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28 juin 2021

Se réapproprier l’alimentation pour transformer les systèmes alimentaires

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Au fil des années, l’alimentation a connu de nombreux changements au Nord comme au  Sud, entrainant de nombreuses conséquences notamment sur la santé des populations.  Face à ce constat, il est désormais urgent d’agir en se réappropriant l’alimentation pour  des systèmes alimentaires durables.

Abdou KA

Anthropologue de l’alimentation à l’Université Assane Seck de Ziguinchor au  Sénégal et chercheur associé à l’Unité Mixte Internationale Environnement, Santé, Société.

Quels sont les défis alimentaires en Afrique aujourd’hui? 

L’alimentation dans les pays du Sud a déjà connu des changements pendant la  colonisation. Avec la mondialisation, les gens amènent dans leurs valises des aliments et  des goûts nouveaux qu’ils s’approprient.

Par ailleurs, l’Afrique est confrontée à un double  fardeau concernant la malnutrition : la sous-alimentation et la suralimentation.

La première entraînant des carences et la faim cachée. Au Sénégal, selon l’Enquête nationale sur la  sécurité alimentaire, la nutrition et la résilience (2019), près de 20% des enfants âgés de  moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique. La seconde touchant surtout les  personnes âgées, les femmes et les citadins. 29% des femmes en âge de procréer sont  en surpoids, avec un taux d’obésité de 10,5%. C’est une réalité avec ses corolaires,  l’hypertension artérielle, le diabète et l’hypercholestérolémie, qui touchent respectivement  24%, 2,1% et 19% de la population.

Quel rôle peut jouer le consommateur dans les SAD?

L’Afrique doit se battre pour sa propre souveraineté alimentaire, instaurer des politiques  de sécurité alimentaire et une éducation au goût car son alimentation est extravertie ; il  faut habituer les gens aux cultures locales.

L’État et les professionnels doivent aussi  démystifier ce phénomène de surpoids, bien vu par la population. Il y a un aspect culturel  important qu’il ne faut pas occulter. « Au Sénégal, quand une femme est ronde, c’est bien  vu. Elle est prête à se gaver pour être en surpoids, sans tenir compte des conséquences. » Le consommateur doit être éduqué, être un ‘consomm-acteur’ : être militant, savoir ce qui est bon pour sa santé, la société, les terres et les générations futures. Il doit être  éveillé, conscient et pouvoir changer les politiques de l’État concernant l’alimentation.

Quelle est votre vision d’un SAD au Sud ?

Il faut tenir compte des régions, des réalités locales et avoir une politique partant de la  production jusqu’à la consommation. Si on produit assez et qu’on n’arrive pas à distribuer dans les zones de consommation et les centres urbains à cause de problèmes de  stockage, le système ne peut pas être durable. Si on n’a pas assez de chambres froides pour conserver les surplus périssables et que les invendus deviennent des déchets, le  système ne peut pas être durable. Il faut une production suffi sante, avoir des lieux de stockage, des moyens de transport suffisants, avoir des lieux d’écoulement avec des flux intéressants pour le producteur.

Il faut encourager les producteurs en leur proposant des semences certifiées et réfléchir à  l’avenir de l’alimentation et de l’agroécologie en Afrique. Si on forme les gens à  l’agroécologie, on fertilisera le sol et il en sortira des productions intéressantes.


Chantal CRENN

Chercheure à l’Unité Mixte Internationale. Environnement, Santé, Société et Maître de conférences en anthropologie sociale à l’Université de Bordeaux.

Comment l’alimentation dans les pays du Nord a-t-elle perdu de sa qualité nutritive et culturelle ?

Différents changements ont contribué à changer nos manières de nous nourrir : les modes de production, les modes de vie  avec l’urbanisation, la famille et la parenté et donc la charge  de la production de l’alimentation, le rôle de l’agriculteur et des paysans.

Ceux-ci sont à l’origine de la distanciation entre les consommateurs et les  modes de production : après la Deuxième Guerre mondiale, la production de notre nourriture a été déléguée à l’industrie agroalimentaire et, contrairement à nos grands-parents qui savaient comment cultiver ou tuer un animal, nous avons été dépossédés de cet acte et sommes arrivés dans un virage vers la quantité et non plus la qualité entrainant la complexification du système alimentaire.

Et par ailleurs, nous observons le paradoxe de la quête de la diversité et de l’attention  portée aux calories parallèlement au développement de la malbouffe.

La malnutrition dans les pays du Nord et plus particulièrement l’obésité est-elle liée à la  précarité alimentaire ?

Concernant la question de l’accès à une alimentation dite « bonne », cette idée d’avoir son jardin, de manger des aliments sains qui n’ont pas été traités avec des pesticides et des herbicides, est une préoccupation de riches. Par exemple, pour les femmes divorcées de 45-50 ans qui se retrouvent seules et précaires alors qu’elles avaient tout, la nourriture devient très secondaire. C’est lié à l’exclusion sociale, à la marginalisation, à la mésestime de soi et, en même temps, ces personnes sont enfermées dans un cercle de l’aide alimentaire qui, elle-même, est subventionnée par l’État.

Quelle est votre vision d’un SAD au Nord ?

C’est au niveau de territoires beaucoup plus restreints qu’il faut penser l’agriculture et  l’alimentation, au Nord comme au Sud. Il faut aussi remettre la PAC en question car elle subventionne une agriculture polluante et produit des agriculteurs qui n’en peuvent plus.

Le poids de l’industrie agroalimentaire sur les politiques publiques et sur les gouvernants  est tel qu’il est compliqué de faire changer les choses. Je crois plus aux projets d’éducation populaire (centres d’animation, associations, écoles, etc) qu’aux messages  nutritionnels engloutis dans la profusion d’informations. La citoyenneté passe aujourd’hui par l’alimentation avec beaucoup de projets qui sont une forme de réappropriation des  moyens de production et de cuisiner, en retravaillant ensemble à faire du commun.

Rédactrice : Daphné Kennedy

Cet article est tiré du Supporterres n°16 « Mieux produire, mieux se nourrir. Pour des systèmes alimentaires durables. »