14 février 2025
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Au fil des années, l’alimentation a connu de nombreux changements au Nord comme au Sud, entrainant de nombreuses conséquences notamment sur la santé des populations. Face à ce constat, il est désormais urgent d’agir en se réappropriant l’alimentation pour des systèmes alimentaires durables.
Anthropologue de l’alimentation à l’Université Assane Seck de Ziguinchor au Sénégal et chercheur associé à l’Unité Mixte Internationale Environnement, Santé, Société.
Quels sont les défis alimentaires en Afrique aujourd’hui?
L’alimentation dans les pays du Sud a déjà connu des changements pendant la colonisation. Avec la mondialisation, les gens amènent dans leurs valises des aliments et des goûts nouveaux qu’ils s’approprient.
Par ailleurs, l’Afrique est confrontée à un double fardeau concernant la malnutrition : la sous-alimentation et la suralimentation.
La première entraînant des carences et la faim cachée. Au Sénégal, selon l’Enquête nationale sur la sécurité alimentaire, la nutrition et la résilience (2019), près de 20% des enfants âgés de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique. La seconde touchant surtout les personnes âgées, les femmes et les citadins. 29% des femmes en âge de procréer sont en surpoids, avec un taux d’obésité de 10,5%. C’est une réalité avec ses corolaires, l’hypertension artérielle, le diabète et l’hypercholestérolémie, qui touchent respectivement 24%, 2,1% et 19% de la population.
Quel rôle peut jouer le consommateur dans les SAD?
L’Afrique doit se battre pour sa propre souveraineté alimentaire, instaurer des politiques de sécurité alimentaire et une éducation au goût car son alimentation est extravertie ; il faut habituer les gens aux cultures locales.
L’État et les professionnels doivent aussi démystifier ce phénomène de surpoids, bien vu par la population. Il y a un aspect culturel important qu’il ne faut pas occulter. « Au Sénégal, quand une femme est ronde, c’est bien vu. Elle est prête à se gaver pour être en surpoids, sans tenir compte des conséquences. » Le consommateur doit être éduqué, être un ‘consomm-acteur’ : être militant, savoir ce qui est bon pour sa santé, la société, les terres et les générations futures. Il doit être éveillé, conscient et pouvoir changer les politiques de l’État concernant l’alimentation.
Quelle est votre vision d’un SAD au Sud ?
Il faut tenir compte des régions, des réalités locales et avoir une politique partant de la production jusqu’à la consommation. Si on produit assez et qu’on n’arrive pas à distribuer dans les zones de consommation et les centres urbains à cause de problèmes de stockage, le système ne peut pas être durable. Si on n’a pas assez de chambres froides pour conserver les surplus périssables et que les invendus deviennent des déchets, le système ne peut pas être durable. Il faut une production suffi sante, avoir des lieux de stockage, des moyens de transport suffisants, avoir des lieux d’écoulement avec des flux intéressants pour le producteur.
Il faut encourager les producteurs en leur proposant des semences certifiées et réfléchir à l’avenir de l’alimentation et de l’agroécologie en Afrique. Si on forme les gens à l’agroécologie, on fertilisera le sol et il en sortira des productions intéressantes.
Chercheure à l’Unité Mixte Internationale. Environnement, Santé, Société et Maître de conférences en anthropologie sociale à l’Université de Bordeaux.
Comment l’alimentation dans les pays du Nord a-t-elle perdu de sa qualité nutritive et culturelle ?
Différents changements ont contribué à changer nos manières de nous nourrir : les modes de production, les modes de vie avec l’urbanisation, la famille et la parenté et donc la charge de la production de l’alimentation, le rôle de l’agriculteur et des paysans.
Ceux-ci sont à l’origine de la distanciation entre les consommateurs et les modes de production : après la Deuxième Guerre mondiale, la production de notre nourriture a été déléguée à l’industrie agroalimentaire et, contrairement à nos grands-parents qui savaient comment cultiver ou tuer un animal, nous avons été dépossédés de cet acte et sommes arrivés dans un virage vers la quantité et non plus la qualité entrainant la complexification du système alimentaire.
Et par ailleurs, nous observons le paradoxe de la quête de la diversité et de l’attention portée aux calories parallèlement au développement de la malbouffe.
La malnutrition dans les pays du Nord et plus particulièrement l’obésité est-elle liée à la précarité alimentaire ?
Concernant la question de l’accès à une alimentation dite « bonne », cette idée d’avoir son jardin, de manger des aliments sains qui n’ont pas été traités avec des pesticides et des herbicides, est une préoccupation de riches. Par exemple, pour les femmes divorcées de 45-50 ans qui se retrouvent seules et précaires alors qu’elles avaient tout, la nourriture devient très secondaire. C’est lié à l’exclusion sociale, à la marginalisation, à la mésestime de soi et, en même temps, ces personnes sont enfermées dans un cercle de l’aide alimentaire qui, elle-même, est subventionnée par l’État.
Quelle est votre vision d’un SAD au Nord ?
C’est au niveau de territoires beaucoup plus restreints qu’il faut penser l’agriculture et l’alimentation, au Nord comme au Sud. Il faut aussi remettre la PAC en question car elle subventionne une agriculture polluante et produit des agriculteurs qui n’en peuvent plus.
Le poids de l’industrie agroalimentaire sur les politiques publiques et sur les gouvernants est tel qu’il est compliqué de faire changer les choses. Je crois plus aux projets d’éducation populaire (centres d’animation, associations, écoles, etc) qu’aux messages nutritionnels engloutis dans la profusion d’informations. La citoyenneté passe aujourd’hui par l’alimentation avec beaucoup de projets qui sont une forme de réappropriation des moyens de production et de cuisiner, en retravaillant ensemble à faire du commun.
Rédactrice : Daphné Kennedy
Cet article est tiré du Supporterres n°16 « Mieux produire, mieux se nourrir. Pour des systèmes alimentaires durables. »