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18 février 2021

Quand le Sénégal se mêle de ses oignons

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Deux étudiants de L’ICHEC Brussels Management School ont mené un travail de recherche sur la filière sénégalaise de l’oignon. Ils se sont intéressés aux mesures de protection qui ont été mises en place par l’Etat sénégalais et les ont évaluées.

Au début des années 2000, le marché de l’oignon au Sénégal, où se vendent oignons locaux et oignons importés d’Europe, connaît fréquemment des surplus. Par conséquent, de nombreux agriculteurs se retrouvent incapables de vendre l’entièreté de leur récolte.

De surcroît, la surabondance d’oignons diminue sensiblement les prix de vente, ce qui appauvrit d’autant plus les agriculteurs sénégalais, exploitant pour la plupart moins de 10 hectares de terres. Face à cette situation, l’État sénégalais opte pour le protectionnisme et décide, en 2003, la mise en place de gels périodiques des importations, le but étant de permettre aux agriculteurs d’écouler leurs récoltes sans craindre la concurrence de l’oignon importé et, par la même occasion, de toucher des revenus plus élevés.

Très rapidement, cet objectif a évolué en un objectif d’autosuffisance nationale, gage d’un approvisionnement sûr en oignons, d’une moins grande dépendance aux importations tout en préservant le but initial, celui d’assurer un revenu décent aux agriculteurs.

  • Il ressort en premier lieu que cette politique a permis l’augmentation drastique de la production nationale d’oignons, faisant passer celle-ci d’environ 48 500 tonnes en 2003 à 395 000 tonnes en 2016. Cependant, il apparaît aussi que les importations n’ont cessé d’augmenter depuis lors, passant de 50 000 tonnes à 175 000 tonnes sur la même période. Ainsi, l’on constate qu’atteindre une production nationale permettant l’autosuffisance, ce seuil étant fixé à 350 000 tonnes en 2016, ne met pas un terme à la croissance des importations. La hausse de la production locale d’oignons, n’empêche donc pas l’augmentation des importations annuelle.
  • Ces constats amènent au second résultat de recherches : la politique de gels périodiques n’a pas réussi à permettre une autosuffisance durant toute l’année. Le développement de la filière oignon a favorisé la quantité plus que la qualité de l’oignon, une des raisons pour laquelle l’oignon sénégalais ne se conserve pas assez longtemps pour être vendable tout au long de l’année. En outre, beaucoup de Sénégalais continuent de préférer l’oignon importé: il contient moins d’eau, a plus belle apparence et se conserve plus longtemps.
  • La politique mise en place a cependant permis de rapprocher le pays de l’autosuffisance. Par ailleurs, elle a renforcé le rôle des organisations de producteurs (OP). Ces organisations locales et régionales, qui forment le tissu de l’organisation agricole, garderont une place importante dans la filière oignon en tant qu’organismes de concertation et de coordination. Toutefois, cette politique s’avère insuffisante si le gouvernement sénégalais souhaite atteindre une pleine autosuffisance et améliorer les conditions de vie des agriculteurs. D’une part, elle doit être accompagnée de mesures améliorant les techniques de production et de stockage des oignons. D’autre part, il est nécessaire de continuer les efforts de manière à ce que les agriculteurs bénéficient de davantage de sécurités en termes de revenus et d’accès au crédit.

Quand l’oignon sert d’exemple à la carotte et à la pomme de terre

Les importations d’oignons n’ont pas disparu. Leur présence correspond à des réductions passagères de la disponibilité de l’oignon localement produit.

On observe cependant une progression du taux de couverture des besoins alimentaires passant de 20 à 30% en 2003, à approximativement 70 % en 2020 et un important dynamisme de la filière, visible dans l’évolution significative du taux de croissance de la production entre le début des protections et ces dernières années (approximativement 700 %).

Ainsi, l’instrument du gel a bel et bien porté ses fruits en termes de réduction de la dépendance de la filière et sa sécurisation. Ceci a permis une réduction du risque propre à la spéculation, ce qui à son tour a facilité l’accès au crédit auprès des banques (groupement de producteurs) à titre collectif ou individuel. Ensuite, alors que le gel périodique concernait d’abord exclusivement l’oignon, il s’applique désormais à la carotte et à la pomme de terre locales, attestant davantage de l’efficacité qu’a pu avoir cette mesure sur l’oignon. De plus, parallèlement à la hausse de production, la mesure a également conduit à une augmentation des surfaces ensemencées.

Des mesures complémentaires nécessaires

Il est important de souligner que la mesure de gel ne se suffit point à elle-même comme catalyseur de développement de la filière. Les mesures de protections fonctionnent en synergie, il ne faut donc pas négliger les mesures complémentaires, telles que le développement d’infrastructures de stockage, l’organisation des producteurs en OP, la sécurisation de la filière, l’accès aux ressources de financement et l’amélioration des techniques de production.

L’enjeu central réside dans la capacité de conservation. Il serait tentant de vouloir prolonger les mesures de contingentement, mais la pleine réalisation du potentiel de cette synergie doit nécessairement s’accompagner d’une extension de la durabilité, de la disponibilité du produit sur le marché.

Ceci souligne l’importance de mesures complémentaires, plus particulièrement au regard de l’amélioration technique et l’existence d’aires de stockage. A noter qu’un rapport de la FAO publié en 2018 affirme qu’il n’est pas possible de couvrir le marché sénégalais avec l’oignon national durant tout l’année et ce en dépit de tous les efforts possibles en matière de technique et de choix de semence. Même les semences adaptées aux différents climats que l’on retrouve au Sénégal (cultivées selon les meilleurs procédés et dont les oignons seraient correctement stockés) ne pourraient tenir plus de 7 mois. La poursuite d’un objectif de réduction des dépendances reste cependant tout à fait concevable.

Rédaction : Nicolas DU BOIS D’ENGHIEN et Karim YECHOU

Travail de recherche : La question du développement, au sein de la filière Sénégalaise de l’oignon. Nicolas DU BOIS D’ENGHIEN et Karim YECHOU ICHEC 2020. Travail effectué dans le cadre du « Globalisation & Development Lab » de l’ICHEC en coopération avec les ONG impliquées.

Article réalisé par :

Défis Sud