13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite23 septembre 2021
L’ouvrage que François Collart Dutilleul consacre à la démocratie alimentaire démontre minutieusement les failles économiques, environnementales mais aussi politiques et sociales de notre système alimentaire mondial.
Au fil des chapitres, le spécialiste du droit de l’alimentation et du droit à la sécurité alimentaire analyse en détail les conditions de la mise en place d’une vraie démocratie alimentaire à toutes les échelles territoriales, où les citoyens-mangeurs seraient partie prenante des décisions en matière de politique alimentaire.
Les chiffres sont là : plus de 800 millions de personnes dans le monde souffrent toujours de la faim et le principe de sécurité alimentaire, adopté en 1996 lors du Sommet mondial de l’alimentation, reste un vœu pieux, au vu des famines, de la malbouffe et des crises climatiques.
François Collart Dutilleul souligne l’importance du droit dans le fonctionnement d’un système qui a laissé s’installer ce qu’il qualifie de véritable désordre alimentaire mondial, par le fait de monopoles de quelques oligarchies alimentaires, de spéculations sur les matières premières, du néolibéralisme du commerce, d’accaparements de terres, d’appropriation du vivant par les pouvoirs économiques, d’insécurité foncière en Afrique. Les exemples abondent. L’ambition de l’auteur est sans ambigüité : pour mettre un terme à ces situations qui empêchent les populations d’accéder à la souveraineté alimentaire, au Sud comme au Nord, il faut changer la législation à tous les niveaux et créer une véritable démocratie alimentaire, champ de tous les possibles en matière de sécurité alimentaire.
Dans le modèle économique actuel, les biens alimentaires sont considérés comme des marchandises parmi d’autres, dépendant de la loi de l’offre et de la demande, soumis aux règlements commerciaux internationaux.
A l’échelle internationale, il n’y a ni principes démocratiques, ni gouvernance d’un système alimentaire (…) Le commerce international et le droit à l’alimentation n’ont donc pas de lien fonctionnel entre eux. Le secteur alimentaire est par conséquent dominé par les Etats et les entreprises transnationales (…) Dominé mais non gouverné. A l’échelle internationale, on discute du dérèglement climatique, du commerce agricole mondial, de l’insécurité alimentaire (…) Ces négociations ont lieu dans trois instances internationales différentes qui ne se croisent à aucun moment (…) Les problèmes traités sont pourtant imbriqués les uns dans les autres et l’absence de gouvernance commune, avec ses implications alimentaires, empêche de concevoir un système international ordonné.
La question de la relocalisation de l’alimentation se pose donc. Mais pas à n’importe quel prix : on ne peut envisager une relocalisation pure et simple au risque de voir apparaître des inégalités entre territoires soumis à des conditions climatiques différentes, ce qui finirait par aggraver l’insécurité alimentaire.
L’auteur propose une relocalisation qui suppose une combinaison choisie des échelles territoriales et non l’exclusion a priori de l’une d’entre elles. On en est loin actuellement : le commerce international interdit les politiques publiques qui encouragent la relocalisation de productions alimentaires ou empêche la population de choisir une alimentation sur base de critères territoriaux, sociaux ou environnementaux.
Pour encourager des politiques territoriales qui favorisent la relocalisation de l’alimentation au lieu de la freiner, l’auteur envisage toutes les combinaisons territoriales possibles : espaces organisés résultant d’accords bilatéraux, collectivités locales, métropoles, communautés de communes, régions, bassins, espaces issus de contrats entre communautés, collectivités.
Bref, un territoire au sens large et nullement délimité géographiquement. Avec un fil rouge, celui du territoire considéré comme un bien commun pour la population qui y vit et s’y approvisionne en nourriture, dont la part individuelle et collective serait valorisée.
Dans un long chapitre, la question de la souveraineté alimentaire est abordée, avec en préambule une évidence juridique : alors que la souveraineté d’un Etat s’exerce sur le territoire et sa population, la souveraineté alimentaire est la plupart du temps encadrée par les règles du commerce international.
Dans ce système, la souveraineté des collectivités locales reste très partielle. C’est précisément pour contrer cette situation que le mouvement paysan Via Campesina, lors du sommet mondial de l’alimentation de 1996, a proposé une définition de la souveraineté alimentaire comme étant « le droit des peuples et des Etats de développer leurs propres politiques agricoles et alimentaires. »
Mais si le principe de souveraineté alimentaire fait son chemin (il est de plus en plus évoqué dans les textes internationaux tels que la Déclaration des droits des paysans de 2018), il reste limité tant que les produits alimentaires sont considérés comme de simples marchandises.
Ce ne serait pas nécessaire si les produits alimentaires étaient traités en fonction de la part de bien commun qu’ils représentent. Pour que les territoires de base puissent bénéficier d’une marge de souveraineté reconnue aux échelons supérieurs, il faut donc pouvoir reconnaître une exception alimentaire. En d’autres termes, l’auteur propose de concilier un commerce international de libre-échange de biens alimentaires avec des objectifs indirectement commerciaux, tels que la sécurité alimentaire, le maintien de l’agriculture, la diversité de celle-ci, la protection de l’environnement et le plein-emploi.
Des principes qui émergent de plus en plus souvent au niveau local, mais qui restent très marginaux dans un contexte commercial largement dominé par les accords bi ou multilatéraux de libre-échange.
Cette notion d’exception alimentaire reste théorique, la plupart des autorités publiques n’étant pas suffisamment autonomes. François Collart Dutilleul imagine la création d’un service public de l’alimentation, à l’instar de la santé ou du logement.
L’auteur termine sa réflexion en envisageant la démocratie alimentaire comme une démocratie à la fois représentative et participative : il ne s’agit pas seulement de repenser le modèle d’organisation de tout un système alimentaire, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, mais également de fixer un projet politique à cette démocratie et de redonner un certain rôle aux mangeurs, qui devraient être partie prenante de cette démocratie.
Au fond, chaque personne a individuellement un droit à l’alimentation comme elle a un droit de vote. (…) La démocratie alimentaire n’est a priori ni mondialiste ni localiste, ni protectionniste, ni expansionniste. (…) Elle n’est favorable ni aux aliments industrialisés, ni aux aliments frais, pas plus au bio qu’à un autre mode de production. Elle est surtout ce que les citoyens décident d’en faire.
Et surtout, la démocratie alimentaire, dans ce qu’elle est une condition sine qua non au respect du droit élémentaire de se nourrir sainement, a des caractères communs avec la démocratie politique.
Les choix individuels des mangeurs-citoyens peuvent peser sur les décisions des opérateurs privés comme sur les politiques publiques qui déterminent l’offre alimentaire et sa dimension territoriale. Parce qu’elle est aussi fondée sur le droit à l’alimentation, la démocratie alimentaire requiert le rôle d’autres droits fondamentaux.
Elle nécessite également un accès à l’information, à l’éducation, mais elle a aussi un rôle inclusif, englobant les minorités. Elle suppose l’égalité de ses membres.
Si aujourd’hui un tel système est encore très absent à l’échelle internationale et européenne, les initiatives locales, les expériences de relocalisation réussies et la multiplication des politiques alimentaires innovantes montrent des exemples porteurs de démocratie alimentaire. Elles nourrissent l’espoir d’une nouvelle forme de citoyenneté participative.
Rédaction : Sabine Schrader
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