2 septembre 2025
Mobilisation du 4 septembre en Belgique : Humundi dit STOP au traité UE-Mercosur
Lire la suite3 septembre 2025
L’ accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) est dangereux car il ne s’accompagne pas des mesures demandant aux partenaires sud-américains de respecter les règles imposées aux agricultures européennes. A cet égard, l’utilisation d’antibiotiques dans les élevages sud-américains favorise l’apparition de souches bactériennes multi-résistantes et représente une source importante de grands risques sanitaires tant au Nord qu’au Sud.
En février dernier, Jean-Marie Frère, chimiste, biochimiste et professeur émérite à l’Université de Liège, a publié dans la newsletter de l’Académie Royale de Belgique une carte blanche consacrée à la résistance des bactéries aux antibiotiques (1). Une partie de cet article s’intéresse aux accords UE-Mercosur et particulièrement à la surutilisation d’antibiotiques dans les élevages industriels en Amérique du Sud. Cette surutilisation contribue largement à la sélection de souches multi-résistantes éventuellement transmissibles à l’homme et susceptibles de se répandre au-delà des frontières. L’importation dans l’UE de viandes obtenues dans ces conditions récompenserait donc cette pratique néfaste.
En Europe, l’usage d’antibiotiques comme promoteurs de croissance animale ou agents prophylactiques est proscrit depuis 2006. Mais en Chine, en Inde, aux USA et en Amérique du Sud ces pratiques restent courantes. Jean-Marie Frère rappelle qu’elles constituent un vecteur majeur de résistance bactérienne : « Imaginez en effet les résultats de l’irruption d’un streptocoque dans une usine où les poulets sont entassés à raison de 5 par 6 par m² ! », écrit-il pour illustrer la vulnérabilité des élevages intensifs face aux maladies, et la dépendance aux antibiotiques.
« Les bactéries ont mis au point des procédés remarquablement efficaces pour se protéger des molécules qu’elles reconnaissent comme nocives : les détruire, empêcher leur pénétration ou les expulser. Des souches qui combinent ces 3 stratégies peuvent devenir remarquablement résistantes. Et elles ont le nombre pour elles. Dans de bonnes conditions, une seule cellule peut produire plus de 30 milliards de descendants en 12 heures. Si une mutation donnée a 1 chance sur 1 milliard d’apparaître, il est quasi certain qu’on l’observera et si cette mutation conduit à une résistance accrue, la présence d’antibiotiques la sélectionnera. De plus, ces organismes échangent facilement du matériel génétique et un gène muté présent dans une souche inoffensive peut passer dans une souche pathogène ».
Jean Marie Frère dénonce l’incohérence politique de l’accord UE-Mercosur :
« Alors que la Commission européenne finance (132 millions d’euros) des initiatives pour une alimentation durable et de haute qualité dans l’agroalimentaire européen, elle soutient en parallèle un accord qui favoriserait des importations issues de pratiques risquées pour la santé publique. Cherchez la logique ! » (2)
Les partisans de l’accord UE-Mercosur mettent en avant des bénéfices économiques, comme la prospérité du port d’Anvers ou l’exportation de voitures allemandes. Mais Jean-Marie Frère s’indigne de cette posture qui consiste à favoriser des intérêts commerciaux tout en augmentant le risque sanitaire lié à l’antibiorésistance.
Les critiques ne viennent pas que des scientifiques. En Amérique du Sud, des organisations paysannes telles que la Vía Campesina dénoncent un accord qui favorise les grandes filières agro-industrielles exportatrices au détriment des petits producteurs (3). Pour ces organisations, il s’agit d’un modèle destructeur : plus de déforestation en Amazonie, plus de monocultures de soja, plus de viande pour l’export et moins de souveraineté alimentaire pour les populations locales.
Selon Leila Christina Lemes S. Morais, coordinatrice de la Commission pastorale de la Terre, au Brésil, « l’accord UE-Mercosur détruit la vie dans les campagnes, favorise les monocultures, accapare les terres, empoisonne l’environnement et menace les petits producteurs ». (4)
En Europe, ce sont les éleveurs qui s’indignent. Les filières bovines françaises, entre autres, sont vent debout contre l’arrivée de contingents supplémentaires de viande bon marché en provenance du Mercosur. Pour elles, cette concurrence déloyale menace directement la survie de leurs exploitations, soumises à des règles sanitaires et environnementales bien plus strictes.
En toile de fond, c’est bien l’affrontement de deux modèles agricoles qui se joue : un modèle exportateur de masse, basé sur l’élevage intensif, l’usage d’antibiotiques, de pesticides et de déforestation versus un modèle censé valoriser la qualité, la traçabilité et des standards sanitaires élevés. La viande, les pesticides, les forêts, etc. sont devenus les symboles d’un choix de société : celui d’une mondialisation fondée sur les volumes et les profits, ou celui d’une agriculture respectueuse de la santé, de l’environnement et des producteurs.
L’accord UE-Mercosur est négocié depuis près d’un quart de siècle. La France et Pologne, principalement, ont freiné des quatre fers durant des années. Pour sortir de l’impasse, la Commission a scindé l’accord de telle sorte que le volet commercial qui ne ne requiert qu’une majorité qualifiée de 15 des 27 pays membres de l’UE soit séparé de la partie politique exigeant l’unanimité (parce qu’elle concerne des compétences nationales comme les investissements) (5).
Apparemment, la Commission prépare aussi un protocole additionnel, une « solution de contournement » uniquement à l’échelle de l’UE, entre autres pour contenter la France (6). L’astuce permettrait à la Commission de ne pas devoir renégocier l’accord avec les pays du Mercosur. La guerre des tarifs que Donald Trump mène de front contre l’Union européenne et l’Amérique du Sud pourrait précipiter la conclusion du volet commercial, mais la crise de confiance (chute plus que probable du gouvernement Bayrou) que doit gérer le président français Emmanuel Macron l’oblige à proposer des garanties internes à son secteur agricole.
Au plus les détails sont connus, au plus les trucs et astuces des négociateurs indignent celles et ceux qui s’opposent à l’accord. Comme le mentionne le CNCD, « si l’accord UE-Mercosur comporte un chapitre durable qui détaille les normes sociales et environnementales à respecter, le problème, c’est que ni l’Europe, ni le Mercosur ne risquent de vraies sanctions s’ils ne le respectent pas. Pire : il y a bien un mécanisme prévu en cas de violation de l’accord, permettant donc des sanctions commerciales, mais le chapitre développement durable, dans lequel ces normes sont incluses, est le seul à être exclu du mécanisme. » (7)
Confrontés simultanément à des opinions publiques inquiètes et à une Commission européenne qui pousse à conclure, les gouvernements européens se voient privés de leurs capacités d’action et tombent dans l’inertie, alors que les sociétés civiles se mobilisent clairement contre l’accord (8).
Jean-Marie Frère conclut :
« On ne peut pas s’empêcher de penser qu’une même inertie coupable du monde politique s’applique au problème de la résistance et à celui du réchauffement climatique. Et les deux sont parfois liés : en Amérique du Sud, la déforestation de l’Amazonie vise à créer encore plus de zones d’élevage non contrôlé. On ne pourra pas reprocher aux scientifiques de ne pas avoir actionné la sonnette d’alarme. »
Rédaction : Pierre Coopman
Références :