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10 juillet 2019

Où va la microfinance ?

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4 Microfinance - Humundi : Où va la microfinance ?

 

-Défis Sud-

Début juin à Paris, l’organisation de la sixième Conférence européenne sur la recherche en microfinance a été une bonne opportunité de s’interroger sur l’avenir de la microfinance, souvent rebaptisée finance inclusive.

La finance inclusive est un concept plus large que la microfinance : elle vise à donner à la plus large partie de la population un accès à la gamme de produits tels que le crédit, l’épargne, la micro-assurance et le transfert d’argent. Elle vise notamment les populations rurales, les femmes, les jeunes, les très petites et moyennes entreprises et les personnes à faible éducation financière pour les intégrer dans le système. Vers où va-t-elle ? Avec quelles ambitions ?

Si « l’industrie » de la microfinance a longtemps été présentée comme une panacée pour sortir de nombreux exclus du système financier de la pauvreté, elle a également connu des lendemains qui déchantent, en raison notamment de plusieurs crises systémiques caractérisées par des phénomènes de surendettement. Elle a en quelque sorte été la victime de son succès. Peut-être, comme le signale Cécile Lapenu (directrice exécutive du réseau CERISE), a-t-elle été trop vendue en suscitant trop d’attentes ?

Les évaluations d’impact qui ont été réalisées ne démontrent en effet pas nécessairement des effets très élevés par rapport à des situations initiales de pauvreté. Les revenus générés progressent faiblement, l’impact social reste limité. On observe bien un effet positif chez les femmes mais c’est souvent lié à l’existence d’appuis non financiers délivrés en parallèle (1).

Un secteur toujours très dynamique

Le secteur se porte bien, très bien même. Comme le signalait Marek Hudon (CERMI, Université Libre de Bruxelles) lors de la conférence, les investissements dans la finance inclusive ont évolué de 11 milliards de dollars en 2007 à 42 milliards en 2017. L’importance relative des coopérations d’Etat à Etat et des agences européennes et des Nations-Unies a diminué de 39% à 16% en raison de l’émergence de nouveaux acteurs privés.

Le développement du secteur est dynamisé dans certaines régions comme l’Afrique de l’est, par l’explosion de services de digitalisation : celle-ci permet en effet une diminution conséquente des coûts de transaction avec comme conséquence la possibilité de toucher surtout les zones rurales enclavées. En outre, une étude récente menée au Kenya a mis en évidence le fait que la finance digitale avait un effet psychologique positif sur les clients et qu’elle générait une nouvelle forme de lien social : « My money is always moving around ». « I have a friend in the pocket » (Susan Johnson, Université de Bath).

Mais quelle microfinance veut-on en réalité ?

Le débat est bel et bien là, face au constat de l’arrivée de nouveaux acteurs privés comme les banques ou les fonds d’investissement, ou encore le secteur des FINTECH (contraction de « finance » et de « technologie)… On va chercher de plus en plus d’argent, mais pour quoi faire, finalement ? Avec quel sens ? Et quel est le rôle des acteurs historiques comme les ONG ?

Pour certains acteurs, la réponse est relativement simple : ils proposent d’en revenir à ce qu’ils appellent les fondamentaux : la microfinance a été inventée pour générer un plus grand volume d’activités économiques, de business. Il faut la juger par rapport à cela et la croissance du secteur est en soi un indicateur.

Mais de nombreux chercheurs disent ne pas pouvoir se contenter d’une réponse aussi limitée et peu ambitieuse. Johan Bastiaensen (Université d’Anvers) met ainsi en avant la microfinance « plus » qui lie services financiers et non financiers, notamment de l’assistance technique. Il insiste également sur les approches de financement, surtout rural, en lien avec des démarches de développement territorial. Il dénonce également le narcissisme de la microfinance, un milieu sans doute trop centré sur lui-même et sur ce qu’il peut offrir, sans trop se soucier de la demande des clients, des producteurs agricoles ou des micro-entrepreneurs. Il est rejoint en cela par C. Lapenu qui préconise de retourner vers le client.

La question des politiques publiques est revenue régulièrement dans les débats. Elle est liée au modèle que l’on soutient : un modèle entrepreneurial et productiviste où rendements et quantités sont les maîtres mots ? Ou alors un modèle orienté vers un véritable changement, voire une rupture ? Où les vrais enjeux sont la réduction des inégalités (en particulier entre villes et campagnes), la souveraineté alimentaire et une plus grande résilience des populations.

A ce propos, Marc Labie (CERMI, Université de Mons) soulignait également que les politiques publiques correspondent à des choix de société : en effet, outre les fonctions de régulation et de supervision, elles définissent et orientent les règles d’investissement et de subsides aux niveaux national et régional.

Mais il reste très difficile de dire quel est le chemin qui sera emprunté dans un contexte de fortes incertitudes, avec les perspectives de croissance démographique, de mouvements de population, de changement climatique.

Plus d’infos : Marc Mees : mme@sosfaim.ong

 

(1) Philip Mader, Institute of Development Studies, A Campbell Systematic Review, 2019 : Impact of Financial Inclusion in Low- and Middle-Income Countries : a Systematic Review of Reviews.