13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite2 octobre 2022
La transition vers le « tout bio » n’est pas une affaire qui peut être réalisée du jour au lendemain. Le récent échec du Sri Lanka démontre que cette transition a besoin de l’agroécologie ainsi que de politiques économiques et sociales mûrement réfléchies et transparentes.
En 2022, au Sri Lanka, les images du palais présidentiel pris d’assaut par les manifestants ont fait le tour du monde. La pandémie de la Covid-19 a aggravé la situation économique précaire de ce pays. Le président Gotabaya Rajapaksa, en fuite, a dû quitter le pouvoir à la mi-juillet.
Le Sri Lanka est en crise depuis des décennies. L’économie ne s’est jamais entièrement remise des conséquences de la guerre civile (1983-2009). Les colonisations néerlandaises et anglaises avaient favorisé les productions de rente (riz, de thé et de caoutchouc). Ensuite, les diversifications dans l’industrie de la confection et du tourisme n’ont pas apporté les résultats escomptés. Le Sri Lanka est devenu trop dépendant du marché mondial et des capitaux injectés par les expatriés.
Mais cette crise endémique a pris un tournant dramatique, selon certains analystes, après la décision du président Gotabaya Rajapaksa de faire basculer la nation entière dans l’agriculture biologique, suivant une vision ambitieusement dénommée « Des panoramas de prospérité et de splendeur ». Cette vision correspondait au programme d’un mouvement de la société civile appelé Viyathmaga, formé en 2016 à la demande de Gotabaya Rajapaksa. Ce mouvement a ensuite soutenu l’élection de Gotabaya Rajapaksa à la tête de l’Etat, en novembre 2019.
Moins de deux ans plus tard, en avril 2021, le président annonçait brusquement une interdiction complète, dès le mois suivant, des importations d’engrais chimiques et de produits agrochimiques, y compris les pesticides. La raison officielle était de contrôler les coûts croissants des soins de santé provoqués par l’utilisation excessive de produits chimiques dans l’agriculture.
Les analystes pensent toutefois que la véritable raison était un manque de ressources en devises, la pandémie ayant dévasté l’industrie du tourisme et les envois de fonds des travailleurs à l’étranger s’étant effondrés, mettant le pays en difficulté pour payer les produits importés.
Une analyse à propos de cette initiative présidentielle sri-lankaise, parue le site Swissinfo.ch (avril 2022) rappelle qu’une transition vers une agriculture 100% biologique demande du temps, ne peut pas être entamée sur de mauvaises bases et doit être accompagnée par une approche agroécologique :
Devenir 100% biologique nécessite des investissements dans des domaines autres que l’agriculture, comme la fertilité des sols, la qualité des eaux souterraines, la biodiversité et les pollinisateurs (…) Les pays doivent également mettre au point un bon programme de sensibilisation et de formation des agriculteurs, offrir des subventions appropriées.
Le timing de la décision présidentielle était très mauvais, juste au début de la saison du semis :
Des milliers d’agriculteurs sont descendus dans la rue pour protester, se plaignant de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour se préparer et devoir produire leurs propres engrais organiques.
L’interdiction représentait une menace pour les principales cultures agricoles du Sri Lanka où 94 % des riziculteurs et 89 % des producteurs de thé et de caoutchouc utilisent encore des engrais synthétiques. Selon la revue Foreign Policy, la mise en œuvre de ce passage quasi forcé au bio aurait également été confiée à des entrepreneurs proches du mouvement Viyathmaga, susceptibles de bénéficier directement de l’interdiction des engrais synthétiques. La presse internationale, pas forcément favorable au bio et à l’agroécologie, a fait ses choux gras de la déroute qui s’ensuivit (perte de productivité, inflation, etc.). En novembre 2021, l’interdiction était annulée.
Si de nombreux médias ont sauté sur l’occasion de critiquer le bio, il vaut pourtant la peine de relire l’article paru le site Swissinfo.ch, qui a donné la parole à Christoph Studer, agronome et professeur à la Haute école spécialisée de Berne.
Selon cet agronome :
Le passage à l’agriculture biologique doit être progressif et peut se faire d’abord en passant à une agriculture plus durable basée sur l’agroécologie. Cela implique des pratiques telles que l’utilisation accrue de compost et la prévention de l’épuisement des nutriments du sol par des méthodes telles que la rotation des cultures et les cultures intercalaires avec des légumineuses fixatrices d’azote.
Si des agronomes de renom affirment aujourd’hui que la transition se fera grâce à l’agroécologie, un certain nombre d’entre-eux, comme Christoph Studer, défendent aussi la sélection de variétés à haut rendement spécifiquement destinées à l’agriculture biologique. Ce type de sélection est remis en question par une partie du mouvement agroécologique qui considère que l’on risque ainsi de retomber dans les travers des cultures de rente et de ne pas parvenir à préserver la biodiversité.
L’agriculture biologique reste un sujet de controverses. Des chercheurs agricoles renommés y préconisent par exemple l’intégration des technologies transgéniques. Mais l’on retiendra que, sur le fond, le besoin d’une transition agroécologique réfléchie et graduelle est de plus en plus défendue par la communauté scientifique.
L’on remarquera également qu’à suivre le raisonnement de certains chercheurs, le bio semble perçu comme une fin en soi et l’agroécologie uniquement comme un moyen pour y parvenir. Or, l’agroécologie est fondée sur une agriculture biologique complétée par une dimension sociale et politique. Le but devrait plutôt être l’agroécologie dans sa dimension holistique.
La mésaventure du « 100 % bio » au Sri Lanka, et de ses possibles dérives en faveur du mouvement Viyathmaga , démontre que l’agroécologie et l’agriculture biologique doivent aller au-delà de la promotion de pratiques agricoles durables. Elles doivent également se profiler comme des programmes holistiques, proposant des transitions économiques et sociales équitables.
Pour ne pas se terminer en catastrophe précipitée, ces transitions doivent être pensées au sens large, organisées sur le long terme et construites démocratiquement avec tous les secteurs de la société.
A lire : L’agriculture bio, une transition pas forcément simple (Swissinfo.ch)
Rédaction : Pierre Coopman
Réalisé par :