14 février 2025
Accord Arizona : des mesures insatisfaisantes pour une agriculture juste et durable
Lire la suite2 novembre 2018
L’Union européenne (UE) exporte de plus en plus de poudre de lait écrémé réengraissée à un prix défiant toute concurrence. « On trouve de la poudre de lait même dans les zones les plus reculées au détriment du lait local », constate Papa Assane le représentant de SOS Faim-Belgique au Sénégal. « Aujourd’hui c’est plus facile d’aller chercher du lait en poudre importé à l’aéroport ou au port de Dakar que d’acheminer la production locale de lait frais en provenance de la zone sylvopastorale. »
Selon la FAO (1), les importations ouest-africaines de lait en poudre n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. Elles sont passées de 0,6 en 1996 à 1,9 millions de tonnes en 2013. « La dépendance globale de la région vis-à-vis des importations, notamment de poudre de lait, tend à s’accroître depuis une dizaine d’années, après une chute des importations et de la consommation en 2007-2008 liée à la flambée des prix sur le marché mondial. »
Un récent rapport du Gret (2) montre comment ces importations de lait en poudre ont un impact sur le marché local. « Si elles sont une nécessité dans la mesure où elles contribuent à satisfaire les besoins alimentaires, elles créent une concurrence que certains n’hésitent pas à qualifier de déloyale. Le lait local est en permanence en compétition avec le lait importé, tant en termes de prix que de disponibilité et de qualité. »
Parmi les principaux exportateurs, l’Union européenne arrive en tête sur le marché du lait écrémé avec 30 % de parts de marché. Elle exporte deux fois plus de poudre de lait écrémée que de poudre de lait entière. Les principaux pays exportateurs européens de cette poudre écrémée sont la France (7 % des exportations mondiales), l’Allemagne (7 %), la Belgique (5 %), les Pays-Bas (3 %) et la Pologne (3 %).
Pour Erwin Shopgès de l’European Milk Board (EMB), la dégradation de la situation en Europe avec la fin des quotas a inévitablement des répercussions sur le marché ouest-africain.
Un avis que ne partage pas Daniel Rosario, le porte-parole de la Commission européenne pour la DG Agriculture, qui juge que les exportations de lait sont décidées par des entreprises et des acheteurs privés sans intervention de l’Europe.
Pour François Graas, de SOS Faim, et Thierry Kesteloot, d’Oxfam-Solidarité, il existe de tout manière un déséquilibre structurel dans la production européenne qui fait que l’Union européenne exporte aujourd’hui du lait à un prix inférieur à ses coûts de production, notamment grâce aux subsides européens et aux mesures de soutien accordées au secteur laitier (…)
L’attitude de l’UE pose donc question. En exportant le lait en poudre à un tarif aussi bas et en étouffant progressivement la filière locale en Afrique de l’Ouest, l’UE ne ruine-t-elle pas les engagements consentis par ailleurs en matière de coopération au développement ?
La commercialisation du lait possède une dimension globale qui permet de mettre en lumière les enjeux qui traversent le monde agricole aujourd’hui. « Ce dossier est très révélateur des pratiques que dénoncent les ONG », résume François Graas qui rappelle que SOS Faim s’est engagé aux côtés d’autres associations dans une campagne de soutien aux producteurs de lait coordonnée par Oxfam, en partenariat avec le MIG (3) et l’EMB. « Parce que le lait, c’est l’exemple parfait pour illustrer les dérives du système alimentaire mondial. »
Un article de François Corbiau : version complète dans Défis Sud
Dessins : Isabelle Busschaert, Philippe de Kemmeter
(1) FAOSTAT, 2016 disponible sur : http://www.fao.org/faostat/fr
(2) Quelles politiques commerciales pour la promotion de la filière lait local, Paris, Gret.
(3) Le MIG est une association de producteurs de lait belges défendant différents objectifs pour la mise en place d’une filière de production durable.