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17 décembre 2020

La pandémie, son bilan et les perspectives pour les systèmes alimentaires

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Depuis le début de la pandémie du Covid-19, SOS Faim a exercé une veille des publications portant sur les questions agricoles, alimentaires et nutritionnelles. Une veille révélatrice d’un certain nombre de tendances. Qu’en tirer comme bilan, à la fois en termes de diagnostic et de solutions envisagées ?

Un rapport publié dès le mois d’avril par le Groupe Banque mondiale attirait l’attention sur le sujet[1] de l’impact économique du Covid-19. Les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires locales enregistraient des perturbations, y compris un accès réduit aux intrants et aux services, des mouvements limités de main-d’œuvre, des blocages au niveau des transports et des routes, ainsi que des difficultés d’accès au crédit ou aux liquidités.

Le Covid-19 était dès lors susceptible de créer une grave crise en termes de sécurité alimentaire, en particulier en Afrique subsaharienne. La contraction de la production agricole était estimée de 2,6 % dans le scénario optimiste, jusqu’à 7 % dans le scénario avec blocages commerciaux. On annonçait une baisse considérable des importations alimentaires (de 13 à 25 %) en raison de la combinaison de coûts de transaction plus élevés avec une demande intérieure réduite.

Les conséquences néfastes d’un marché globalisé

La crise sanitaire du Covid-19 a mis en évidence une très forte dépendance des pays les plus défavorisés par rapport à leur approvisionnement alimentaire et a également entraîné une crise économique importante.

Dans le même ordre d’idées, les chambres d’agriculture françaises[2] considéraient dès le mois d’avril 2020 que la pandémie était une sorte de crash test inédit dans l’histoire de la mondialisation. Celle-ci est basée sur des frontières ouvertes, géographiques, commerciales et financières. Or, avec le Covid-19, c’est la fermeture qui l’a emporté. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) estime que les flux auront diminué entre 13 % et 32 % en 2020.

Le paradoxe, c’est que les chiffres de production mondiale alimentaire de grains pour 2019-2020 (et la projection 2020-2021) sont au vert, avec la constitution de stocks abondants, couvrant 4 mois de la consommation mondiale (contre seulement 2 mois en 2008-2009, au plus fort de la crise alimentaire).

La fermeture des frontières a touché particulièrement l’agriculture, aux dépens des pays les plus fragiles. De fortes tensions sur le marché du riz étaient signalées, où plusieurs pays ont suspendu leurs exportations dès mars 2020 (Vietnam, Cambodge, Myanmar), laissant le marché international à l’Inde et à la Thaïlande. Le confinement en Inde a fortement ralenti les exportations et seule la Thaïlande a continué à exporter à un rythme « normal ». Le Vietnam a cependant repris ses exportations à partir du 11 avril 2020, mais on estime qu’elles seront inférieures de 40 % par rapport à 2019.

Ce sont les pays africains qui paraissent les plus sensibles à ces tensions. En particulier le Sénégal, le Bénin et la Côte d’Ivoire qui importent à eux trois 10 % du total des flux internationaux de riz. Une des difficultés des pays africains est qu’ils sont exportateurs de denrées qui ne sont pas essentielles pour les rations alimentaires (cacao, thé, noix de cajou, fleurs), contrairement au riz ou au blé. D’où la nécessité pour ces pays de se recentrer sur des politiques agricoles nationales et régionales pouvant assurer la sécurité alimentaire.

Une crise économique sans précédent qui touche les plus vulnérables

En avril 2020, un rapport d’Oxfam International s’inquiétait[3] :

«La crise économique actuellement à l’œuvre s’annonce plus profonde que la crise financière mondiale de 2008».

Il cite notamment une analyse publiée par l’Institut mondial de recherche sur l’économie du développement de l’Université des Nations unies (UNU-Wider) :

« Ce sont les plus vulnérables qui seront les plus touchés, c’est-à-dire les deux milliards de personnes travaillant dans le secteur informel, sans le moindre droit à des indemnités en cas de maladie. »

Le travail informel représente 90 % de l’emploi dans les pays en développement (faibles revenus). Et dans les pays les plus pauvres, 92 % de la main-d’œuvre féminine occupe un emploi informel.

Dans son rapport publié le 7 octobre 2020, le Groupe de la Banque mondiale[4] relevait qu’entre 9,1 % et 9,4 % de la population mondiale risquent de se retrouver dans l’extrême pauvreté (vivant avec moins de 1,9 € par jour). Ces pauvres sont en majorité ruraux (80 %), jeunes et sous-scolarisés.

Une famine plus meurtrière que la pandémie ?

Un document publié en juillet 2020 par Oxfam Solidarité[5] sonnait l’alerte :

« La famine pourrait tuer jusqu’à 12.000 personnes par jour d’ici la fin de l’année 2020, en raison des impacts économiques et sociaux de la pandémie du nouveau coronavirus. »

L’ONG souligne que la faim ferait ainsi davantage de victimes que le Covid-19. La pandémie «met à mal un système alimentaire mondial déjà vacillant, exposant des millions de personnes supplémentaires à la famine».

Pour sauver ces millions de vies menacées par la famine, Oxfam Solidarité demandait alors aux gouvernements du monde entier de soutenir l’appel humanitaire des Nations unies et de s’assurer que l’aide atteigne ceux qui en ont le plus besoin. Elle plaidait également pour l’annulation de la dette des pays en développement, ce qui leur permettrait de libérer des fonds en faveur des soins de santé et de la protection sociale.

Repenser la manière de produire

Une forme de consensus se dessine donc au niveau du diagnostic et des conséquences de la pandémie. Mais pas forcément autour des réponses à apporter et des solutions. Selon les Nations unies[6], la pandémie Covid-19 tire également la sonnette d’alarme sur la nécessité urgente de transformer les systèmes alimentaires mondiaux. En effet, à l’échelle mondiale, les systèmes alimentaires restent un des principaux moteurs du changement climatique et de la crise environnementale planétaire.

Les systèmes alimentaires contribuent à près d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre et ont déjà contribué à une perte substantielle de biodiversité. Il est urgent de repenser rapidement la manière dont nous produisons, transformons, commercialisons, consommons nos aliments et éliminons les déchets. Cette crise pourrait donc servir de tournant pour rééquilibrer et transformer nos systèmes alimentaires, en les rendant plus inclusifs, plus durables et plus résistants.

Continuer le plaidoyer pour l’agriculture familiale

La crise sanitaire a commencé au début de la deuxième année de la Décennie de l’agriculture familiale qui est portée par les Nations unies, en particulier via ses agences spécialisées en agriculture et alimentation : la FAO et le Fida. Le site dédié par la FAO à l’agriculture familiale[7] plaide en tous les cas en faveur des agriculteurs familiaux :

« Pour atténuer les impacts de la pandémie sur le système alimentaire, des interventions mondiales et nationales doivent être prises simultanément sur différentes échelles : les mesures destinées à préserver et à réajuster les chaînes d’approvisionnement alimentaire mondiales doivent être agrémentées par des solutions contextuelles exploitant les ressources et les biens disponibles au niveau local. Les agriculteurs familiaux sont particulièrement bien placés pour fournir des solutions contextualisées et complètes. L’agriculture familiale, ses organisations ainsi que ses coopératives sont ancrées dans les territoires et dans les communautés. En ce qui concerne les activités de production des agriculteurs familiaux, elles dépendent de leur propre production (ou reproduction) de ressources productives ou des intrants disponibles au niveau local. En travaillant avec eux, les gouvernements peuvent relever de multiples défis et atteindre des objectifs qui incluent les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable ».

Sur le fil du rasoir

En l’espace de quelques semaines, le Covid-19 a mis au grand jour les risques, les fragilités et les inégalités sous-jacents des systèmes alimentaires mondiaux en les rapprochant du point de rupture. Nos systèmes alimentaires se trouvent sur le fil du rasoir depuis des décennies : des enfants se retrouvent à un repas scolaire de la faim, des pays à une barrière douanière de la pénurie alimentaire, des familles de régions pauvres à une journée de salaire de l’insécurité alimentaire et des fermes à la veille d’un grave déficit en main d’œuvre.

Les confinements et les perturbations provoqués par le Covid-19 ont démontré la fragilité de l’accès des populations aux biens et services essentiels. Dans les systèmes de santé et les systèmes alimentaires, des faiblesses critiques, des inégalités et des injustices ont été mises en lumière. Ces systèmes, les biens publics qu’ils génèrent et les personnes qui les soutiennent, n’ont pas été appréciés à leur juste valeur et n’ont pas été suffisamment protégés.

En d’autres termes, le Covid-19 est un signal d’alarme pour les systèmes alimentaires. La crise a permis d’entrevoir de nouveaux systèmes alimentaires, plus résilients, alors que les communautés se rassemblent pour combler les lacunes des systèmes alimentaires et que les autorités publiques adoptent des mesures extraordinaires pour garantir la production et l’approvisionnement de nourriture.

Cependant, les moments de crises ont toujours été exploités par des acteurs puissants pour aller encore plus loin dans des approches non durables et maintenir le statu quo sous prétexte de répondre à la crise. Il faut donc tirer des leçons du passé et s’opposer à ces tentatives, tout en veillant à ce que les mesures adoptées pour enrayer la crise deviennent le point de départ d’une transformation des systèmes alimentaires porteuse de résilience à tous les niveaux.

La modernité digitale

dekem 2 - Humundi : La pandémie, son bilan et les perspectives pour les systèmes alimentaires

Outre la mise en avant de l’agriculture familiale et de la nécessité de penser des systèmes alimentaires locaux, la digitalisation est également avancée comme une solution à la crise. La Banque mondiale[8] défend depuis quelque temps déjà qu’un recours massif aux services financiers numériques favorise le développement économique et la réduction de la pauvreté. Dans son travail avec les pays en développement du monde entier, elle a en effet constaté que là où les systèmes financiers sont plus développés, la croissance est plus dynamique, le taux de pauvreté baisse plus rapidement et l’égalité de revenus progresse plus vite.

Avec la pandémie, le rôle majeur de ces services numériques dans l’accès des citoyens et des gouvernements à des outils financiers sûrs, peu coûteux et sans contact devient encore plus manifeste. La forte pénétration des téléphones portables dans de nombreux pays en développement a permis l’éclosion de la première génération de services financiers dématérialisés et l’essor de l’argent mobile. À ce jour, plus de 850 millions de comptes utilisant la téléphonie mobile sont recensés dans 90 pays et ils enregistrent 1,3 milliard de dollars de transactions quotidiennes. L’Afrique subsaharienne est à la pointe en la matière : un cinquième de la population adulte y dispose d’un compte d’argent mobile.

Par exemple, la société de micro-assurance Pula, créée il y a quatre ans à Nairobi (Kenya), offre une protection à des personnes disposant de peu de revenus, et notamment à 1,7 million de petits agriculteurs de dix pays en Afrique et en Inde. Elle utilise entre autres des données satellites et l’intelligence artificielle pour intégrer le risque estimé d’indemnisation au montant des primes et pour déterminer si un sinistre s’est produit. Grâce à son modèle d’entreprise innovant, Pula conçoit et vend des assurances indexées sur les conditions météorologiques et des rendements sous forme de forfaits, la police d’assurance étant intégrée au coût des semences, des engrais ou d’un crédit. Ce système évite par ailleurs d’avoir à mandater un expert sur place pour constater un sinistre, tandis que l’indemnisation s’effectue par SMS.

Échec du crash test

Au niveau des prises de positions sur le diagnostic lié à la présence de la pandémie, on a pu observer une relative unanimité qui mettait l’accent sur le fait que le système tel qu’il existait au niveau mondial ne résistait pas à ce crash test et qu’il fallait changer de modèle. Trois grandes pistes ont émergé : les agricultures familiales ou paysannes, les circuits locaux et le digital. Le monde ne serait plus comme avant ! Et pourtant, au fil du temps, et malgré une deuxième vague, certes moins marquée en Afrique, les signaux d’un retour au « business as usual » se renforcent, confirmant peut-être les craintes de cet ordre émises dès avril 2020 par le think tank d’experts Ipes Food[9].

Rédaction : Marc Mees

Illustrations : Philippe De Kemmeter

Cet article est réalisé par :

Défis Sud

[1]     « Evaluation de l’impact économique du COVID-19 et des réponses politiques en Afrique subsaharienne » – African Pulse, volume 21 – Groupe Banque mondiale – Avril 2020.

[2]     « COVID-19 – La menace qui plane sur la sécurité alimentaire mondiale » – Analyses et perspectives n° 2006 – Chambres d’agriculture (France) – Avril 2020.

[3]     Rapport Oxfam – Le prix de la dignité – Avril 2020.

[4]     Poverty and shared prosperity 2020 – Reversals of fortune – World bank group – October 2020

[5]     Le virus de la faim : comment le coronavirus sème la faim dans un monde affamé – document d’information médias d’Oxfam – juillet 2020.

[6]     Policy brief : the impact of COVID-19 on food security and nutrition – United Nations – June 2020.

[7]     http://www.fao.org/family-farming/rejoignez-nous/fr/

[8]     Les services financiers numériques peuvent aider aujourd’hui les économies en développement à faire face à la crise et stimuler la croissance de demain – Blog de la Banque Mondiale – Mai 2020.

[9]     Le COVID-19 et la crise dans les systèmes alimentaires : symptômes, causes et solutions potentielles – Avril 2020.