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20 octobre 2022

Biodiversité et dignité agricole

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iStock 1382388622 scaled - Humundi : Biodiversité et dignité agricole
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Du 7 au 19 décembre 2022 à Montréal, au Canada, les participants à la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15) devraient convenir d’une nouvelle série d’objectifs. Avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité représente sans conteste l’un des plus grands enjeux environnementaux de notre époque. La mise en place d’aires protégées est de plus en plus plébiscitée. Mais est-elle réellement pertinente ?

En 1992, 196 Etats s’étaient engagés à protéger ce qu’il reste de la biodiversité terrestre à travers la signature de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies (CDB). Depuis, les rencontres réunissant gouvernements, scientifiques et ONG se sont succédées afin d’établir les mesures nécessaires à la sauvegarde des écosystèmes. Mais malgré des objectifs louables, les différences d’approche et les intérêts divergents des parties prenantes à la Convention rendent encore incertaine la formule exacte de la nouvelle stratégie mondiale.

Un point demeure relativement consensuel : l’établissement d’aires protégées dans le monde, formulée dès 2010 à l’occasion de la Conférence de Nagoya (COP 10) apparaît comme une stratégie de protection de la biodiversité. Pour preuve, l’objectif fixé en la matière est le seul à avoir été atteint, 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures et 10 % des zones marines et côtières à travers le monde étant désormais protégées. Les ambitions sont même à la hausse ! De nombreux États appellent aujourd’hui à protéger 30% de zones naturelles, dont au moins 10% sous protection dite “forte”. En préservant la biodiversité faunique et florale qu’elle abrite, mais aussi les services que cette dernière rend à l’humanité, l’aire protégée apparaît comme un outil de conservation de la nature. Elle s’impose cependant dans un contexte politique asymétrique.

Des objectifs démesurés mais mesurables

Et pour cause, la majorité des pays du Sud, notamment africains, est aujourd’hui confrontée à une mission de protection de l’environnement qui peut sembler disproportionnée face à celle de ses voisins du Nord. Malgré le manque structurel de moyens budgétaires et matériels dans certains États où l’indice de développement humain (IDH) ne dépasse pas des niveaux moyens à faibles, la pression internationale est rude pour ceux qui abritent une grande partie des points chauds de la biodiversité. Rien qu’en Afrique centrale, on compte plus de 200 aires protégées pour une superficie totale de 800 000 km carrés.

Si certains chercheurs remettent en cause le poids démesuré du critère de surface des aires protégées[1], il reste pourtant largement utilisé pour mesurer les progrès accomplis en la matière. Selon Didier Babin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), cela s’explique notamment par la convergence d’intérêts environnementaux, politiques et financiers liant les acteurs impliqués dans ce domaine : créer de grandes surfaces d’aires protégées permet certes de protéger une partie de la biodiversité, mais reste surtout un acte politique aisément communicable pour nos dirigeants, les ONG spécialisées ou les bailleurs de fonds engagés dans le projet[2].

Des chiffres… et rien d’autre ?

Si les surfaces protégées se multiplient à vive allure ces dernières années[3], leur pertinence écologique est souvent questionnée, notamment parce qu’elles sont fréquemment situées là où les écosystèmes sont naturellement peu menacés. Les dirigeants sont en effet plus enclins à respecter leurs engagements internationaux en protégeant des territoires qui ne risquent pas d’affecter le développement économique de la région, et qui sont donc par définition déjà peu dégradés par les activités de la société.  “Ce phénomène, appelé «biais de localisation», est fréquemment souligné par les travaux académiques, et interroge la capacité des aires protégées à être autre chose que des éléments de communication et de greenwashing de la part des États », détaille Philippe Delacote, directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae)[4].

En outre, il ne suffit pas de décréter un territoire protégé pour qu’il le soit effectivement. Encore faut-il que cette nouvelle appellation s’accompagne des justes moyens matériels et financiers, notamment quand les aires protégées en question abritent des espèces animales ou végétales rares et convoitées. Enfin, l’adhésion des populations locales s’avère cruciale pour la réussite du projet de préservation et soulève de nombreuses questions quant à leurs droits d’accès aux ressources naturelles présentes sur le site.

La marque d’un colonialisme vert ?

Priver une partie de la population, notamment agricole, des ressources d’un écosystème auquel elle a eu autrefois accès reste souvent perçu comme injuste et arbitraire.

Guillaume Blanc dans son ouvrage intitulé L’invention du colonialisme vert, pour en finir avec le mythe de l’Eden africain n’hésite pas à y voir la marque d’un colonialisme vert qui prend racine dans l’histoire entremêlée de l’Afrique et de l’Occident. Dès les années 1930, certaines anciennes réserves de chasse réservées aux colonisateurs occidentaux se métamorphosent en parcs nationaux sur le modèle des grandes réserves américaines. Guillaume Blanc dénonce alors le vide qui se fait, souvent par la force, autour de ces zones désormais protégées : “

Dans chacun d’entre eux, du parc Albert au Congo jusqu’au Kruger en Afrique du Sud, les colons expulsent les Africains ou au moins, les privent du droit à la terre.

Et l’histoire n’aura de cesse de se répéter entre “expulsion, criminalisation et violence”. Car si les discours des acteurs de la préservation des territoires se sont aujourd’hui policés, pour l’historien de l’environnement, “il ne peut cependant masquer la continuité des pratiques : tandis qu’en Europe les institutions internationales et leurs experts valorisent l’harmonie entre l’homme et la nature, en Afrique ils réclament encore l’expulsion d’habitants qui seraient trop nombreux et destructeurs”.

Selon l’auteur, cette conception binaire et arbitraire s’explique notamment par le mythe perpétué en Occident d’une Afrique vierge et sauvage, qu’il faudrait à tout prix préserver des dégradations causées par ses habitants originels. Empreintes d’une vision post-colonialiste, même les grandes institutions de préservation de la nature seraient coupables d’entretenir ce paradoxe fiévreux en entreprenant une naturalisation des parcs d’Afrique qui passe obligatoirement par leur “déshumanisation”.

Ainsi, alors qu’en France les pratiques agro-pastorales sont plébiscitées et protégées par l’Unesco, dans les montagnes éthiopiennes du Simien, « les activités agricoles et pastorales […] ont sévèrement affecté les valeurs naturelles du bien »[5]. S’ensuit l’expulsion de plus de 2500 cultivateurs et bergers locaux par les autorités locales. Récemment, la tentative du gouvernement tanzanien d’expulser des milliers de Massaïs de la région du cratère de Ngorongoro pour y construire des réserves privées et des complexes touristiques s’est soldée par de violents affrontements[6].

Poursuivre une double finalité

Pour Didier Bazile, chercheur agronome au CIRAD, “le déplacement de populations pose un problème auquel il faut se garder d’apporter une réponse tranchée a priori”[7]. Tout d’abord, il faut noter que la majorité des aires protégées créées depuis une trentaine d’années intègre des activités humaines. “Une évaluation des projets d’appui à des aires protégées financées entre 2000 et 2017 par l’Agence française de développement (AFD) montre qu’une double finalité de conservation et de développement est toujours privilégiée”, d’une part parce qu’ils permettent la prise en compte des droits fonciers et coutumiers des populations locales, mais aussi parce qu’ils s’avéreraient plus efficaces écologiquement parlant.

Bruno Villalba, professeur de sciences politiques à AgroParisTech, questionne cette vision des aires protégées comme un outil de hiérarchisation entre la valeur des zones dédiées à l’homme (blanc et riche) et l’animal (sauvage), au détriment des populations locales.

Sans doute faudrait-il explorer davantage les conditions d’une construction autonome de ces politiques de gestion de l’environnement par les autorités locales, afin de ne pas complètement les déposséder de leur autonomie d’action au risque de tomber dans une sorte de vision néocoloniale, en les considérant comme privées de toute capacité d’initiative

D’autres encore appellent à sortir de “l’image idéalisée du petit paysan attaché à sa terre, gardien des cultures traditionnelles, de la spiritualité et savoirs faire ancestraux”[8]. Certes, l’agriculteur est par essence connecté à son espace naturel, mais il n’en est pas pour autant toujours le meilleur gardien. Nos systèmes alimentaires constituent au contraire l’une des plus grandes menaces des écosystèmes naturels. Il en va de même pour une partie des communautés agricoles africaines qui se sont retrouvées, souvent malgré elles, enrôlées dans un système mondialisé qui pousse à la surconsommation des ressources. C’est par exemple le cas de certaines communautés paysannes habitant aux alentours de Kinshasa. Si leurs ancêtres s’adonnaient autrefois à des pratiques de protection et de reconstitution des forêts (Nkunku), l’accroissement de la population et l’apparition de nouveaux outils et technologies ont conduit à un grave appauvrissement des Aires Protégées par l’État (APE)[9]. Le constat est malheureusement le même dans les autres parties du globe et notamment en Europe, où la biodiversité locale s’effondre sous les coups de boutoir de l’agriculture intensive.

Accompagner la cohabitation par une transition globale

Dans son nouveau rapport, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) exhorte donc naturellement aux “pratiques agroécologiques, à la planification paysagère multifonctionnelle (qui assure à la fois la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance, le maintien des espèces et les fonctions écologiques) et la gestion intégrée intersectorielle”. Les contributions environnementales positives des communautés vivant dans ou près d’une aire protégée sont appelées à être encouragées par “la collaboration, le partage des avantages et par des accords de cogestion”.

Le rapport poursuit en mettant également l’accent sur la nécessité d’un engagement plus fort de tous les acteurs du système alimentaire (y compris les producteurs, le secteur public, la société civile et les consommateurs) ainsi que sur la réforme des chaînes d’approvisionnement et sur la réduction du gaspillage alimentaire. Les communautés agricoles locales ne sont donc pas les seules à être appelées à une meilleure cohésion avec leur environnement.

Au final, c’est l’entièreté de notre société qui doit prendre conscience des différents liens qui nous unissent au monde vivant et inaugurer de véritables “changements transformateurs” pour espérer en préserver sa diversité. La transformation des systèmes alimentaires apparaît alors comme une porte d’entrée judicieuse vers une transition plus globale. Car une chose demeure certaine, peu importe leurs surfaces, leurs localisations, ou leurs occupants, les aires protégées ne pourront jamais répondre seules à l’ensemble des défis que pose la crise de la biodiversité.

Rédaction : Lou Aendekerk

Réalisé par :

Défis Sud

[1]Voir notamment : RENAUD P.-C. et al., La taille des aires protégées, un critère déterminant, publié dans TheConversation.com, 24 mars 2022, consulté en août 2022.

[2]BABIN D., Biodiversité : protéger 30 % de la planète… quid des 70 % restants ?, 17 mars 2022, disponible sur TheConversation.com, consulté en août 2022.

[3]UICN, Le monde à atteint l’objectif de couverture des aires protégées sur Terre, mais leur qualité doit être améliorée, 21 mai 2021, disponible sur uicn.fr, consulté en août 2022.

[4]DELACOTE P. et KELES D., One Planet Summit : les espaces protégés, des éléments de communication pour les gouvernements ?, 14 janvier 2021, disponible sur liberation.fr, consulté en août 2022.

[5]UNESCO, Parc national du Simien, s.d.,  publié sur whc.unesco.org, consulté en août 2022.

[6] JEANNIN M., En Tanzanie, des Masaï expulsés de leurs terres au nom de la protection de la faune sauvage et du tourisme, 20 juin 2022, disponible sur lemonde.fr, consulté en août 2022.

[7] BAZILE, D. et al., Les aires protégées, instrument d’un « colonialisme vert » en Afrique ?, 23 mars 2022, disponible sur TheConversation.com, consulté en août 2022.

[8]DIMIER V., À l’origine de la politique européenne de développement durable : la doctrine coloniale des paysans noirs, in  Appropriations du développement durable : Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009.

[9] L. NSIMUNDELE NKONDO et al., Conserver  ou manger  la forêt ? Le paradoxe des paysans en périphérie de Kinshasa, juillet 2010, Le Flamboyant, n°66/67, p. 33.