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L’agroécologie est un terme aujourd’hui employé par un nombre croissant d’acteurs à la base, y compris par les organisations paysannes et leurs membres agriculteurs. Ceux-ci ont leur propre conception de l’agroécologie et se perdent parfois dans les différentes approches revendiquées par la multitude d’acteurs avec lesquels ils collaborent.
Il n’est pas aisé pour les paysans de se frayer leur chemin entre les ONG aux points de vue parfois divergents, sans compter les multiples sons de cloche des pouvoirs publics et des entreprises privées. Ces dernières se limitent souvent à la dimension productive de l’agroécologie. Certains paysans y voient parfois des pratiques agricoles nouvelles et oublient la richesse de leur patrimoine. Leur soumission aux solutions technologiques exogènes favorise l’attentisme, ce qui tend à renforcer le sentiment du paysan ignorant.
Pourtant, d’autres s’approprient l’agroécologie en s’en faisant leur propre idée. Selon Mbaye Laye Ba, animateur paysan à la Fédération des associations paysannes de la région de Louga (FAPAL), au nord du Sénégal :
« L’agroécologie désigne la fusion de toutes les activités agricoles. Il s’agit de faire de l’agriculture en mélangeant les cultures végétales, les arbres et l’élevage. L’agroécologie c’est quand on décide de combiner plusieurs pratiques, fertilisantes par exemple, sur une petite surface et sans produits chimiques, afin de produire plus que ce qu’on ne l’aurait fait sur une grande surface ».
Si l’agroécologie valorise des savoirs endogènes comme exogènes, les pratiques traditionnelles constituent probablement une priorité dans un premier temps. Les connaissances et l’intérêt qu’y attachent les agriculteur.trice.s sont des atouts pour leur appropriation. Des innovations peuvent alors guider ces pratiques endogènes pour faciliter leur diffusion.
Les agriculteur.trice.s connaissent mieux leurs réalités que quiconque et sont les plus à même à proposer des solutions adaptées. Au lieu de les perdre dans des notions conceptuelles complexes, peut-être faudrait-il les écouter davantage s’exprimer sur le problème et ses causes ainsi que sur les solutions et les contraintes limitant leur réalisation. C’est cette approche qui a été choisie pour initier le processus de régénération des sols de la FAPAL.
Il n’est pas étonnant que la régénération des sols fût choisie comme axe prioritaire de travail par la FAPAL. Un terroir aux sols dégradés comme celui de la région de Louga voit son potentiel agroécologique et ses composantes environnementales, socio-économiques et organisationnelles verrouillées. Les paysan.ne.s posent un bon diagnostic sur les causes ayant conduit à la dégradation des sols. Il.elle.s se sentent fortement concerné.e.s par ce problème car il constitue selon eux.elles un des premiers obstacles à la production. Avoir comme point de départ une urgence vitale reconnue par tous paraît essentiel à l’appropriation de toute démarche agroécologique en milieu paysan. En effet, les considérations déconnectées des besoins vitaux, comme la préservation de la biodiversité « car elle est bonne en soi », ne peuvent entraîner un investissement chez les populations défavorisées.
Malheureusement, trop de projets agroécologiques négligent ou méconnaissent la richesse des pratiques locales et promeuvent des pratiques nouvelles. Celles-ci sont pourtant rarement adoptées à grande échelle car elles sont confrontées à trop de contraintes et nécessitent un changement trop radical de la façon de travailler.
Un exemple intéressant peut être donné par un projet de fosses compostières dernièrement développé par une ONG partenaire de la FAPAL. La plupart des fosses sont aujourd’hui à l’abandon. Cette pratique exogène constitue probablement un changement trop important par rapport au système de fertilisation traditionnel, où le fumier est simplement entassé à côté des animaux. L’investissement, l’eau et les connaissances nécessaires à la fabrication du compost, le coût de la fosse et sa localisation parfois loin de l’étable sont des facteurs décourageant son appropriation. Par conséquent, la FAPAL a préféré promouvoir des améliorations simples de la fabrication de fumier, déjà connues par certain.e.s agriculteur.trice.s. Il s’agit de placer le tas à l’ombre, de ne pas y incorporer de plastique et d’y incorporer les déchets ménagers biodégradables ou encore de retourner le tas sans qu’il soit nécessairement placé dans une fosse. Ces innovations, plus accessibles, sont déjà en train d’être appropriées.
Les paysan.ne.s connaissent une panoplie de solutions pour améliorer la fertilité des sols et ont des idées adaptées à leur réalité. La stratégie de régénération des sols qui a été élaborée s’est donc uniquement concentrée sur des pratiques endogènes. Ces dernières favorisent une agriculture alternative à l’agriculture actuelle, encore imprégnée par le modèle monocultural colonial, mais encouragent aussi une agriculture différente des techniques agroécologiques uniquement exogènes.
Les pratiques retenues, reconnues par les paysan.ne.s pour leur potentiel régénérateur, sont soit répandues mais réalisées de façon sous-optimale, soit réalisées par une partie des paysan.ne.s seulement. Tout le travail consiste donc à accompagner les exploitations dans l’exploration de solutions permettant de contourner les contraintes empêchant l’appropriation ou l’amélioration de ces pratiques. Cette approche oblige à sortir de la dimension productive de l’agroécologie et d’investir les aspects économiques et sociologiques. Par exemple, beaucoup d’agriculteur.trice.s considèrent la culture du mil comme régénératrice pour le sol. Pourtant, cette culture est aujourd’hui peu pratiquée parce qu’elle est confrontée à un obstacle majeur, à savoir les dégâts occasionnés par les oiseaux. Contourner cette contrainte demande de passer à une échelle communautaire. Le mil, s’il est cultivé par un nombre important de familles villageoises sur de grandes surfaces, se retrouve peu mangé par les oiseaux.
Dans la perspective d’une appropriation des principes de l’agroécologie, il est indispensable de remettre les acteurs paysans au centre des processus. En effet, l’agroécologie souhaite par essence renforcer l’autonomie paysanne, son pouvoir créatif et décisionnel. Dans cette optique, les donateurs soutiendraient prioritairement les initiatives locales.
L’approche consistant à dérouler sur une période limitée un projet en grande partie conçu à l’extérieur est certainement à l’origine de nombreux échecs. Elle limite les possibilités d’autonomisation des communautés sur le long terme. La stratégie développée ici par la FAPAL a consisté à développer son propre plan de gestion de la fertilité des sols. Il est actuellement vu comme une initiative de la FAPAL et non d’une ONG extérieure. Mbaye Laye Ba, animateur paysan à la FAPAL et responsable de ce plan, témoigne :
« Depuis le début du processus, nous avons encouragé les paysan.ne.s à partager leur expertise sur la question de la fertilité des sols. Les producteur.trice.s ont décidé eux.elles-mêmes des pratiques dans lesquelles ils.elles souhaitaient s’engager. Le plan est donc une pensée paysanne, que nous avons organisée afin de proposer des solutions aux problèmes rencontrés par les producteur.trice.s ».
Ce plan a tout d’abord consisté à donner aux animateur.trice.s de la FAPAL les outils et les compétences pour sensibiliser les villages membres de l’organisation. Le cycle de formation s’est terminé par la co-conception d’un support de sensibilisation. Les animateur.trice.s ont sélectionné les images sur lesquelles se baser et ont élaboré les messages clés à transmettre lors des sessions de sensibilisation. Actuellement, de nombreux projets de développement travaillent encore avec leurs propres supports élaborés dans d’autres contextes. Impliquer les acteurs dont c’est l’outil de travail dans sa conception, de la définition de l’objectif à la matérialisation, est un pas de plus en faveur de l’autonomie paysanne.
Outre le plan d’action de la FAPAL, il est essentiel, dans une logique d’appropriation, d’inciter les villageois.e.s eux.elles-mêmes à proposer leurs propres plans d’action. Les animateur.trice.s ont été formé.e.s à l’accompagnement des villages dans l’élaboration de tels plans. Une phase test a ciblé 3 villages. Les habitants ont fait part des pratiques qu’ils jugeaient les plus pertinentes et de la stratégie à dérouler pour que les paysan.ne.s se les approprient davantage.
La mise en œuvre des plans villageois s’articule autour d’un noyau de champs écoles paysans, afin de favoriser le partage et la transmission des savoirs. Chaque champ est la propriété d’une exploitation familiale au sein de laquelle un.e répondant.e est choisi.e pour s’impliquer davantage dans le processus de régénération des sols. Les répondant.e.s ont été ciblé.e.s parmi les femmes et les jeunes, des groupes aux statuts secondaires mais au rôles clés dans l’agriculture locale.
Il s’agit d’initier une stratégie de régénération des sols qui soit au plus près des valeurs de l’agroécologie. Non celles d’une agroécologie exogène mais bien d’une agroécologie décolonisée, s’enracinant dans le terreau local. Citons d’abord la limitation du recours aux facteurs de production externes. Les pratiques promues sont réalisables avec peu de moyens financiers et valorisent les ressources disponibles dans l’exploitation sans recours à des intrants externes, qu’ils soient bio ou non.
Ensuite, la diversité a été encouragée. Elle se retrouve dans les pratiques, allant de l’agroforesterie à la fertilisation animale mais aussi dans les approches de mise en œuvre de ces pratiques, tantôt communautaires tantôt familiales. La question de la gouvernance et de la relocalisation des pouvoirs a trouvé réponse dans l’élaboration de plans villageois de gestion de la fertilité. Finalement, cibler en priorité les femmes et les jeunes concourt à davantage d’appropriation, d’impact, d’équité et de durabilité.
La stratégie développée à la FAPAL se situe dans une logique de recherche-action participative. Les leçons tirées de cette expérience permettront d’enrichir de futures stratégies paysannes, témoins d’une agroécologie aux couleurs locales.
Rédaction : Dorian Dejace
Dorian Dejace, agronome junior à Enabel, a accompagné la Fédération des associations paysannes de la région de Louga (FAPAL) dans ses efforts de régénération des terres grâce à l’agroécologie. L’occasion de se pencher sur l’appropriation des principes de l’agroécologie par les acteurs paysans.
Illustration : Philippe De Kemmeter
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