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6 mai 2022

Questionner la place des intrants de synthèse et des énergies fossiles dans la transition agroécologique

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En mars 2022, SOS Faim a participé à une table ronde en France, à l’Ecole d’agronomie AgroParisTech, en présence de chercheurs, d’ONG et d’organisations paysannes ouest-africaines, afin de discuter de la place des intrants de synthèse et des énergies fossiles dans la transition agroécologique.

Lors des échanges, plusieurs axes de réflexion sont apparus pour démontrer que la question invite au débat et qu’elle fleurte rapidement avec des positions binaires.

Il s’agit de sortir du manichéisme. D’abord parce que la transition agroécologique n’est pas à considérer de manière homogène, dès lors qu’il y a une grande diversité de modèles agricoles dans le monde. Par exemple, pour les filières en monoculture construites et renforcées par des pratiques intensives, comme le soja, le maïs, ou encore le coton (avec de grandes surfaces à exploiter et le besoin de mécanisation et d’intrants qui accompagne), se passer des intrants chimiques semble plus difficile à envisager que pour des plus petites productions vivrières, dites « traditionnelles », souvent diversifiées, à propos desquelles on pourrait de facto parler d’agroécologie. Le point soulevé ici est bien celui de la taille, de ce que permettent les intrants de synthèse en termes de gestion de surfaces immenses, de la productivité que cela engendre et de la peur que cette productivité s’effondre si on enlève les intrants de synthèse de l’équation.

Que faut-il repenser ? La taille des exploitations ? La manière d’utiliser des intrants de synthèse ou bien carrément une agriculture qui s’en passerait ? L’enjeu est bien là. Dans les années 90, l’accès aux intrants de synthèse a été un marqueur de progrès et de modernité. Le sujet a même pu faire l’objet de campagnes de plaidoyer pour y avoir accès, alors même qu’aujourd’hui les campagnes de plaidoyer se battent pour les faire interdire.

Certains intervenants de la table ronde évoquent « la réduction de la pénibilité » permise par l’arrivée des intrants de synthèses en agriculture. D’autres intervenants parlent même de « libération de la femme » grâce à ces intrants. Le débat est clivant.

La recherche d’une transition agroécologique

Nous pourrions alors aborder le sujet différemment, peut-être de manière plus systémique, en sortant des simples prismes de la productivité, de l’efficacité, et en abordant un angle davantage axé sur la durabilité, l’apprentissage des abus du passé et la recherche d’une transition agricole plus associée à la biodiversité.

Les intrants de synthèse ont eu leur période de gloire lorsque les externalités négatives qu’ils pouvaient engager n’étaient pas assez vérifiées. Aujourd’hui on sait : acidification des sols, érosions, excès d’azote dans les nappes phréatiques, dérèglements des écosystèmes, etc. Mais cette prise de conscience arrive dans des systèmes agricoles conventionnels bien établis. Cela crée une vraie tension entre des principes environnementaux (et sociaux) et des principes économiques (et encore sociaux). L’une des recommandations, proposée par l’ONG AVSF[1], est de considérer les difficultés à se passer des intrants de synthèse pour certain.e.s et donc d’y aller « par pallier ». Cela signifierait qu’avant de transiter, de changer de modes d’actions, il faut acquérir une bonne connaissance des pratiques alternatives, pour limiter les obstacles.

Il y a plusieurs points sur lesquels il faut revenir. D’abord, sur la création d’emploi et la pénibilité des emplois, notamment pour les jeunes et les femmes. Il y a sur ce point une vraie ambiguïté. En effet, utiliser des intrants implique moins de pénibilité, mais aussi moins d’emploi. On se dit alors qu’il faudrait travailler à la revalorisation de la profession d’agriculteur, et ainsi offrir des opportunités d’accompagnement vers des modèles agroécologiques offrant des emplois pérennes. Cela devrait passer par des soutiens financiers des secteurs publics et par l’apprentissage d’autres manières de travailler, d’un point de vue organisationnel (création d’organisation paysanne, avec des réseaux de soutien et d’entraide) ou d’un point de vue pratique, en cultivant de plus petites surfaces de manière diversifiée et extensive, c’est-à-dire, qui exerce une pression moindre sur les milieux naturels.

En effet, parmi les externalités négatives dues aux intrants de synthèse il y a la régression des méthodes de cultures diversifiées et associés, en particulier céréales-légumineuses[2], et aussi les pratiques agroforestières[3]. Ces pratiques permettent de bons rendements et une utilisation des sols plus adaptée aux écosystèmes. Aussi, elles permettent des apports de minéraux dans les terres qui soient naturels sans besoins d’ajout de synthèse.

Sortir des dépendances

Il s’agirait aussi de repenser l’association culture-élevage, qui, à l’origine de l’agriculture, n’est pas pensée séparément, la culture des céréales permet de nourrir le bétail, et ensuite les déjections animales permettent de fertiliser les cultures maraichères. Aujourd’hui, les tendances sont à la spécialisation, avec d’une part, des grandes cultures céréalières en monoculture et d’autre part des agriculteurs et agricultrices spécialisé.e.s dans l’élevage intensif, en hors sol pour les plus grandes exploitations.

La rupture de cette complémentarité culture-élevage crée deux principaux problèmes de dépendance. Celle des éleveurs et éleveuses aux grains pour nourrir les animaux et celle des céréaliers et céréalières aux fertilisants de synthèse qu’ils n’ont pas sur place. Une idée serait donc de pouvoir sortir de ces dépendances en favorisant des modèles d’autosuffisance, ou d’interdépendance entre agriculteur.trice.s à plus petite échelle, accompagnés par des politiques de soutien.

Les participants à la table ronde se sont également intéressés aux biointrants. L’organisation nigériane MOORIBEN a développé la vulgarisation aux biopesticides[4] (piments, tabac, ail) et mené des expériences de luttes biologiques sur des grandes cultures comme le mil, avec l’utilisation d’insectes pour contrer les invasions de la chenille mineuse. Ces méthodes semblent être de belles perceptives de recherche dans la transition agroécologique.

Labourer ou pas ?

La difficulté dans la transition agroécologique réside aussi dans la compréhension du terme. Ce point soulève diverses controverses, la pratique du labour en fait partie. Labourer c’est retourner la terre en profondeur pour faire remonter des éléments minéraux et désherber en même temps. Néanmoins, aujourd’hui, on réalise que le labour épuise les sols, les appauvrit et crée des risques d’érosion. Alors, la pratique agroécologique invite à la recherche d’alternatives au labour. Ce dont peuvent s’emparer les utilisateur.trices  d’intrants fertilisants en affirmant que l’utilisation des intrants permet des pratiques agroécologiques de sans-labour. On parle alors de « semis direct », on ne travaille pas la terre mais on la traite directement avec des produits phytosanitaires. Peut-on considérer cette pratique agroécologique ? Il semble que non, dès l’instant où, bien qu’il n’y ait pas de labour, il n’y a pas non plus de soin apporté à la terre.

On peut dire que la transition agroécologique invite à réfléchir et à mettre en œuvre d’autres manières de cultiver en se passant d’intrants de synthèse, ou en minimisant leur utilisation. Toutefois, cela doit être pensé de manière différenciée en fonction des territoires et de manière systémique, en considérant en même temps des enjeux sociaux.

Rédaction : Adèle Funes

Réalisé par :

Défis Sud

[1] Agronomes et vétérinaires sans frontières est une association à but non lucratif française de solidarité internationale en soutien à l’agriculture paysanne.

[2] Par exemple, la pratique du milpa pratiqué en Amérique Latine qui associe la culture de la courge, du haricot et du maïs.

[3] Mode d’exploitation qui associe les arbres et la culture maraichère pour une meilleure protection des sols et le cumule de services rendus pour la production agricole.

[4] Eléments organiques qui peuvent remplacer les pesticides de synthèses. Ils sont d’origine végétale et biologique et permettent, grâce à des systèmes de combinaison, de contrer les parasites.