21 mai 2025
Agroécologie en Ouganda : quelles leçons pour la RDC ?
Lire la suite3 avril 2023
Au Pérou, la destitution du président Pedro Castillo en décembre 2022 a sérieusement ébranlé les labourieuses réformes agraires dans lesquelles le pays s’était engagé depuis quelques années.
Juan Sanchez Barba, directeur exécutif du Réseau d’agriculture écologique – Red de Agricultura Ecológica- et du Consortium agroécologique péruvien – Consorcio Agroecológico – analyse la portée de ces événements du point de vue de l’agriculture familiale et de l’agroécologie.
Fin 2022, pour éviter une procédure de destitution à son encontre, le président Castillo tentait en vain un auto-coup d’État. Il était aussitôt renversé par le parlement péruvien pour « incapacité morale » et arrêté par l’armée. Sa vice-présidente, Dina Boluarte, lui a succédé.
Cette crise à la tête de l’Etat a provoqué d’importantes manifestations, grèves et blocages de routes impliquant des syndicats, des ONG et des organisations de peuples autochtones chez qui Pedro Castillo jouit d’une grande popularité. Dans ce contexte de crise, les progrès que le Pérou avait timidement enregistrés ces dernières années en matière d’agroécologie et d’agriculture familiale sont au point mort.
En novembre 2020, le Congrès national (ndlr. le parlement péruvien) avait approuvé huit lois très importantes pour l’agriculture familiale au Pérou, parmi lesquelles : la loi qui prolonge jusqu’en 2035 le moratoire sur l’entrée et la production d’OGM dans le pays pour défendre l’agrobiodiversité, la loi qui autorise l’achat par l’État d’aliments issus de l’agriculture familiale pour des programmes sociaux et la loi réorganisant le ministère du Développement agraire et de l’Irrigation, qui a créé le vice-ministère de l’Agriculture familiale.
Des progrès avaient été réalisés jusqu’en juillet 2021 dans la promotion de l’agriculture familiale agroécologique, avec l’approbation du Plan national d’agroécologie 2020-2030 et la création de la Direction nationale de la production agricole et de l’agroécologie. Dans ce contexte, l’élection du président Castillo, un enseignant rural d’origine paysanne, ouvrait de grandes perspectives pour la promotion de ces deux processus.
L’agriculture familiale représente 97% des unités agraires du Pérou. Parmi celles-ci, 88% ont moins de 2 ha et pratiquent des agricultures de subsistance. Elles produisent 70% des aliments destinés à la consommation directe. Le lancement de la deuxième réforme agraire en octobre 2021, qui donnait la priorité à l’agriculture familiale, permettait de modifier des politiques publiques qui avaient tourné le dos à l’agriculture familiale pendant des années.
Paradoxalement, le gouvernement Castillo a contrecarré ces progrès potentiels. Le pays a eu sept ministres de l’agriculture en dix-sept mois de durée de mandat présidentiel de Pedro Castillo. Dans ces conditions, la promotion de l’agriculture familiale est restée lettre morte. Une loi accordant des ressources à la deuxième réforme agraire n’a pas été promue, des budgets suffisants n’ont pas été accordés et le Conseil national pour le développement agraire n’a pas été mis en place avec la participation des associations de producteurs.
La transition de l’agriculture familiale conventionnelle et de subsistance vers une agriculture écologique produisant des aliments de manière saine et durable n’a pas non plus été encouragée. La deuxième réforme agraire n’a pas été mentionnée, la formulation du programme national d’agroécologie pour financer le plan national 2020-2030 est restée en suspens, et la crise des importations d’urée n’a pas été mise à profit pour utiliser des engrais organiques produits dans le pays à partir du recyclage des déchets de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Au contraire, l’échec de cinq achats internationaux d’urée en raison d’indices élevés de corruption a conduit au changement de la plupart des ministres du secteur.
La destitution du président Castillo par le Congrès, suite à sa tentative de coup d’État, n’a pas non plus été synonyme d’amélioration pour l’agriculture familiale et l’agroécologie. La répression généralisée des manifestations et les violations des droits de l’homme par le gouvernement de la présidente Boluarte, avec le bilan regrettable de 48 morts à la suite d’actions directes des forces armées, a encore aggravé le fossé social, politique et culturel entre les familles andines rurales et les classes dirigeantes. Le refus du gouvernement et du Congrès d’enquêter sur les crimes commis et d’accorder des réparations morales aux victimes a jeté de l’huile sur le feu et accru les protestations populaires.
Résultat des courses : la classe politique péruvienne a perdu sa légitimité. 83 % de la population réclame des élections anticipées. Les atermoiements et le report des élections à 2024, voire 2026, misant sur un essoufflement du mouvement social, sont répréhensibles. Bien que le gouvernement Castillo n’ait peu (ou pas) répondu aux demandes de l’agriculture familiale et du mouvement agroécologique, les communautés paysannes, principalement dans le sud du pays, s’identifient à Castillo en raison de ses origines rurales (en tant qu’enseignant, dirigeant syndical et paysan) et pensent que ceux qui avaient perdu les dernières élections sont aujourd’hui revenus au pouvoir.
Le gouvernement de la présidente Boluarte a mis de côté la recherche de solutions consensuelles à la crise avec les partis politiques, les syndicats de travailleurs et d’employeurs, les églises et la société civile. Au contraire, il n’a cherché que le soutien d’un Congrès contrôlé par les forces les plus conservatrices et les plus indolentes face aux revendications populaires, afin de survivre encore un peu.
La grave crise politique nationale menace toutes les avancées et les acquis du mouvement populaire et en particulier de l’agriculture familiale. Alors que les sécheresses et les inondations se multiplient à cause des changements climatiques, les pénuries alimentaires pourraient s’aggraver et les revenus de l’agriculture familiale se réduire, augmentant la pauvreté rurale et l’insécurité alimentaire dans les villes, en particulier dans les zones pauvres.
Dans un scénario aussi complexe et frustrant, les syndicats agraires tels que CONVEAGRO et le mouvement dirigé par le Consortium agroécologique péruvien doivent resserrer les rangs à différents niveaux pour défendre l’agriculture familiale et une alimentation saine et durable.
Au niveau national, il faut renforcer la demande citoyenne d’élections générales anticipées afin de rétablir la démocratie et de surmonter la crise politique, en promouvant le débat et les actions en faveur de la défense et du développement de l’agriculture familiale et de sa reconversion productive vers une production propre, saine et durable pour la planète et les générations futures.
Au niveau des régions et des municipalités, il faut soutenir les gouvernements régionaux et locaux élus pour renforcer des plateformes d’acteurs publics et privés en faveur d’une alimentation saine. Il s’agit de promouvoir et d’approuver des réglementations et des ressources qui favorisent l’agriculture familiale écologique sans pesticides ni engrais chimiques. Cette agriculture peut contribuer à une production durable adaptée au changement climatique. Dans ces scénarios, le rôle des associations de producteurs et des communautés paysannes, ainsi que des réseaux de la société civile et du monde universitaire, est essentiel pour renforcer des espaces de gouvernance de proximité et de nouvelles formes de plaidoyer politique décentralisé.
Rédigé par Juan Sanchez Barba (directeur du Réseau d’agriculture écologique), le 28 février 2023.
Réalisé par :