13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite11 janvier 2021
> Jean-Baptiste Kabore a quitté son village pour chercher du travail dans la capitale burkinabè, à Ouagadougou, avant de retourner s’occuper de sa famille.
L’édition annuelle 2020-2021 de Défis Sud propose un regard sur les jeunes ruraux. Notre dossier illustre par quelques témoignages que les politiques d’appui aux jeunesses rurales doivent prendre en compte une grande diversité de contextes.
Manque de moyens, goût de l’aventure, attrait de « l’argent facile », situation familiale difficile, influence des pairs, insécurité… Les différentes formes de migration des jeunes sont le fruit de facteurs multiples aux interactions complexes. Au Burkina Faso, Défis Sud est parti à la rencontre de deux jeunes agriculteurs pour tenter de comprendre les logiques qui les ont poussés sur les routes du voyage.
Environ 70 % de la population du Burkina Faso est rurale et vit de l’agriculture et de l’élevage, dans des conditions agro-climatiques variables et souvent difficiles. Depuis plusieurs décennies, les communautés rurales sont confrontées à la décision de certains jeunes de quitter leur village natal. Cet exode rural s’accélère au fil des années, et conduit à des déséquilibres sociaux, qui menacent la sécurité alimentaire des populations. En effet, ces jeunes qui partent à l’aventure représentent une source de main-d’œuvre indispensable à la réalisation de certains travaux physiques, qu’ils soient agricoles ou communautaires. Pourtant, le phénomène est là et ne diminue pas, au contraire. La faible pluviométrie, les disparités climatiques, les écarts du développement économique entre le Burkina et les pays côtiers voisins, la forte demande en main-d’œuvre dans les plantations, les villes ou les sites d’orpaillage et l’insécurité, sont autant de facteurs déterminants qui conduisent à des expériences de migration.
Pour Jean-Baptiste Kabore, un jeune agriculteur de 34 ans, l’influence de ses pairs et sa volonté d’améliorer sa situation économique l’ont poussé à quitter son village natal pour rejoindre, à pied, la capitale burkinabè, une cinquantaine de kilomètres plus loin. « À ce moment-là, je cultivais et je pratiquais aussi l’élevage », explique-t-il.
« Mes camarades du village partaient en Côte d’Ivoire (ndlr : la Côte d’Ivoire est la première destination des émigrants burkinabès). Ils travaillaient dans les plantations et puis ils revenaient. Donc je me suis dit que pratiquer l’agriculture, c’était un peu fatigant et dérangeant car mes revenus ne me satisfaisaient pas. Quand les autres revenaient de Côte d’Ivoire, ils s’achetaient des motos coûteuses, des postes radio à 4 ou 6 piles. Quand j’étais au village, j’avais des difficultés à obtenir cela. Quand je voyais ça, j’avais envie de faire pareil. J’ai marché à pied jusqu’à Ouaga. Je n’avais rien avec moi, pas de sac, juste un sachet pour mettre 2 ou 3 habits. Je cherchais seulement un lendemain meilleur, je n’avais aucune idée de comment cela allait se passer. Je travaille ici, si ça ne va pas, je change, et ainsi de suite jusqu’à ce que tu trouves un meilleur travail. »
Pour Abdel Aziz Bara, un jeune agri-entrepreneur de 31 ans, la décision de quitter son foyer fut liée à une situation familiale complexe et à sa détermination de rapidement soutenir financièrement sa mère.
« Je viens d’une famille polygame, dans laquelle mon papa a plusieurs femmes. Quand il prend une nouvelle épouse, elle devient sa préférée, et le reste ne le préoccupe plus. Du coup j’ai eu des problèmes familiaux et mes parents se sont séparés. Je voulais faire le maximum pour ma maman. Je voyais que passer par les études ça allait être vraiment très long. Donc il fallait trouver des raccourcis pour pouvoir aider ma maman. C’était vraiment difficile à ce moment car je ne faisais rien, j’étais élève. J’avais un grand frère qui était étudiant en Europe. C’était vraiment dur et il fallait trouver des solutions. La solution idéale c’était de sortir, d’aller à l’aventure. Je n’aimais pas la voie classique. À ce moment, j’étais juste à la recherche d’un travail. »
La recherche d’un emploi décent permettant de gagner suffisamment d’argent est vécue comme une expérience semée d’embûches et empreinte d’une certaine désillusion : arnaques, rémunérations insuffisantes, multiplication de petits boulots… Jean-Baptiste a commencé par pousser des barriques d’eau dans la ville de Ouagadougou, un métier très physique et mal rémunéré :
« Lorsque je poussais les barriques d’eau, je ne pouvais pas gagner d’argent. Les gens sur lesquels je me suis appuyé pour avoir le travail, ce sont eux qui bouffaient l’argent et qui me laissaient sans presque rien. C’était ça le problème. Après avoir poussé des barriques d’eau, je transportais du sable dans une charrette à partir duquel je faisais des briques que je revendais ensuite pour avoir de l’argent. Mais cette fois, la demande n’y était pas. S’il n’y a pas de demande, il n’y a pas de travail… Je suis ensuite devenu boucher à proximité des bars (ndlr : les maquis et bars des villes burkinabè sont souvent entourés par un bataillon de restaurateurs proposant diverses grillades), ce qui était déjà plus rentable pour subvenir à mes besoins ».
Après avoir vendu sa moto pour financer son voyage, Abdel Aziz quitte le Burkina Faso avec l’idée de rejoindre le Gabon, un pays avec une forte demande en main d’œuvre bénéficiant d’une convention de migration avec le Burkina.
« Quand je suis arrivé à Lomé j’ai cherché un travail, mais je n’ai pas eu grand-chose qui me permettait d’envoyer suffisamment au Burkina. Mon premier travail c’était de laver les véhicules. Ensuite je suis allé vers le domaine de la restauration, où j’ai vu aussi que le salaire… ce n’était pas trop ça. Je me suis dit que si je continuais à Cotonou (Bénin), peut-être que j’aurais plus de chance. Mais j’ai vu qu’il n’y avait pas une grande différence entre Cotonou, chez moi (Ouagadougou, Burkina Faso) et Lomé (Togo) et j’ai donc continué au Nigeria. Là-bas… il y a beaucoup de caïds, ce n’est pas un pays facile ».
Abdel Aziz ne s’attarde pas sur cet épisode dans les villes nigérianes.
« J’ai continué jusqu’à la frontière camerounaise, une rivière que l’on devait traverser en pirogue », poursuit-il. « L’argent que j’avais sur moi ne me permettait même pas de prendre cette pirogue. Les prix étaient vraiment énormes et tu n’as pas le choix, soit tu traverses là-bas, soit il te faut un visa. Si tu n’en as pas, tu te fais arrêter par la gendarmerie. Donc on a appris à couper notre respiration pendant longtemps pour pouvoir traverser la rivière. On était une dizaine, on s’est formé pendant des jours en coupant notre respiration, en plongeant notre tête dans un seau d’eau. »
C’est en se lestant avec des pierres qu’Abdel Aziz et ses jeunes compagnons de voyages franchissent la rivière séparant le Nigéria du Cameroun.
Pour Abdel Aziz, son voyage fut une révélation. C’est à cet instant qu’il comprend qu’il veut vivre de sa terre. En traversant les plantations des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale, il découvre une grande diversité d’espèces d’arbres et de systèmes de production. L’idée de reproduire une plantation similaire au Burkina commence à germer en lui. Il raconte comment ce déclic lui est apparu :
« J’ai vu que l’agriculture était vraiment étoffée dans cette zone-là. J’ai vu des grands plants que je n’avais jamais vus au Burkina. J’ai traversé de grandes forêts, des plantations. Le système était plus développé. Je me suis dit que si je pouvais revenir chez moi et me lancer dans ce domaine-là, ça va porter ses fruits. J’ai décidé de maximiser, de travailler dur pour avoir un peu d’argent et puis de revenir. Parce qu’à ce moment-là les terres n’étaient pas chères, il n’y avait pas encore de spéculation. Donc je me disais que c’était l’occasion de rentrer et de faire le maximum pour avoir des champs, des superficies. Et voilà, depuis j’ai arrêté l’aventure et je suis rentré. Avec le soutien de mon grand frère on a pu acheter des terres ».
Il possède à ce jour plusieurs hectares sur lesquels poussent des plantations de papayers et de moringa (arbre des régions tropicales à croissance rapide, dont les feuilles et fleurs sont réputées pour leurs valeurs nutritives et leurs vertus thérapeutiques).
« Je ne vais aller nulle part. Ici c’est chez moi. J’ai décidé de devenir le plus grand producteur de papaye de ce pays, et ça me suffit largement. Même si je ne suis pas très riche, je suis vraiment très bien ici. Grâce à moi il y a pas mal de gens qui profitent, j’ai des employés, des contractuels. J’ai une équipe qui fonctionne sous mes ordres. Je ne veux pas changer cette situation-là ».
Les raisons du retour de Jean-Baptiste dans son village natal sont différentes. Alors qu’il est à Ouagadougou, il apprend que son père, malade, vient de décéder. Il est alors contraint de retourner au village.
« Je ne pensais pas revenir de sitôt au village. Mais mon vieux avait une maladie, qui l’a ensuite emporté. Seule la vieille (ndlr : dans le contexte burkinabè, appeler ses ainés « vieux » est très courant et n’est pas synonyme d’un manque de respect) restait au village. Je me suis dit que si je restais à Ouagadougou pour subvenir à mes besoins, envoyer quelque chose à ma mère allait devenir compliqué. Comme la vieille était seule, j’ai jugé bon de revenir pour prendre soin d’elle ».
Au village, il rencontre sa future épouse, qui lui donnera par la suite des enfants. Depuis, il pratique l’agriculture sur les terres héritées de son père, tout en cherchant à lancer un petit commerce qui l’occupera pendant la saison sèche. Il ne regrette pas ce choix de vie :
« Je ne partirai plus nulle part. Je vais rester ici pour travailler. Ici au moins il y a de l’argent, même si c’est le minimum pour vivre. L’agriculture et l’élevage que je pratique, je ne vais pas les regretter ».
Dans l’exercice de son métier, Jean-Baptiste est cependant confronté à la dégradation de ses terres, qui deviennent de moins en moins fertiles. Ses quelques têtes de bétail ne lui permettent pas d’avoir suffisamment de fumure pour faire du compost et amender naturellement ses champs. Dépendant d’un cercle vicieux, il doit donc investir dans des engrais coûteux et des semences améliorées, qui creusent son budget. « Actuellement l’agriculture demande des moyens, si tu n’en as pas c’est un peu compliqué. C’est le matériel agricole, et puis l’engrais, les semences… Si tu n’as pas mis des moyens dans ton champ, tu risques de ne rien avoir».
Abdel Aziz, lui, aborde différemment la problématique de la fertilité des sols. Il a opté très tôt pour des pratiques durables et moins coûteuses, sans engrais ni produits chimiques de synthèse. Sa méthode de fertilisation a consisté à pratiquer de l’élevage pendant quelques années sur ses futurs champs de papayers et de moringa, afin de les enrichir naturellement avec de la fumure organique. Il est catégorique :
« Utiliser l’engrais ce n’est pas pérenne. 50 kg de NPK (engrais conventionnel) coûtent dix fois plus cher que 2 tonnes de fientes de poules (un engrais naturel). Cette année j’ai utilisé au moins 100 tonnes de compost. Si c’était du NPK, à quel prix j’aurais décroché ça ? ».
Il relativise les avantages procurés par l’utilisation des engrais de synthèse, dont l’usage est très répandu au Burkina Faso. « À court terme cela te donne des résultats, mais à long terme tu n’as rien », nous explique-t-il, philosophe.
« Moi je ne suis pas pressé. J’ai le temps de travailler la terre pour qu’elle soit très bien et qu’elle soit riche. Je préfère que ça commence un peu et que cela soit sur la longue durée plutôt que cela ne me donne tout en un coup, et rien par la suite. Tout le monde sait que le bio c’est l’avenir. D’ailleurs, mon champ est certifié Bio SPG» (ndlr : label de certification biologique alternatif, adapté au contexte local et peu couteux).
Abdel Aziz conclut avec un message à l’adresse des jeunes Africains de sa génération :
« Ce que j’aimerais vraiment ajouter, c’est que si tout le monde, toute la jeunesse africaine et la génération passée, les vieux, pouvait se concentrer vraiment à l’agriculture, je pense que l’Afrique aura tout à y gagner. Déjà on va faire la matière première qu’on peut transformer. On va pouvoir s’autoalimenter. J’aimerais que tous ceux qui ont la possibilité de travailler la terre, s’y mettent. Il faut être patient et travailler dur. Au début ça va être difficile mais une fois que tu as le filon, c’est le bonheur. Je demande à toute personne, à tout jeune Africain qui a l’opportunité de se lancer dans ce domaine d’y aller à fond la caisse et de s’y consacrer corps et âme ».
Un article de Sacha Bronfort. Propos d’Abdel Aziz Bara recueillis avec le soutien technique de Mme Cynthia Sawadogo. Propos de Jean-Baptiste Kabore traduits par Mr Fabrice Kabore.
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