13 mars 2025
JAGROS 2025 : Agir pour une agriculture juste et durable
Lire la suite11 décembre 2020
Avec la « civilisation » des peuples colonisés, l’exploitation des ressources naturelles au profit des pays colonisateurs était l’une des autres raisons de la colonisation. Aujourd’hui, l’Afrique, mais aussi l’Amérique latine, sont des acteurs à part entière dans les échanges internationaux. Tant le « Vieux continent » que la nouvelle puissance chinoise y tissent des relations, chacun à sa façon. Mais qui en tire les bénéfices ? 60 ans après les indépendances de nombreux pays africains, le commerce mondial a-t-il réussi à s’affranchir de ses vieux réflexes ?
Le 12 octobre dernier, Xi Jinping et Macky Sall, présidents respectifs de la Chine et du Sénégal, se sont mutuellement félicités pour le 20ème anniversaire du Forum sur la Coopération sino-africaine (FSCA). À travers cette plateforme de « dialogue collectif », la « grande famille Chine-Afrique » entretient des relations « mutuellement bénéfiques » dans le domaine commercial, politique, culturel et … agricole. Une question demeure : à quel point la Chine est-elle l’alliée de l’Afrique ?
Pour construire une coopération agricole à long terme avec les pays africains, la Chine a son modus operandi bien à elle. Elle propose son aide sous la forme de troc : infrastructure et matériel bon marché contre matières premières.
Concrètement, un pays d’Afrique augmente sa productivité dans les champs grâce aux produits industriels peu coûteux fournis par la Chine et, en échange, la Chine importe une partie des récoltes engendrées.
Ce soutien logistique de la Chine à l’agriculture en Afrique a débuté dès 1959, en Guinée. La Chine avait alors proposé une aide alimentaire au pays. Depuis, les entreprises chinoises se sont considérablement multipliées en Afrique. Par exemple, en 2015, 28 investisseurs privés chinois étaient recensés en Côte d’Ivoire, notamment dans le secteur de l’hévéa, « l’arbre à caoutchouc ». Parmi eux, l’entreprise SINOCHEM contrôlait déjà à l’époque près de 20% du marché de l’hévéa ivoirien.
Les relations sino-africaines sont façonnées par plusieurs principes : non-ingérence, assistance économique sans conditionnalité, défense de la cause de l’Afrique dans les forums internationaux ou encore promotion d’un environnement international plus favorable au développement africain.
Si ce « modèle de Pékin » rencontre autant de succès, c’est parce qu’il représente une alternative à l’aide sous certaines conditions de réformes apportée par les puissances occidentales, comme les États-Unis ou l’Union européenne, et des systèmes de régulation économique, comme le FMI ou l’OMC. En multipliant leurs partenaires extérieurs, les pays africains espèrent augmenter leur liberté d’action et diminuer leur dépendance vis-à-vis d’une seule aide étrangère.
Pour sa part, en tissant une coopération solide avec l’Afrique, la Chine aspire à amplifier son influence sur la scène internationale et s’octroyer le statut de « grande puissance ».
L’Afrique et la Chine filent-elles pour autant le parfait amour ? Pas vraiment. La présence chinoise sur le continent représente plusieurs dangers. En premier lieu : l’émergence d’un nouveau colonialisme. Comme le disent Firoze Manij et Stephen Marks : « L’Afrique vend les matières premières à la Chine et la Chine vend des produits manufacturés à l’Afrique. Ceci est une dangereuse équation qui reproduit l’ancienne relation de l’Afrique avec les puissances coloniales. » Un autre danger : l’inondation des marchés africains par des produits chinois de mauvaise qualité, faisant concurrence avec les marchands locaux. Un troisième, enfin, est à trouver dans l’achat de terres arables par la Chine pour subvenir aux besoins de son peuple qui représente 20% de la population mondiale.
L’argument d’une coopération « Sud-Sud », d’une relation « gagnant-gagnant » entre égaux, ne semble donc ni viable, ni sans arrière-pensées politiques.
La politique étrangère des grandes puissances est caractérisée notamment par la conquête de nouveaux marchés. Acquérir ou préserver une position enviée au sein de l’économie mondiale revient à devenir une puissance influente dans les relations internationales.
Dans cette optique, la Chine déploie son impérialisme des ressources sur le continent africain. Si une grande partie de sa population est pauvre, l’Afrique est riche en ressources naturelles et représente donc un intérêt stratégique. Chaque puissance essaie de s’y frayer une place, comme un jeu de go, pour affirmer son influence sur la scène internationale. Cette conquête du continent est un jeu très agressif, souvent au détriment des pays africains eux-mêmes.
Cette nouvelle forme de colonisation semble pourtant se développer avec, souvent, l’avis favorable des dirigeants africains. En ne s’occupant pas de leurs affaires internes, notamment en termes de bonne gouvernance, de droits humains ou de responsabilité sociale et environnementale, Pékin arrive à s’imposer en brisant le monopole des anciens colonisateurs occidentaux. Malgré elle, l’Afrique se retrouve ainsi au milieu du processus d’ajustement géopolitique de l’ordre international.
Car qu’en est-il de l’Europe ? Quelles relations commerciales entretient le « Vieux Continent » avec ses anciennes colonies ?
Dès les indépendances africaines, les anciens pays colonisateurs d’Europe ont mis en place, à l’aide du droit international, plusieurs mécanismes destinés à préserver leurs intérêts économiques. Parmi eux, les « traités de protection des investissements étrangers . ». Initialement pensés par et pour un petit groupe d’États développés et exportateurs de capitaux, ils permettent aux compagnies d’attaquer les Etats lorsqu’elles estiment que ceux-ci les privent d’un profit anticipé. Dans certains cas, on a ainsi vu des investisseurs privés étrangers demander des dédommagements très importants suite à la mise en place de mesures favorables à la santé ou à l’environnement.
Plus tard, à partir de 1975 et la Convention de Lomé, des Accords de Partenariat Economique (APE) ont été signés entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, avec comme objectif d’aider les pays tiers, et notamment les plus vulnérables, à se développer et à s’intégrer dans l’économie mondiale.
En Amérique latine, c’est en 2000, avec le Mexique, que l’UE signe son premier accord de libre-échange. L’un des derniers en date, dont l’accord de principe a été signé en 2019, organise, avec le MERCOSUR, une libéralisation partielle du commerce agricole. Mais il cristallise aujourd’hui de nombreuses critiques.
De fait, depuis leur création et en dépit de multiples révisions, les APE et les ALE sont régulièrement pointés du doigt par certains, jugeant leurs bilans mitigés voire même comme un frein au développement des pays du Sud.
Car concrètement, les entreprises européennes deviennent des concurrents puissants sur les marchés nationaux. Ainsi, par exemple, en Amérique latine, l’exportation de pommes de terre surgelées provenant de l’UE vers le Pérou, dont l’une des principales productions agricoles nationales est la pomme de terre, ont inondé le marché local et asphyxié les producteurs locaux. Pour l’ancien président bolivien, Evo Morales, « ces accords de libre-échange sont des instruments de colonisation et de domination de l’Europe sur leur continent. » Et la critique du président tanzanien John Magufuli va dans le même sens, qui a qualifié ces APE de « forme de colonialisme ».
En réalité, la stratégie de l’UE est sans équivoque : l’ouverture des marchés étrangers est l’un des piliers de la compétitivité européenne. Son objectif est donc simple : diminuer encore les taxes à l’importation qui pèsent sur les produits européens, y compris les taxes sur les produits agricoles, tout en refusant de réduire ses subventions agricoles en échange.
Ses produits arrivent donc sur les marchés africains et sud-américains à des prix que ne peuvent concurrencer les produits agricoles locaux dont les filières finissent par étouffer. Et la perte de revenu liée à cette diminution de taxe handicape considérablement les États dans leurs politiques d’éducation, de santé, d’infrastructures, d’aide sociale etc…
Les pays du Sud font donc toujours l’objet d’une intense convoitise de la part des puissances économiques et les accords commerciaux qui se nouent ont encore parfois un arrière-goût de « néocolonialisme ». Pour autant, dans de nombreux cas, les membres des classes dirigeantes de ces pays ont une responsabilité importante dans la pauvreté des populations et la dégradation de l’environnement, en tant que complices actifs du pillage.
« Et la perte de revenu liée à cette diminution de taxes handicape considérablement les Etats dans leurs politiques d’éducation, de santé, d’infrastructures, d’aides sociales etc… »
Mais loin de devoir fermer les frontières et refuser tout accord, ce sont plutôt certaines de leurs dispositions problématiques qu’il faudrait corriger pour que les échanges prennent une tournure plus équitable.
Rédactrices : Charlotte de Condé et Nancy Elonga
Lire le numéro complet du Supporterres n°14 « 60 ans de (dé)colonisation? »