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20 décembre 2021

S’inspirer du local pour faire changer les choses

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Sur le terrain, trois témoignages d’initiatives, de succès, d’obstacles et de difficultés sur le chemin d’une plus grande autonomie et d’une plus grande résilience de l’agriculture et du monde rural sénégalais.

Binto Sileye Sall 600x338 1 - Humundi : S’inspirer du local pour faire changer les choses

BINTOU SILEYE SALL

Agricultrice et membre d’un jardin collectif à Pétel Dieguess

Nous, les femmes du village, depuis nos ancêtres, nous avons la volonté de cultiver, parce que nous sommes des agricultrices. Parmi ces femmes, plusieurs d’entre elles sont décédées aujourd’hui mais on a pris la relève pour maintenir le jardin collectif en vie, pour cultiver des légumes. L’idée est venue, depuis nos ancêtres jusqu’à nous, de pouvoir mettre des condiments pour le repas.

Comme nous voyageons et nous sortons pour aller dans les villages environnants, on a vu des groupements de femmes, qui nous ont devancées dans ce type de projet et qui nous ont donné l’idée d’améliorer ce jardin. Elles nous ont aussi donné des conseils. On a diversifié les cultures : on a planté des aubergines, des carottes, du piment et des arbres fruitiers aussi, des citronniers, des jujubiers. Bientôt, on va travailler les cultures qu’on appelle les cultures « d’hiver » : des choux, de l’oignon, des carottes et des betteraves.

Comme tout groupement de femmes, nous avons un récépissé, ce qui veut dire que nous sommes juridiquement reconnues. Le bureau est constitué d’une présidente et d’une trésorière et nous sommes au total un groupe de 76 femmes.

Au début, nous avons planté des piquets de bois pour protéger ce qui est dans la parcelle. Et puis, une ONG nous a aidé à nous procurer des clôtures de grillage pour sécuriser plus solidement la parcelle. Mais ce qui nous empêche vraiment de l’emblaver, c’est le manque d’eau. Avant nous puisions de l’eau dans le forage, qui était à 50 mètres du jardin et nous utilisions des bassines pour amener l’eau et arroser ce qui poussait. Et puis, nous nous sommes procuré une borne-fontaine pour pouvoir irriguer plus facilement. Malheureusement, nous n’en avons qu’une seule qui ne peut pas irriguer toute la parcelle. Et, en outre, le coût de l’eau est vraiment cher. Si nous avions accès à l’eau, nous pourrions augmenter la surface à cultiver car nous avons une grande parcelle.

Ce qui les a motivées aussi, c’est que leur parcelle, leur petite parcelle soit plus belle que la parcelle de l’autre. C’est donc une concurrence positive, une vraie fierté aussi


Fatimata Sy 600x338 1 - Humundi : S’inspirer du local pour faire changer les choses

FATIMATA M.H. SY

Animatrice à l’UJAK

En 2019, j’ai travaillé sur les calebasses de solidarité avec 5 villages. Au début, on a voulu réunir tout un village autour de ce projet. Mais on a réalisé qu’on ne pouvait pas réunir tout un village sur une seule calebasse. C’était dur, c’était lourd. Alors, on a changé d’approche et on a privilégié la proximité. Par exemple, 5 femmes qui habitent le même quartier peuvent avoir une calebasse de solidarité. On est arrivé à avoir 94 calebasses de solidarité comprenant 2035 membres. Parmi ces membres, il y a 174 hommes mais, maintenant, ce sont surtout les femmes qui se sont appropriées le programme.

La calebasse se constitue lors d’« assises de la calebasse » qui consistent à réunir toutes les femmes impliquées pour que chacune mette une somme dans le pot commun mais de manière anonyme et volontaire : on recouvre la calebasse, chacune met une somme mais il n’y a pas de mention pour dire que Seynabou a mis 100 francs ou Maïmouna 25 francs. On ne saura pas qui a payé quoi. A la fin, on fait le décompte, on garde trace de la somme, 10 000 francs ou 8 000 francs par exemple, et ces fonds sont destinés à la nourriture, à l’éducation ou bien à la santé. Ce sont des crédits qu’on octroie mais sans intérêt.

Certaines calebasses organisent aussi les greniers de solidarité. Au moment de la récolte, les femmes collectent des denrées alimentaires, mais toujours en fonction de la situation de chaque membre. Et quand commence la période de soudure, elles informent le village que le grenier est ouvert. Celui qui en veut doit faire sa demande et on voit si les stocks pourront satisfaire tout le monde. Sinon, on verra les plus nécessiteux pour leur donner : si 2 ou 3 personnes sollicitent un crédit en même temps, on examine pour savoir celui qui est le plus nécessiteux et on lui donne. Mais ça reste une dette en nature qu’il faudra rembourser, au moment de la récolte et toujours sans intérêt.

Aujourd’hui, on ne les accompagne plus, elles sont presque sevrées, elles peuvent vraiment fonctionner seules.


Ibrahima Paul Thiaw e1640035819842 600x365 1 - Humundi : S’inspirer du local pour faire changer les choses

IBRAHIMA PAUL THIAW

Coordinateur régional de la FONGS à Diourbel et expert paysan sur le changement climatique

Le Sénégal est composé de 6 grandes zones agroécologiques, avec un climat différent d’une zone à l’autre. L’impact du changement climatique sur notre pays n’est donc pas ressenti partout de la même manière. Quoi qu’il en soit, pour faire avancer la compréhension et le travail d’adaptation et de lutte contre le changement climatique, il faut travailler selon 5 axes :

  • Un travail sur la perception : tout le monde ne comprend pas toujours ce que c’est et ne perçoit pas la même chose. Entre le nord du pays plus désertique et le sud plus tropical, les réalités ne sont pas les mêmes.
  • Un travail sur la croyance : certains agriculteurs croient encore que c’est Dieu qui est à la manœuvre. « Chaque hivernage ressemble à son grand-père » dit l’adage ; les croyances et superstitions sont encore légion ici et suscitent des réactions attentistes.
  • Un travail sur la connaissance : certains agriculteurs n’ont en réalité jamais entendu parler du « changement climatique » et ne savent pas exactement ce qu’est le « climat ». Alors, on fait de la sensibilisation en expliquant que le climat, c’est l’eau, la chaleur et le vent.
  • Un travail sur le temps : pour percevoir les changements du climat, il faut apprendre à s’inscrire dans la durée et non pas seulement considérer le dernier été ou la dernière saison des pluies. Les changements, dans un sens ou dans l’autre, s’inscrivent dans un temps long.
  • Un travail sur l’incidence et les aléas dans leur zone : le plus souvent, on doit apprendre à analyser les vents qui deviennent plus chauds et plus forts et les pluies qui sont progressivement moins nombreuses et plus diluviennes. Avant, la case était l’endroit pour l’agriculteur où se protéger et se reposer en cas de chaleur extrême par exemple. Mais aujourd’hui, elle n’est plus assez efficaces.