont fatals. Les 860 millions d’agriculteurs qui manipulent ces produits quotidiennement sont évidemment en première ligne. 43,6% d’entre eux seraient ainsi chaque année victimes d’une intoxication grave selon une étude réalisée par le Pesticide Action Network (PAN).
Un simple contact ou une exposition prolongée à ces substances peut engendrer des séquelles graves comme des troubles respiratoires ou cognitifs ou encore des perturbations du système endocrinien mais également des maladies mortelles comme le cancer ou la maladie de Parkinson.
Au-delà des êtres humains, toute forme de vie se retrouve aujourd’hui contaminée : eau, air, sol, faune, flore. Entre 1976 et 2017, en Allemagne, le nombre d’insectes a diminué de 76 %. En 2019, des échantillons de sols prélevés dans 11 pays européens ont révélé des traces de pesticides dans 80 % des cas. Sans compter que ces substances figurent parmi
les principaux facteurs de dégradation des eaux. Une étude scientifique réalisée en 2019 a permis de retrouver des traces de pesticides interdits dans des cours d’eau européens. Le carbendazime, un pesticide interdit d’usage en Europe depuis plus de 12 ans a été retrouvé dans 93% des échantillons.
Les pesticides sont partout et ravagent tout sur leur passage.
Aujourd’hui, de nombreux.ses expert·e·s scientifiques et paysan·ne·s l’affirment : il faut progressivement abandonner l’usage de ces produits toxiques et se tourner vers des solutions agroécologiques afin de préserver les vies humaines et la biodiversité. Dans ce sens, l’Union européenne a d’ailleurs interdit sur son sol l’utilisation de nombreux pesticides au vu des risques sanitaires et environnementaux qu’ils présentent.
Nous pourrions nous réjouir de cette législation qui semble nous protéger mais il ne faut pas s’y tromper : ce mur d’illusion cache en fait une bien sombre réalité. Si l’utilisation de ces pesticides est interdite sur le sol européen, la production, elle, est toujours autorisée, tout comme le stockage et l’exportation. Et les géants de l’agrochimie comme Syngenta, Bayer ou encore BASF, qui possèdent tous leur siège en Europe, y voient une belle opportunité pour leurs affaires florissantes, quoique malodorantes.
Oui, ce commerce toxique rapporte gros : en 2018, l’UE a vendu pour plus de 584 millions d’euros de pesticides interdits aux pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay). L’Union européenne écoule ainsi chaque année des milliers de tonnes de pesticides (81 000 tonnes en 2018) : le Royaume-Uni, la France, l’Italie, les Pays-Bas figurent parmi les plus grands exportateurs. Pas de second rôle pour la Belgique : en 2020, elle a exporté plus de 4000 tonnes de pesticides interdits et a été le premier exportateur européen de néonicotinoïdes interdits. Ces produits extrêmement toxiques pour les abeilles et la biodiversité sont produits par Syngenta à Seneffe, chez nous en Wallonie.
Ces pesticides européens sont exportés vers 85 pays, dont la grande majorité sont des pays à revenu faible ou intermédiaire : Brésil, Ukraine, Maroc, Mexique, Afrique du Sud, Sénégal, République démocratique du Congo, où l’on déplore un manque de protections adaptées des travailleur·euse·s, de formations adéquates, d’autorité de contrôle ou de réglementations efficaces. Les risques liés à la manipulation de ces produits y sont tels que 99% des décès dus aux pesticides surviennent dans ces pays.
Comble de l’ironie : les principaux pays qui nourrissent l’UE en produits agricoles font partie des destinations privilégiées de ces pesticides interdits. En fin de compte, on retrouve donc ces pesticides toxiques dans nos assiettes sous forme de résidus. Ainsi, sur 5800 échantillons alimentaires analysés en Europe, le carbendazime a été retrouvé dans plus de 1600 d’entre eux alors qu’il est interdit depuis 2009 dans l’UE pour sa toxicité aiguë chez l’humain et ses très sérieux dangers sur la vie aquatique. Rien qu’en 2019, la Belgique en a produit et exporté plus de 100 tonnes vers 12 pays !
Prenons le cas du Mercosur : comme les pesticides ont un effet immédiat sur les cultures, les pays du Mercosur voient tout l’intérêt d’y investir massivement. En agissant de la sorte, ils peuvent étendre leurs zones agricoles et garantir que les récoltes sur ces terres seront rentables… à court terme. L’objectif est de produire à grande échelle des matières premières à bas coût qui pourront ensuite être exportées vers les pays développés. La Belgique, par exemple. Au Brésil, entre 2010 et 2019, la production de soja a augmenté de 54 % et, sans surprise, l’utilisation de pesticides de 71 %. La superficie utilisée pour la seule culture du soja dans l’espace Mercosur équivaut aujourd’hui à la superficie de la France.
Dans un article réalisé par l’association Autres Brésils, Larissa Bombardi, chercheuse à l’université de São Paulo, dénonce, pour sa part, une forme de néocolonialisme : « Les nations riches exportent des produits industrialisés et de haute technologie alors que les pays plus pauvres exportent des biens de base tels que des produits alimentaires et miniers. Aujourd’hui encore, nous continuons à reproduire le modèle colonial que les puissances coloniales européennes ont mis en place, il y a 500 ans. » Elle va même plus loin : « Ce double standard équivaut à un accord tacite selon lequel les citoyens du Mercosur sont des « citoyens de seconde classe », puisque l’on considère comme acceptable le fait qu’ils puissent être exposés à des substances non tolérées dans l’Union européenne ». Il va sans dire que le projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur représenterait un fléau pour la population et l’environnement car, s’il était ratifié, les droits de douane sur les produits chimiques pourraient être réduits jusqu’à 90 %. Les géants agrochimiques sont évidemment favorables à cet accord.
C’est d’ailleurs ces géants nauséabonds qu’il faut pointer du doigt dans cette crise sanitaire et environnementale : Bayer (Allemagne), BASF (Allemagne), Corteva Agriscience (États-Unis), FMC (États-Unis), et Syngenta (Suisse, aujourd’hui détenue par ChemChina, consortium de l’État chinois), les cinq grandes multinationales du secteur réunies au sein du lobby CropLife, qui contrôlent 65 % du marché mondial des pesticides et réalisent au moins un tiers de leur chiffre d’affaires grâce à la vente de pesticides classés sous la dénomination HHP (Highly Hazardous Pesticides) – des pesticides extrêmement dangereux.
Elles pratiquent un lobbying intensif auprès des autorités publiques pour défendre leurs intérêts : ces dépenses atteignent près de 10 millions d’euros par an pour le seul marché européen – plus que le budget de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) consacré à la réglementation des pesticides.
Résultat : selon la FAO, l’usage des pesticides dans le monde a quasiment doublé entre 1990 et 2018, passant de 1,7 à 2,7 millions de tonnes, soit une augmentation de 60% en presque 30 ans. Si cette consommation a très peu évolué en Europe, elle a explosé dans les pays en développement. On compte par exemple une augmentation de 484 % en Amérique du Sud.
Mais, parallèlement, si la production agricole mondiale a plus que doublé depuis les années 1950, les rendements agricoles atteignent aujourd’hui un plafond. Plus préoccupant, ils commencent à décroître dans de nombreuses zones de cultures spécialisées. En effet, les systèmes de production modernes, dépendants des pesticides, ont entraîné des phénomènes croissants de résistance, la dégradation des sols et de la biodiversité et, in fine, la destruction des moyens naturels de production agricole (sols, faune et flore nécessaires au développement des cultures…), tout en contribuant à une aggravation des dérèglements climatiques.
Sur ce sujet, la Commission européenne ne peut pas jouer au bon élève en se cachant derrière sa stratégie durable « De la ferme à la fourchette » alors qu’elle ferme les yeux sur l’exportation de pesticides interdits sur son sol. Elle doit prendre une position forte et juste et l’occasion se présentera dans les prochains mois, dans la cadre de la stratégie en matière de produits chimiques.
Rédactrice : Amélie Halleux
Rendez-vous sur le site www.stop-pesticides.be pour signer la pétition et interpeller nos responsables politiques.
Cet article est tiré du Supporterres de décembre 2022 « Interdits ici. Exportés là-bas. Mortels partout »