31 octobre 2024
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Lire la suite18 mars 2019
En octobre dernier, à l’occasion de la Journée Internationale du café, Commerce Équitable France, Max Havelaar France et le collectif Repenser les filières ont publié une étude sur le café mettant en lumière les dysfonctionnements du café au niveau mondial. L’étude a été réalisée par Le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne). Entretien avec Christophe Alliot, chercheur pour Le Basic.
A lire également, notre entretien avec Geni Fundes, Directeur de la Centrale Café Cacao au Pérou.
Christophe Alliot : Cela fait plus de 15 ans que les acteurs de la filière café, les producteurs, les Etats, les grands négociants et les grandes marques discutent de la question du changement climatique et de la nécessité de produire le café de manière durable. Mais l’enjeu est également de mettre en place une chaine de valeur durable. Les caféiculteurs, qui subissent de plein fouet la conséquence du changement climatique, ne sont pas ceux qui doivent tout résoudre, car l’inégalité croissante de la répartition de la valeur démultiplie les conséquences néfastes du réchauffement et empêche les caféiculteurs de se prémunir. Il faut donc rediscuter sérieusement de la répartition des bénéfices.
Christophe Alliot : L’enjeu est l’écart croissant entre d’un côté la rémunération des travailleurs qui sont au début de la chaine, et de l’autre le prix final auquel se vend le café. Aujourd’hui, la valeur ajoutée reste en très grande partie captée par les derniers maillons de la chaine. Les grandes marques, les supermarchés et les négociants concentrent l’essentiel du pouvoir entre leurs mains… La faiblesse structurelle des producteurs ne cesse de s’aggraver. La question de la répartition des bénéfices est le point le plus noir qui ressort de notre étude.
De plus, notre étude a mis en évidence que la création de valeur est liée à l’immatériel. Ce n’est pas la qualité intrinsèque du café qui compte, mais « l’univers de la marque », sa promotion par des vedettes comme Georges Clooney. Les producteurs n’ont pas leur mot à dire pour revendiquer une partie de la valeur. Les leviers de création des bénéfices sont essentiellement entre les mains de la marque. Les consommateurs se retrouvent à payer très cher des capsules faites de mélanges de café dont on ne spécifie pas l’origine, mais portant des labels très marketing à consonnance italienne.
Christophe Alliot : Les modèles agro-forestiers traditionnels ont pu s’adapter aux enjeux du changement climatique, notamment au Pérou. Mais ces acquis sont fragiles, car certaines politiques publiques, notamment en Colombie, incitent les producteurs à utiliser des pesticides pour lutter contre les effets directs de la rouille, dans une optique à court terme qui ne résoudra pas forcément le problème et ne garantira pas la résilience du modèle de production. Les investissements sont réservés à la mise au point de nouveaux pesticides et de nouveaux intrants de synthèse. Pour nous, la voie d’avenir est plutôt dans le modèle agro-forestier, qui comprend obligatoirement une dimension de forte diversification des productions. Le café y reste important, mais en synergie avec d’autres productions qui ont d’autres débouchés, pour la famille, pour le marché local, etc.
Christophe Alliot : Les volumes de café achetés annuellement selon les différents standards de certification établis par des entreprises ou d’autres acteurs indépendants tels que les ONG restent assez limités.
Les standards des entreprises sont orientés vers un approvisionnement stable, garanti, en qualité, au sens organoleptique et gustatif du produit. Les considérations environnementales et sociales viennent en second lieu et aucun de ces standards ne discute la question économique. La seule chose qu’ils disent est qu’ils sont disposés à payer un peu plus cher pour la qualité si elle est au rendez-vous. Mais cela ne s’adresse pas aux petits producteurs qui sont dans la situation d’injustice la plus totale. Les producteurs du Pérou continuent pour la plupart à vivre sous le seuil de pauvreté. Cela fait 40 ans que cette situation est documentée et s’est encore dégradée. Dans ce contexte, on peut légitimement questionner les standards des entreprises sur le fait qu’ils n’ont toujours pas pris en compte l’enjeu de base de s’assurer que les producteurs qui sont dans leur chaine puissent au moins gagner leur vie décemment.
Christophe Alliot : Ces standards ont le mérite de mettre la question sociale et environnementale au centre, ce qui n’est pas le cas de ceux des entreprises, par contre ces deux labels n’ont pas du tout la même logique économique : Rainforest Alliance part du principe que seule la productivité est une solution. Autrement dit, il considère comme normal que les producteurs aux rendements trop faibles ne gagnent pas leur vie et se consacre plutôt à ceux qui ont un minimum de productivité pour être viables sur le marché mondial. Or, nous constatons que le marché mondial ne fonctionne pas, qu’il ne fait que générer de la pauvreté au bout de la chaine et une explosion des profits à l’autre extrême.
Les travaux sur Rainforest Alliance montrent que les producteurs qui travaillent avec eux sont plutôt ceux qui ont de meilleurs rendements, de plus grandes parcelles de terrain, plus de moyens économiques, et qu’ils étaient déjà dans cette situation avant d’être labellisés. Autrement dit, ils s’adressent à des producteurs qui sont déjà un peu au-dessus du lot. Ils permettent à ces producteurs-là de bien intégrer les conditions environnementales et sociales pour bien payer leurs travailleurs, respecter les conventions de l’OIT. Du coup, il ne reste que Faitrade, qui représente une portion congrue puisqu’on est à peine à 3% des volumes mondiaux.
Et même là, le regard est partagé. Chez Fairtrade, plusieurs questions fondamentales sont abordées, celles du prix minimum, de la synergie avec l’agriculture biologique, de l’organisation des producteurs pour équilibrer le pouvoir de négociation et du réinvestissement dans les services publics essentiels pour la communauté. Par contre, la mise en œuvre au niveau des différents pays est variable. Les meilleurs résultats du label Fairtrade sont enregistrés quand l’Etat est régulateur, ce qui n’a lieu d’être qu’en Colombie.
Christophe Alliot : Non, on y rencontre d’autres problèmes liés aux laissés pour compte de l’Etat colombien et je rappelle que ce n’est pas un pays complètement vertueux au niveau environnemental puisqu’il a plutôt tendance à lancer les producteurs dans une intensification et une utilisation d’intrants chimiques… Par contre, nous n’avons en vis-à-vis aucun exemple d’une alternative dans un système libéralisé, qui aurait réussi à faire en sorte que tous les acteurs deviennent vertueux. Au Pérou, l’Etat ne régule pas, le marché est complétement libre avec une forte présence des multinationales du négoce. Le marché libéral et capitaliste y a une capacité à se réapproprier la critique dans son propre intérêt pour maintenir le rapport de force en sa faveur. Les multinationales continuent à monter en puissance et les petits caféiculteurs vivotent comme ils peuvent dans des conditions de précarité. Seule la régulation de l’Etat est à même de mettre des règles égales et équivalentes pour tous. Dans la filière du café, on peut montrer qu’un pays majeur comme la Colombie, 2e plus gros exportateur d’arabica et le 3e plus gros exportateur de café au monde, a réussi contre vents et marées à tenir un système de régulation complet, intégré et efficace qui est sans autre équivalent aujourd’hui.
Propos recueillis par Pierre Coopman