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15 décembre 2021

Nouvelles de la filière laitière sénégalaise

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Comme beaucoup de secteurs, la filière laitière sénégalaise a été impactée par la crise du Covid-19. Faisant déjà face à de nombreuses difficultés, elle a dû s’adapter aux nouvelles contraintes liées à la pandémie. Cela a également permis de relancer les débats concernant les pistes à explorer pour un développement pérenne et équitable du secteur. Nous avons pu poser quelques questions à Christian Corniaux, chercheur au Cirad, organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable.

En 2019, SOS Faim, plusieurs ONG européennes et l’initiative « Mon lait est local » lançaient la campagne « N’exportons pas nos problèmes », qui dénonce les exportations de poudre de lait écrémé puis réengraissé à l’huile de palme – autrement appelé mélange matière grasse végétale (MGV) au Sénégal et dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Ce mélange, vendu à un prix bien inférieur à celui du lait local et qu’on ne peut qualifier de lait compte tenu de son profil nutritionnel, concurrence de manière déloyale les producteurs. Outre le mélange MGV, la poudre de lait entier vient également répondre à la demande croissante en produits laitiers, à laquelle la production locale seule ne peut satisfaire à ce jour. Pourtant, le lait local progresse depuis le début des années 2000, même si aujourd’hui encore 80% des laiteries en Afrique de l’Ouest utilisent exclusivement de la poudre de lait entier et du mélange MGV. Les 20% restant utilisent pour la plupart un mélange entre lait local et poudre importée, démontrant une volonté de valoriser le premier. De plus, de nombreuses mini-laiteries ont vu le jour à travers la région, permettant aux exploitations familiales d’écouler une plus grande part de leur production.

Covid-19 et collecte

Avant le printemps 2020, la collecte du lait était déjà considérée comme le maillon le plus essentiel et sensible de la filière locale, lien entre producteurs et laiteries et/ou transformateurs. Manque d’infrastructures, climat chaud, grandes distances séparant les différents acteurs de la chaîne, etc. Tant de facteurs rendant la collecte compliquée. Cela a été d’autant plus renforcé par la pandémie, comme nous l’affirme Christian Corniaux :

« la crise du Covid a beaucoup perturbé la collecte notamment au niveau des petites structures  en raison des contraintes de déplacement entraînant des interruptions de l’approvisionnement en lait, tandis que le secteur plus formel et industriel a su rebondir rapidement. Quant aux importations de poudre, elles n’ont pas du tout été impactées car il y avait suffisamment de stocks en début de pandémie. Les prix ont même eu tendance à baisser et à la rendre d’autant plus intéressante.»

Depuis une quinzaine d’années, le Sénégal a vu naître plusieurs initiatives entendant développer la collecte, la transformation et la valorisation du lait local. Deux laiteries industrielles tiennent le devant de la scène dont la laiterie du Berger (LDB) au nord du Sénégal. Par ailleurs, environ une centaine de mini-laiteries travaille exclusivement avec du lait local pour en faire quelques produits qui sont distribués principalement dans un périmètre restreint, dans de petites boutiques autour des villes secondaires. Seules les deux laiteries industrielles produisent une gamme diversifiée de produits qui finissent dans de plus gros points de vente.

Evolutions dans la collecte 

En 2018, la Laiterie du Berger créée une filiale (Kossam) gérant la collecte d’une manière inédite. Plutôt que de fonctionner en grandes zones de collecte, la collecte est assurée par des privés qui ne sont pas des salariés de la LDB mais de la filiale. Ils se déplacent à moto sur des petits circuits généralement deux fois par jour. Une restructuration très efficace, car « les distances sont plus courtes et ils sont plus nombreux ; […] cela a énormément fait évoluer la production », permettant à la LDB en 2019 de collecter jusqu’à 88 000 litres par mois. Grâce à l’efficience de ce mode, elle a pu recentrer sa collecte sur un plus petit noyau d’éleveurs lui permettant de satisfaire ses besoins. Ce recentrage relève aussi d’une volonté de pouvoir les accompagner dans l’amélioration de leur production et l’augmentation de leurs revenus[1] car Kossam possède également un pôle de conseil et de formation des éleveurs. Grâce à ces changements mis en place antérieurement, la LBD a rapidement pu remonter la pente à la suite du premier choc liée à la crise du Covid-19 au printemps 2020.

Par ailleurs, de nombreuses mini-fermes ont revu l’alimentation des animaux, plus équilibrée et mieux rationnée pour produire du lait et donc augmenter les volumes collectés. Ces vaches « produisent entre 10 et 15 litres par jour, ce qui remplace facilement 6 ou 7 vaches qui produisaient maximum 1 litres de lait frais par jour». Est-ce suffisant pour remplacer la poudre de lait ?

Doit-on impérativement augmenter la production ?

Selon Christian Corniaux, si l’on réussissait à collecter dans de petites laiteries qui produiraient environ une cinquantaine de litres par jour à l’année, alors pas de réel besoin d’industrialiser la production. Mais aujourd’hui, « ce sont 2 litres par ici, 5 autres par-là ». Il y a certes du lait partout, mais qui provient d’abord de vaches à viande et n’est pas destiné ni la collecte ni remplacement du lait en poudre. Par conséquent, «quand on veut collecter pour la consommation à Dakar, où l’on consomme des quantités de plus en plus importantes de lait, pour arriver à un tant soit peu remplacer la poudre de lait, le système de production doit changer». Autrement dit, cette transformation de la filière est incompatible avec un modèle d’élevage pastoral extensif, même si ceux qui le pratiquent apportent un complément non négligeable lorsqu’il est possible de collecter leur lait. Pour le chercheur, la poudre – de lait entier- ne doit pas être diabolisée car elle permet de faire face aux aléas d’un secteur encore trop instable. D’autant que selon lui, le lait local lorsqu’il est mal géré, peut présenter « une qualité sanitaire plus que douteuse » en raison des conditions climatiques du pays et des infrastructures qui font parfois défaut.

« L’idéal serait tout de même de produire et collecter plus, mais pas forcément pour complètement remplacer le lait en poudre. Dans le système industriel il doit y avoir du lait local mais le lait en poudre est utile à certaines périodes de l’année. Je ne vois pas pourquoi collecter du lait local, le déplacer sur de grandes distances, pour en faire du lait concentré ou même du lait UHT d’ailleurs. Pasteurisé, oui, pour faire d’autres produits de bonne qualité d’accord, mais pour faire uniquement du lait UHT c’est une aberration d’un point de vue économique, c’est gâcher la marchandise. »

D’autres enjeux sous-tendent celle de la production et de la collecte. Par exemple, la disponibilité de fourrage pour les animaux n’est pas toujours garantie, et le changement climatique risque d’accentuer ses fluctuations. En outre, économiquement, il est encore compliqué pour les ménages d’accéder à des marchés pour écouler leur production ; puisque celle-ci est irrégulière, en cas de pic suivant les différentes saisons au cours de l’année, les laiteries ne disposent pas toujours des capacités d’absorption suffisantes pour gérer les flux.

Poudre de lait entier et mélange MGV : des combats qui diffèrent et la nécessité de combiner les outils

Pour le chercheur, le lait en poudre entier et le mélange MGV ne peuvent être traités à la même enseigne. Pour ce dernier, il s’agit là de l’éradiquer. Ce produit souvent étiqueté comme du lait entier pose lui aussi une question sanitaire du fait de sa pauvreté nutritionnelle ; il ne s’agit même plus de lait et il est pourtant largement compétitif pour les transformateurs industriels et semi-industriels au détriment des producteurs de lait local. Il doit continuer à être la cible n°1 du travail de plaidoyer au niveau des politiques commerciales et fiscales, et de sensibilisation des acteurs de la filière ainsi que des consommateurs.

D’où la nécessité de nuancer le propos concernant le remplacement total de la poudre par le lait local, ainsi que le rejet de l’industrialisation de la production : « Le lait entier en poudre et les grosses fermes ont leur place, surtout si c’est pour remplacer le mélange MGV » confie Christian Corniaux. La véritable question, c’est « comment donner sa place à la collecte locale dans le contexte Ouest-Africain ? »

Rédaction : Naïs El Yousfi

Réalisé par :

Défis Sud

[1] Voir Tournaire E., 2019 « Dynamique des systèmes de collecte de lait au Sénégal

Cas de la Laiterie du Berger et de Kirène ».