13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
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Le Consortium agroécologique péruvien, en alliance avec d’autres acteurs de la société civile péruvienne, a réalisé son deuxième monitoring des résidus de pesticides dans les marchés et supermarchés péruviens. Les résultats sont alarmants : près de la moitié des échantillons sont au-dessus des normes nationales ! Cette présence massive révèle des modes de production agricoles basés sur un usage intensif de pesticides, mais surtout un manque de volonté politique face aux géants de l’agrochimie…
Le Consortium agroécologique péruvien, partenaire de Humundi depuis 2014 et très actif dans le soutien à la transition agroécologique, vient de publier son deuxième monitoring sur les résidus de pesticides dans l’alimentation et les résultats sont extrêmement préoccupants : en août 2023, sur les 103 échantillons prélevés dans les onze supermarchés et sept marchés de quatre provinces du pays (Arequipa, Cusco, Huánuco et Huaraz), 46 se révélaient impropres à la consommation humaine, si l’on se réfère aux standards péruviens[1].
Certains produits sont particulièrement victimes de cette pulvérisation tous azimuts : des échantillons de céleri présentent des résidus 149 fois supérieurs à la limite maximale de résidus (LMR) autorisée de chlorpyriphos, un pesticide hautement toxique interdit dans l’Union européenne (UE), mais dont l’usage est autorisé au Pérou jusqu’à épuisement des stocks en juillet 2024 ; pour la laitue, c’est plus de 80 fois la limite de chlorfenapyr, banni d’usage dans l’UE ; pour le piment, 32 fois celle de triazophos, également interdit dans l’UE.
Ces résultats sont d’autant plus alarmants qu’ils révèlent la présence de pesticides interdits dans le pays comme le carbofuran et le métamidophos. Il faut également garder à l’esprit que ces résultats sont basés sur les LMR en vigueur au Pérou. Si l’on analysait les résultats du monitoring avec les normes européennes, ce ne serait plus 46 échantillons qui seraient déclarés impropres à la consommation, mais 70 sur les 103, soit près de 70% des échantillons totaux !
Le monitoring démontre avec éclat les failles du système de traçabilité et de contrôle sanitaire du pays, reflet du manque d’ambition politique. L’autorité sanitaire nationale (la Senasa) ainsi que la direction de la santé environnementale et de l’innocuité alimentaire (la Digesa) ne prennent pas la mesure du problème. En résulte une perte de confiance des consommateur·ice·s. Pourtant, de nombreuses réactions et des débuts d’action avaient vu le jour suite au premier monitoring réalisé en province de Lima en avril 2023[2]. À l’époque, le Congrès, l’unique pouvoir législatif du pays, avait discuté quelques initiatives, dont une réforme de la Senasa, qui n’a finalement jamais vu le jour. Le monitoring avait aussi abouti à une rencontre entre les organisations de la société civile et les administrations concernées, dont la Senasa[3]. Une
feuille de route doit voir le jour afin de synchroniser et rendre plus efficace le travail des différentes services publics.
Au-delà de la traçabilité et du contrôle, c’est en amont, au niveau des modes de production, que le problème doit être réglé. « Il ne s’agit pas d’un processus à court terme, il faut donc une volonté politique pour améliorer les conditions de production alimentaire et mettre fin aux dommages causés par les pesticides à la santé et à l’environnement » commente Luis Gomero, ingénieur agronome, président du Consortium et dénonciateur infatigable de l’inaction politique.
Tout comme en Europe, les coupables sont connus au Pérou : les 38 substances actives retrouvées sous forme de résidus sont vendues par 90 entreprises agrochimiques, Bayer et Syngenta étant les deux acteurs dominant le marché. Cultivida, le lobby des entreprises péruviennes du secteur n’a jamais répondu aux sollicitations du Consortium, mais n’en reste pas moins actif dans d’autres sphères du pouvoir. Ainsi, dans un communiqué officiel, Cultivida s’oppose à un projet de loi récent qui cherche à réduire l’usage de 10 pesticides dangereux dans le pays au prétexte que le projet « porterait atteinte aux traités de libre-échange signés avec les États-Unis et l’Union européenne ainsi que les procédures établies par la Communauté andine[4], dont est membre le Pérou ». Si cela était encore nécessaire de le démontrer, il s’agit pour Humundi d’un signe clair qu’accords de libre-échange et commerce de pesticides vont de pair !
La bonne nouvelle est que le monitoring fait parler de lui. Il a permis de faire naitre une véritable conscience citoyenne du problème et de nombreuses organisations de la société civile se saisissent du problème. En cherchant à mieux comprendre le phénomène de dépendance au pesticides et ses conséquences sanitaires, écologiques et sociales ou en accompagnant la collecte de données pour de futurs contrôles, la société civile s’active pour alerter sur ce sujet. Le monitoring devient un outil au service d’un plaidoyer servant à alerter les autorités publiques. Cela s’inscrit dans une démarche positive de prise de conscience des coûts de l’alimentation industrielle, étape indispensable pour cheminer vers des systèmes alimentaires durables.
[1] Salud con Lupa, « Verduras contaminadas con plaguicidas se venden en 18 mercados y supermercados de 4 ciudades », novembre 2023.
[2] Salud con Lupa, « Seis supermercados venden frutas y verduras con altas concentraciones de plaguicidas no aptas para el consumo », 4 avril 2023.
[3] Salud con Lupa, « El Senasa trabaja en una propuesta para que los alimentos ingresen al mercado local sin contaminantes », 18 avril 2023.
[4] Zone d’intégration régionale regroupant la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou.